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Ariane Web: Conseil d'État 449087, lecture du 7 mars 2022, ECLI:FR:CECHS:2022:449087.20220307

Décision n° 449087
7 mars 2022
Conseil d'État

N° 449087
ECLI:FR:CECHS:2022:449087.20220307
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre
M. Martin Guesdon, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
SCP DUHAMEL - RAMEIX - GURY- MAITRE, avocats


Lecture du lundi 7 mars 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Mme A... Galipienso a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 à 2014, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1704325 du 15 octobre 2019, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 19MA05366 du 26 novembre 2020, le président de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par Mme Galipienso contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 janvier, 23 avril et 12 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme Galipienso demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Martin Guesdon, auditeur,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Duhamel - Rameix-- Gury - Maître, avocat de Mme Galipienso ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de l'examen de la situation fiscale personnelle de Mme Galipienso, salariée et associée, à hauteur de 10 % des parts, de la société La Délicieuse, qui exploite une boulangerie pâtisserie à Nice, l'administration fiscale a rehaussé ses revenus dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, au titre des années 2012 à 2014. Par un jugement du 15 octobre 2019, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie, ainsi que des pénalités pour manoeuvres frauduleuses dont ces impositions ont été assorties. Eu égard aux moyens qu'elle soulève, Mme Galipienso doit être regardée comme demandant l'annulation de l'ordonnance du président de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Marseille en tant qu'il rejette ses conclusions relatives à l'application des pénalités pour manoeuvres frauduleuses.

2. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) c. 80 % en cas de manoeuvres frauduleuses (...) ". Les pénalités pour manoeuvres frauduleuses ont pour objet de sanctionner des agissements destinés à égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle.

3. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que le président de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Marseille a jugé, par adoption des motifs du jugement du tribunal administratif de Nice, que Mme Galipienso ne pouvait ignorer, en tant qu'associée de la société La Délicieuse et responsable de la caisse et de la gestion du personnel, la mise en place d'un système de fraude consistant en l'effacement des données des caisses enregistreuses de plusieurs boulangeries dont faisait partie La Délicieuse. En en déduisant que c'est à bon droit que l'administration lui avait infligé des pénalités pour manoeuvres frauduleuses, sans relever d'agissements destinés à égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle qui soient personnellement imputables à Mme Galipienso, le président de la 4ème chambre de la cour a commis une erreur de droit. Si le ministre demande que soit substitué au motif retenu par la cour celui tiré de ce que Mme Galipienso s'est personnellement impliquée dans la mise en place du système frauduleux, cette demande de substitution de motifs en cassation, qui implique l'appréciation d'éléments de fait, ne peut être accueillie.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que Mme Galipienso est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque en tant qu'elle statue sur les pénalités pour manoeuvres frauduleuses qui lui ont été infligées.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, dans la mesure de la cassation prononcée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. En se bornant à faire valoir les responsabilités de Mme Galipienso dans la gestion de la caisse et du personnel de la boulangerie La Délicieuse, sans établir sa participation personnelle à la mise en oeuvre de la fraude, alors qu'au surplus, il ressort des motifs du jugement du tribunal judiciaire de Nice en date du 11 janvier 2021 que Mme Galipienso n'intervenait pas dans l'établissement des fiches de paie et que la distribution d'enveloppes contenant les rémunérations en espèce des salariées était effectuée par d'autres personnes qu'elle, l'administration ne démontre pas l'existence de manoeuvres frauduleuses qui seraient imputables à Mme Galipienso.

7. Toutefois, il appartient au juge, dans une telle hypothèse, de rechercher si les éléments qui étaient invoqués par l'administration pour justifier des pénalités pour manoeuvres frauduleuses permettent, à défaut d'établir ces dernières, de caractériser l'intention délibérée du contribuable d'éluder l'impôt et de substituer, au besoin d'office, à la majoration de 80 % appliquée par l'administration, la majoration de 40 % prévue par le a de l'article 1729 du code général des impôts.

8. Compte tenu des circonstances qui ont justifié le redressement litigieux, et notamment du fait que Mme Galipienso ne pouvait pas ignorer les manoeuvres frauduleuses mises en place au sein de la société La Délicieuse, l'administration établit l'intention délibérée de la contribuable d'éluder l'impôt. Il y a lieu, par suite, de substituer d'office à la majoration de 80 %, la majoration de 40 % prévue au a de l'article 1729 du code général des impôts.

9. Il résulte de ce qui précède que Mme Galipienso est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement qu'elle attaque, le tribunal administratif de Nice a rejeté l'intégralité de ses conclusions tendant à la décharge de la majoration de 80 % à laquelle elle a été assujettie.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à Mme Galipienso au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du président de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Marseille du 20 novembre 2020 est annulée en tant qu'elle statue sur les pénalités pour manoeuvres frauduleuses.
Article 2 : La pénalité de 40 % prévue par le a de l'article 1729 du code général des impôts est substituée à la pénalité au taux de 80 % dont ont été assorties les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles Mme Galipienso a été assujettie au titre des années 2012 à 2014.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 15 octobre 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 de la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel de Mme Galipienso relatives aux pénalités est rejeté.
Article 5 : L'Etat versera à Mme Galipienso la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme A... Galipienso et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré à l'issue de la séance du 27 janvier 2022 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Stéphane Verclytte, conseiller d'Etat et M. Martin Guesdon, auditeur-rapporteur.

Rendu le 7 mars 2022.


Le président :
Signé : M. Guillaume Goulard
Le rapporteur :
Signé : M. Martin Guesdon
La secrétaire :
Signé : Mme B... C...



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