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Ariane Web: Conseil d'État 450363, lecture du 22 mars 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:450363.20220322

Décision n° 450363
22 mars 2022
Conseil d'État

N° 450363
ECLI:FR:CECHR:2022:450363.20220322
Inédit au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur
M. Philippe Ranquet, rapporteur public
SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; CABINET ROUSSEAU, TAPIE, avocats


Lecture du mardi 22 mars 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 mars et 4 juin 2021 et le 10 janvier 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) demande au Conseil d'Etat :

1°) à titre principal, de porter à quatre années la durée des interdictions prononcées à l'encontre de Mme B... A... par l'article premier de la décision n° CS 2020-58 du 16 décembre 2020 de la commission des sanctions de l'AFLD, et de réformer cette décision en ce qu'elle a de contraire à la décision du Conseil d'État à intervenir ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler l'article 1er de la décision attaquée en tant qu'il a limité à deux années les interdictions prononcées ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, d'annuler l'article 1er de la décision attaquée dans son ensemble et de prononcer des sanctions appropriées.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code du sport ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2018-1283 du 27 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de l'Agence française de lutte contre le dopage, et au cabinet Rousseau et Tapie, avocat de Mme A... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que le 27 juin 2019, à l'occasion de l'épreuve du contre-la-montre individuel féminin du championnat de France " Elite " de cyclisme, Mme B... A..., coureuse cycliste professionnelle, a fait l'objet d'un contrôle antidopage qui a révélé la présence dans ses urines d'érythropoïétine (EPO), substance figurant sur la liste des substances interdites en permanence annexée au décret n° 2018-1283 du 27 décembre 2018, répertoriée en tant que substance dite " non spécifiée ". Par une décision du 18 juillet 2019, la présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) l'a suspendue à titre conservatoire. Par une décision du 16 décembre 2020, la commission des sanctions de l'AFLD a prononcé à son encontre la sanction d'interdiction, pendant deux ans : 1° de participer directement ou indirectement à l'organisation ou au déroulement de toute manifestation sportive donnant lieu à une remise de prix en argent ou en nature, et des manifestations sportives autorisées par une fédération délégataire ou organisées par une fédération agréée ou par une ligue sportive professionnelle ainsi qu'aux entraînements y préparant organisés par une fédération agréée ou une ligue professionnelle ou l'un des membres de celles-ci ; 2° de prendre part à toute autre activité organisée par une fédération sportive, une ligue professionnelle ou l'un de leurs membres, ou le Comité national olympique et sportif français, ainsi qu'aux activités sportives impliquant des sportifs de niveau national olympique et sportif français, ainsi qu'aux activités sportives impliquant des sportifs de niveau national ou international et financées par une personne publique, à moins que ces activités ne s'inscrivent dans des programmes ayant pour objet la prévention du dopage ; 3° enfin, d'exercer les fonctions définies à l'article L. 212-1 du code du sport ainsi que toute fonction d'encadrement au sein d'une fédération agréée ou d'un groupement ou d'une association affiliés à la fédération. La présidente de l'AFLD conteste cette décision en tant qu'elle limite les interdictions prononcées à une durée de deux ans et demande, à titre principal, qu'elles soient portées à quatre ans.

2. Aux termes de l'article L. 232-9 du code du sport, dans sa version applicable aux faits litigieux : " I. - Est interdite la présence, dans l'échantillon d'un sportif, des substances figurant sur la liste mentionnée au dernier alinéa du présent article, de leurs métabolites ou de leurs marqueurs. Il incombe à chaque sportif de s'assurer qu'aucune substance interdite ne pénètre dans son organisme. / L'infraction au présent I est établie par la présence, dans un échantillon fourni par le sportif, d'une substance interdite, de ses métabolites ou de ses marqueurs, sans qu'il y ait lieu de rechercher si l'usage de cette substance a revêtu un caractère intentionnel. / II. - Il est interdit à tout sportif : / (...) / 3° De faire usage ou de tenter de faire usage d'une ou de plusieurs des substances ou méthodes interdites figurant sur la liste mentionnée au dernier alinéa du présent article. / (...) / La liste des substances et méthodes mentionnées au présent article est celle qui est élaborée en application de la convention internationale mentionnée à l'article L. 230-2 ou de tout autre accord ultérieur qui aurait le même objet et qui s'y substituerait ". Aux termes du I de l'article L. 232-23 du code du sport dans sa version alors applicable, l'AFLD peut prononcer à l'encontre d'un sportif ayant enfreint les dispositions de l'article L. 232-9 : " 2° Une interdiction temporaire ou définitive : / a) De participer directement ou indirectement à l'organisation et au déroulement de toute manifestation sportive donnant lieu à une remise de prix en argent ou en nature, et des manifestations sportives autorisées par une fédération délégataire ou organisées par une fédération agréée ou par une ligue sportive professionnelle ainsi qu'aux entraînements y préparant organisés par une fédération agréée ou une ligue professionnelle ou l'un des membres de celles-ci ; / b) D'exercer les fonctions définies à l'article L. 212-1 ; / c) D'exercer les fonctions de personnel d'encadrement ou toute activité administrative au sein d'une fédération agréée ou d'une ligue professionnelle, ou de l'un de leurs membres ; / d) Et de prendre part à toute autre activité organisée par une fédération sportive, une ligue professionnelle ou l'un de leurs membres, ou le comité national olympique et sportif français, ainsi qu'aux activités sportives impliquant des sportifs de niveau national ou international et financées par une personne publique, à moins que ces activités ne s'inscrivent dans des programmes ayant pour objet la prévention du dopage. / La sanction prononcée à l'encontre d'un sportif peut être complétée par une sanction pécuniaire dont le montant ne peut excéder 45 000 ?. (...) ". L'article L. 232-23-3-3 du même code dans sa rédaction alors applicable dispose que : " I.- La durée des mesures d'interdiction mentionnées au 2° du I de l'article L. 232-23 à raison d'un manquement à l'article L. 232-9 (...) : / 1° Est de quatre ans lorsque ce manquement implique une substance non spécifiée. Cette durée est ramenée à deux ans lorsque le sportif démontre qu'il n'a pas eu l'intention de commettre ce manquement ; / (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 232-23-3-10 du même code : " La durée des mesures d'interdiction prévues aux articles L. 232-23-3-3 à L. 232-23-3-8 peut être réduite par une décision spécialement motivée lorsque les circonstances particulières de l'affaire le justifient au regard du principe de proportionnalité ".

3. Il résulte de l'instruction que les analyses effectuées par le département des analyses de l'AFLD sur les échantillons prélevés lors du contrôle antidopage du 29 juin 2019 ont fait ressortir la présence, dans les urines de Mme A..., d'érythropoïétine, substance non spécifiée appartenant à la classe S2 des hormones peptidiques figurant sur la liste des substances interdites en compétition annexée au décret du 27 décembre 2018 portant publication de l'amendement à l'annexe I de la convention internationale contre le dopage dans le sport. L'intéressée a d'abord nié s'être dopée, avant de reconnaître, en mars 2020, avoir commandé dix fioles d'EPO 3000 Rejian sur un site internet et s'être elle-même injecté une unique dose en suivant un tutoriel sur internet. Elle a soutenu devant la commission des sanctions de l'AFLD avoir eu recours à l'EPO pour retrouver la confiance de son entraîneur sportif et obtenir le renouvellement de son contrat avec l'équipe Dolticini-Van Eyck pour des raisons purement sportives sans avoir à se soumettre aux pratiques humiliantes de son entraîneur, constitutives, selon elle, de harcèlement sexuel.

4. Après avoir constaté qu'il y avait en principe lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'infliger une interdiction d'une durée de quatre ans à Mme A..., en application des dispositions de l'article L. 232-23-3-3 du code du sport, la commission des sanctions a relevé, pour limiter les interdictions prononcées à deux ans, que Mme A... avait décidé d'avoir recours au dopage dans un " contexte particulièrement difficile ", alors qu'elle cherchait à réaliser des performances sportives pour échapper à des rapports malsains avec son directeur sportif, rétablir avec lui une relation sportive normale et demeurer au sein de l'équipe afin de continuer à pratiquer le cyclisme en compétition. Toutefois, contrairement à ce qu'a retenu la commission des sanctions dans la décision litigieuse, Mme A..., qui sollicite au demeurant elle-même la neutralisation de ce motif erroné, n'a pas été écartée de l'équipe lorsqu'elle a cessé d'envoyer les photographies demandées par le directeur sportif de son équipe et a continué à être engagée sur plusieurs courses avec cette équipe. En outre, si la commission a repris les déclarations de Mme A... qui a affirmé s'en être tenue à une " unique prise " d'EPO, l'avis exprimé par le département des analyses de l'Agence estimait plus probable que le profil identifié correspondait " au résultat d'au moins deux administrations successives espacées de quelques jours plutôt que d'une administration isolée ". Enfin, il ne résulte pas de l'instruction que la situation d'emprise que la commission des sanctions a cru pouvoir ainsi caractériser, sans au demeurant avoir fait usage des pouvoirs d'instruction qu'elle tient des articles L. 232-93 et L. 232-94 du code du sport, puisse avoir un lien avec le dopage de Mme A.... Il résulte de ce qui précède que la commission des sanctions s'est fondée sur des faits erronés pour retenir que des circonstances particulières justifiaient de réduire à deux ans la durée des interdictions prononcées.

5. Mme A..., sportive professionnelle, titulaire d'un diplôme " jeunesse, éducation sportive et sport ", spécialité perfectionnement sportif, mention cyclisme international, chargée de la section sport-études dans un lycée et alors vice-présidente de l'association française des coureurs cyclistes, ne pouvait ignorer le manquement caractérisé à l'éthique sportive et à la règlementation de la lutte contre le dopage auquel elle se livrait. Dès lors, la commission des sanctions de l'AFLD ne pouvait, sans porter atteinte à l'effet utile du dispositif de lutte antidopage, limiter à deux ans les interdictions qu'elle a prononcées. Au regard du principe de proportionnalité, et dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, comme le demande la présidente de l'AFLD, de porter à quatre ans la durée des interdictions mentionnées au point 1.

6. Il y a lieu de déduire de la durée des interdictions prononcées par la présente décision la période pendant laquelle la décision de la commission des sanctions de l'AFLD a produit effet. La présente décision, qui réforme la durée des interdictions prononcées par la décision du 16 novembre 2020, publiée sur le site internet de l'AFLD, implique qu'il en soit fait mention sur ce même site internet.

7. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur le fondement de ces dispositions par Mme A....


D E C I D E :
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Article 1er : La durée de la sanction d'interdiction faite à Mme A... 1° de participer directement ou indirectement à l'organisation ou au déroulement de toute manifestation sportive donnant lieu à une remise de prix en argent ou en nature, de même qu'aux manifestations sportives autorisées par une fédération délégataire ou organisées par une fédération agréée ou par une ligue sportive professionnelle ainsi qu'aux entraînements y préparant organisés par une fédération agréée ou une ligue professionnelle ou l'un des membres de celles-ci, 2° de prendre part à toute autre activité organisée par une fédération sportive, une ligue professionnelle ou l'un de leurs membres, ou le Comité national olympique et sportif français, ainsi qu'aux activités sportives impliquant des sportifs de niveau national ou international et financées par une personne publique, à moins que ces activités ne s'inscrivent dans des programmes ayant pour objet la prévention du dopage, 3° d'exercer les fonctions définies à l'article L. 212-1 du code du sport ainsi que toute fonction d'encadrement ou toute activité administrative au sein d'une fédération agréée ou d'une ligue professionnelle, ou d'un de leurs membres, est portée à quatre ans.

Article 2 : La décision de la commission des sanctions de l'AFLD du 16 décembre 2020 est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente décision.

Article 3 : La présente décision sera publiée sur le site internet de l'Agence française de lutte contre le dopage.
Article 4 : Les conclusions présentées par Mme A... au titre du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage, à Mme B... A..., à la Fédération française de cyclisme et au ministre de l'éducation, de la jeunesse et des sports. Copie en sera adressée au président de la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage.



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