Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 463198, lecture du 25 avril 2022, ECLI:FR:CEORD:2022:463198.20220425

Décision n° 463198
25 avril 2022
Conseil d'État

N° 463198
ECLI:FR:CEORD:2022:463198.20220425
Inédit au recueil Lebon



Lecture du lundi 25 avril 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :
M. A... D... et M. B... C... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la Haute-Savoie et au Syndicat mixte d'accueil des gens du voyage sédentarisés ou non sédentarisés du Chablais (SYMAGEV) de mettre à disposition de leur groupe l'aire de grand passage d'Allinges ou une aire de stationnement adaptée à leurs besoins et située dans le Chablais ou à proximité immédiate au plus tard le 19 avril 2022, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2202207 du 14 avril 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande.

Par une requête, enregistrée le 15 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... et M. C... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 14 avril 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) d'enjoindre à l'Etat et au SYMAGEV de mettre à disposition des requérants et de leur groupe l'aire de grand passage d'Allinges ou une aire de stationnement adaptée à leurs besoins et située dans le Chablais ou à proximité immédiate, d'ici le 19 avril 2022, et sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et du SYMAGEV, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 2 000 euros pour couvrir leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel.


Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, ils doivent quitter l'aire de La Ravoire sur laquelle ils stationnent actuellement au plus tard le mardi 19 avril 2022, qu'ils ne peuvent accéder à l'aire de grand passage de Valence qu'à partir du 2 mai 2022, et qu'ils n'ont pas de lieux d'accueils susceptibles d'accueillir leur soixantaine de caravanes entre ces deux dates et, d'autre part, aucune des alternatives de stationnement qui leur sont proposées n'est acceptable ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;
- il est porté atteinte la liberté d'aller et venir dès lors qu'ils se trouvent dans l'impossibilité de séjourner dans le pays de Chablais ;
- sont méconnus le droit à mener une vie privée et familiale normale, le droit de mener une activité professionnelle et le droit de choisir son domicile ainsi que les obligations d'accueil des collectivités membres du SYMAGEV au titre de l'article 1er de la loi du 5 juillet 2000 en ce que, d'une part, le refus de stationnement contesté porte atteinte au déroulement normal et décent de leur vie et, d'autre part, la demande de stationnement a été effectuée entre dix jours et deux mois à l'avance et le terrain ne nécessite pas trois semaines de préparation ;
- l'ordonnance attaquée est irrégulière en ce que certaines pièces, fournies par le préfet au tribunal à l'issue de l'audience, ne leur ont pas été communiquées, en méconnaissance du principe du contradictoire ;
- elle est entachée d'une dénaturation des pièces du dossier en ce que, en premier lieu, le préfet n'apporte pas de justifications suffisantes quant à la date d'ouverture du 1er mai, en deuxième lieu, le schéma départemental indique que la date d'ouverture de l'aire de grand passage est fondée sur la programmation des voyages par les évangélistes, en troisième lieu, les besoins effectifs de l'ensemble des gens du voyage dans le département existent dès le mois d'avril dans une proportion suffisante pour justifier l'ouverture de l'aire et, en dernier lieu, les capacités disponibles dans les aires d'accueil permanentes se sont pas suffisantes pour accueillir le groupe.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 ;
- le décret n° 2019-171 du 5 mars 2019 ;
- le code de justice administrative ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

Sur le cadre juridique :

2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitation des gens du voyage : " I. - Les communes participent à l'accueil des personnes dites gens du voyage et dont l'habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles installées sur des aires d'accueil ou des terrains prévus à cet effet (...) / II. - Dans chaque département, au vu d'une évaluation préalable des besoins et de l'offre existante, notamment de la fréquence et de la durée des séjours des gens du voyage, de l'évolution de leurs modes de vie et de leur ancrage, des possibilités de scolarisation des enfants, d'accès aux soins et d'exercice des activités économiques, un schéma départemental prévoit les secteurs géographiques d'implantation et les communes où doivent être réalisés : / 1° Des aires permanentes d'accueil, ainsi que leur capacité ; / 2° Des terrains familiaux locatifs aménagés et implantés dans les conditions prévues à l'article L. 444-1 du code de l'urbanisme et destinés à l'installation prolongée de résidences mobiles, le cas échéant dans le cadre des mesures définies par le plan départemental d'action pour le logement et l'hébergement des personnes défavorisées, ainsi que le nombre et la capacité des terrains ; / 3° Des aires de grand passage, destinées à l'accueil des gens du voyage se déplaçant collectivement à l'occasion des rassemblements traditionnels ou occasionnels, ainsi que la capacité et les périodes d'utilisation de ces aires (...) / Les communes de plus de 5 000 habitants figurent obligatoirement au schéma départemental (...) ".
Sur l'ordonnance du 14 avril 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble :

3. M. D... et M. C... ont demandé au préfet de la Haute-Savoie, en tant que représentants d'un groupe de gens du voyage constitué d'une soixantaine de caravanes, l'autorisation d'occuper l'aire de grand passage d'Allinges du 17 avril au 2 mai 2022. Le 31 mars 2022, le préfet de la Haute-Savoie leur a opposé un refus aux motifs que le schéma départemental d'accueil et d'habitat des gens du voyage 2019-2025 ne prévoyait une ouverture de cette aire qu'à compter du 1er mai et que la demande était tardive dans la mesure où, d'une part, l'ouverture de l'aire nécessitait un temps de préparation d'environ trois semaines et, d'autre part, le schéma départemental exigeait que l'arrivée d'un groupe soit annoncée deux mois à l'avance. Par une ordonnance du 14 avril 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté leur demande de mise à disposition de leur groupe de l'aire de grand passage d'Allinges, au motif que le schéma départemental d'accueil ne prévoyait une ouverture de cette aire qu'à compter du 1er mai suivant.

4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, accessibles aux appelants par la voie de Télérecours, que ce juge n'a pas fondé son ordonnance sur des éléments qui n'auraient pas été communiqués au requérant. La circonstance que d'autres éléments, tels la note en délibéré du préfet, ne lui aurait pas été communiqués, n'est par suite pas de nature à entacher cette ordonnance d'irrégularité.

5. En deuxième lieu, il résulte des dispositions du 3° du II de l'article 1er de la loi du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage que le schéma départemental doit fixer le lieu d'implantation des aires de grand passage " ainsi que la capacité et les périodes d'utilisation de ces aires ". Il ressort des pièces du dossier soumis au tribunal administratif et il n'est pas contesté que le point 15.4 du schéma départemental d'accueil et d'habitat des gens du voyage 2019-2025 de la Haute-Savoie prévoit une ouverture des aires de grand passage chaque année à compter du 1er mai. Le préfet de Haute-Savoie pouvait, pour ce seul motif, refuser l'accès à l'aire de grand passage d'Allinges.

6. En troisième lieu, toutefois, les requérants soutiennent que ce schéma départemental d'accueil est illégal en tant qu'il n'autorise pas l'accès aux aires de grand passage du département avant le 1er mai chaque année. Ils soulignent que cette date a été fixée, aux termes du point 15.4 du schéma départemental d'accueil et d'habitat des gens du voyage de Haute-Savoie 2019-2025, " en relation avec la fréquentation des groupes sur le département : arrivées après le grand rassemblement de Nevoy fin avril, jusqu'à début septembre (foires) " et que ne seraient ainsi pris en compte que les besoins des groupes évangélistes. Ils soutiennent que d'autres groupes de gens du voyage aux effectifs importants voyagent parfois toute l'année et surtout de mars-avril à septembre-octobre, parmi lesquels les requérants, membres de l'association " France Liberté Voyage ". Ils en déduisent qu'il existe des besoins effectifs dans le département avant le 1er mai, comme l'illustre leur propre situation et l'ouverture des aires de grand passage où ils séjournaient précédemment dans les départements voisins (Moirans en Isère et La Ravoire en Savoie). Ils soulignent enfin que les aires de grand passage existantes sont vides hors saison et n'exigent qu'un entretien très rudimentaire compte-tenu de leur composition. Si la restriction de l'accès aux aires de grand passage est de nature à porter atteinte aux libertés fondamentales invoquées par les requérants, les éléments qu'il apportent ne sont pas assortis des précisions permettant, notamment au regard des critères de " fréquence " et " durée des séjours des gens du voyage " cités au point 2, d'établir que la date du 1er mai retenue par le schéma départemental d'accueil de Haute-Savoie pour l'ouverture des aires de grand passage serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation, alors d'ailleurs qu'elle était fixée au 1er juin par le précédent schéma d'accueil. Le moyen tiré de ce que le préfet de Haute-Savoie aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales en cause ne peut par suite qu'être écarté.
7. Dès lors, la requête de M. D... et M. C... doit être rejetée, ainsi que, par suite, leurs conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



O R D O N N E :
------------------
Article 1er : La requête de M. D... et M. C... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... D... et M. B... C....
Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et au préfet de la Haute-Savoie.
Fait à Paris, le 25 avril 2022
Signé : Thomas Andrieu