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Ariane Web: Conseil d'État 443620, lecture du 22 avril 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:443620.20220422

Décision n° 443620
22 avril 2022
Conseil d'État

N° 443620
ECLI:FR:CECHR:2022:443620.20220422
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
Mme Isabelle Lemesle, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public


Lecture du vendredi 22 avril 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 2 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme E... L... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 2 du décret n° 2020-851 du 2 juillet 2020 portant réforme des congés bonifiés dans la fonction publique en tant qu'il exclut du champ d'application du décret n° 78-399 du 20 mars 1978 relatif à la prise en charge des frais de voyage du congé bonifié accordé aux magistrats, aux fonctionnaires civils de l'Etat et aux agents publics de l'Etat recrutés en contrat à durée indéterminée ceux de ces derniers qui exercent leurs fonctions en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie ou à Wallis-et-Futuna et qui ont le centre de leurs intérêts moraux et matériels sur le territoire européen de la France ou dans une autre collectivité régie par les articles 73 ou 74 de la Constitution ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre de compléter le décret n° 2020-851 du 2 juillet 2020 afin d'ouvrir le bénéfice des congés bonifiés aux magistrats, aux fonctionnaires civils de l'Etat et aux agents publics de l'Etat recrutés en contrat à durée indéterminée qui exercent leur fonction en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie ou à Wallis-et-Futuna et qui ont le centre de leurs intérêts moraux et matériels sur le territoire européen de la France ou dans une autre collectivité régie par les articles 73 ou 74 de la Constitution ;

3°) d'enjoindre au Premier ministre, dans l'attente de l'entrée en vigueur des mesures réglementaires qu'elle demande, d'autoriser les agents de l'Etat mentionnés au 2° à bénéficier des dispositions du décret n° 78-399 du 20 mars 1978.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution ;
- la loi n° 50-772 du 30 juin 1950 ;
- la loi n ° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n °84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 67-600 du 23 juillet 1967 ;
- le décret n° 78-399 du 20 mars 1978 ;
- le décret n° 96-1026 du 26 novembre 1996 ;
- le décret n° 96-1028 du 27 novembre 1996 ;
- le décret n° 98-844 du 22 septembre 1998 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;


Considérant ce qui suit :

1. Dans sa version antérieure au décret du 2 juillet 2020 portant réforme des congés bonifiés dans la fonction publique, le décret du 20 mars 1978 relatif, pour les départements d'outre-mer, à la prise en charge des frais de voyage de congés bonifiés accordés aux magistrats et fonctionnaires civils de l'Etat, permettait aux fonctionnaires de l'Etat exerçant dans un département outre-mer et à ceux dont le lieu de résidence habituelle se trouvait dans un département d'outre-mer et qui exerçaient leurs fonctions en métropole de bénéficier, tous les trente-six mois de service ininterrompus d'une part, de la prise en charge des frais de voyage aller et retour entre leur lieu d'affectation et leur lieu de résidence habituelle et d'autre part, d'une bonification de congé d'une durée maximale de trente jours consécutifs s'ajoutant au congé annuel.

2. Le décret du 2 juillet 2020 attaqué a réformé le dispositif dit des " congés bonifiés " en prévoyant la prise en charge des frais de voyage des agents tous les vingt-quatre mois de service ininterrompus tout en supprimant la bonification de congé de trente jours, afin de permettre aux bénéficiaires de regagner moins longtemps mais plus souvent le lieu où ils ont le centre de leurs intérêts matériels et moraux. Ce décret a, en outre, étendu le champ d'application du dispositif. Désormais, il bénéficie d'une part, à ceux dont le centre des intérêts moraux et matériels se trouve dans une collectivité d'outre-mer, y compris à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française ou en Nouvelle-Calédonie, et qui sont affectés sur le territoire européen de la France ou dans une autre collectivité d'outre-mer relevant de l'article 73 ou de l'article 74 de la Constitution, à l'exception de Wallis-et-Futuna, de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie et d'autre part, à ceux qui ont le centre de leurs intérêts moraux et matériels sur le territoire européen de la France et qui sont affectés dans une collectivité d'outre-mer relevant de l'article 73 ou de l'article 74 de la Constitution autre que Wallis-et-Futuna, la Polynésie française ou la Nouvelle-Calédonie.

3. Mme L..., enseignante titulaire affectée à Wallis-et-Futuna, soutient que les dispositions de l'article 2 du décret du 2 juillet 2020 dont elle demande l'annulation pour excès de pouvoir sont contraires au principe d'égalité, dès lors que les agents de l'Etat ayant le centre de leurs intérêts sur le territoire européen de la France et qui sont affectés dans cette collectivité d'outre-mer, comme d'ailleurs en Polynésie française ou en Nouvelle-Calédonie, ne bénéficient pas des " congés bonifiés ", contrairement d'une part, aux agents dont le centre des intérêts moraux et matériels se situe sur le territoire européen de la France et qui sont affectés dans une autre collectivité d'outre-mer et, d'autre part, aux agents de l'Etat dont le centre des intérêts moraux et matériels se trouve à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française ou en Nouvelle-Calédonie et qui sont affectés sur le territoire européen de la France ou dans une autre collectivité d'outre-mer.

4. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

5. Il résulte des dispositions des articles 1er et 4 de la loi du 30 juin 1950 fixant les conditions d'attribution des soldes et indemnités des fonctionnaires civils et militaires relevant du ministère de la France d'outre-mer, les conditions de recrutement, de mise en congé ou à la retraite de ces mêmes fonctionnaires que le régime des congés de ces personnels fait l'objet d'une réglementation particulière à l'intérieur d'une même catégorie de cadres et " d'un même territoire ou groupe de territoires ".

6. Le décret du 26 novembre 1996 relatif à la situation des fonctionnaires de l'Etat et de certains magistrats dans les territoires d'outre-mer de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie française et de Wallis-et-Futuna fixe les conditions particulières d'exercice des fonctions des agents affectés dans ces collectivités d'outre-mer en ce qui concerne la durée des séjours et le régime des congés. Il résulte de son article 2 que, à l'exclusion des agents de l'Etat, énumérés à l'article 3, chargés de fonctions juridictionnelles ou d'activités de recherche, la durée de l'affectation dans l'une de ces collectivités est limitée à deux ans et ne peut en principe être renouvelée qu'une seule fois à l'issue de la première affectation. En vertu de l'article 4 du même décret, les personnels qui n'entrent pas dans le champ de cette dérogation relative à la durée maximale d'affectation ont droit, en plus du congé annuel de droit commun, à un congé dit " administratif " d'une durée de deux mois, accordé à l'issue du séjour de deux ans ou, en cas de renouvellement, du second séjour. Il résulte enfin de l'article 41 du décret du 22 septembre 1998 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les changements de résidence des personnels civils de l'Etat à l'intérieur d'un territoire d'outre-mer, entre la métropole et un territoire d'outre-mer, entre deux territoires d'outre-mer et entre un territoire d'outre-mer et un département d'outre-mer, Mayotte ou la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon que ce congé " administratif " ouvre droit, à l'issue de l'affectation, à la prise en charge des frais de voyage de l'agent et de sa famille vers sa résidence habituelle ou sa résidence administrative d'origine, dès lors qu'elle se situe sur le territoire national.

7. Par les dispositions mentionnées au point 6, le pouvoir réglementaire a organisé un régime propre au séjour des agents de l'Etat affectés dans le groupe de territoires constitué des trois collectivités d'outre-mer situées dans le Pacifique, tenant compte de l'éloignement et des sujétions particulières qui s'imposent à eux, en limitant la durée de leur affectation et en leur permettant, à leur retour, dont les frais de voyage sont pris en charge dans les conditions rappelées précédemment, de bénéficier de congés supplémentaires à l'issue de ce séjour, tout en laissant à leur charge les frais de voyage qu'ils exposeraient dans le cas où ils feraient le choix de s'absenter de ces territoires au cours de leur séjour, quelle que soit leur destination.

8. Il résulte de ce qui vient d'être dit que les agents de l'Etat qui, comme la requérante, sont affectés à Wallis-et-Futuna dans les conditions susmentionnées se trouvent dans une situation différente des autres agents de l'Etat exerçant leurs fonctions dans d'autres collectivités d'outre-mer ou sur le territoire européen de la France, justifiant l'application d'un régime particulier exclusif de celui du dispositif des " congés bonifiés ". Eu égard aux avantages que comporte ce régime particulier et alors d'ailleurs que ces agents bénéficient, en outre, d'une majoration de rémunération et d'une indemnité d'éloignement d'un montant tenant compte des sujétions pesant sur eux, la différence de traitement qui en résulte, qui est en rapport direct avec l'objet des normes qui l'établissent, n'est pas manifestement disproportionnée au regard de la différence de situation.

9. Il résulte de ce qui précède que Mme L... n'est pas fondée à demander l'annulation des dispositions du décret qu'elle attaque. Sa requête doit donc être rejetée.


D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme L... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme E... L... et à la ministre de la transformation et de la fonction publiques.
Délibéré à l'issue de la séance du 4 avril 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. G... F..., M. Frédéric Aladjidi, présidents de chambre ; Mme J... C..., Mme A... M..., M. I... B..., M. K... D..., Mme Isabelle Lemesle, conseillers d'Etat et M. Arno Klarsfeld, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 22 avril 2022.


Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :
Signé : Mme Isabelle Lemesle

La secrétaire :
Signé : Mme H... N...




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