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Ariane Web: Conseil d'État 462784, lecture du 14 octobre 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:462784.20221014

Décision n° 462784
14 octobre 2022
Conseil d'État

N° 462784
ECLI:FR:CECHR:2022:462784.20221014
Publié au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Amélie Fort-Besnard, rapporteur
M. Clément Malverti, rapporteur public
SCP SEVAUX, MATHONNET, avocats


Lecture du vendredi 14 octobre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n° 21LY03504-21LY03506 du 31 mars 2022, enregistré le 31 mars 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Lyon, avant de statuer sur les demandes de M. et Mme C... tendant à l'annulation des jugements n° 2100408 et n° 2100410 du 24 juin 2021 du tribunal administratif de Dijon rejetant leurs demandes d'annulation des arrêtés du 21 décembre 2020 par lesquels le préfet de la Côte d'Or a refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant trois ans à l'encontre de M. C... et pendant deux ans à l'encontre de Mme C..., et à ce qu'il lui soit enjoint de réexaminer leur situation et de leur délivrer une autorisation provisoire durant ce réexamen, a décidé, en application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre les dossiers de ces demandes au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :

1°) Les dispositions L. 312-3 du code des relations entre le public et l'administration, issues de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d'une société de confiance, ont-elles pour effet de modifier la jurisprudence " Cortes-Ortiz " du 4 février 2015 et de rendre invocable une circulaire contenant des orientations générales '

2°) En cas de réponse affirmative à cette question, l'invocabilité de la circulaire est-elle seulement conditionnée par la publicité prévue par les dispositions des articles L. 312-2 et R. 312-8 du code des relations entre le public et l'administration, les dispositions de l'article R. 312-10 et D. 312-11 du même code étant alors regardées comme régissant seulement l'accès au droit '

3°) Est-elle également conditionnée par les mentions et l'inscription sur la liste des documents opposables prévues par les dispositions de l'article R. 312-10 et D. 312-11 du code des relations entre le public et l'administration, ces dispositions étant alors regardées comme régissant également l'opposabilité '

4°) En cas de réponse affirmative à cette question, cette condition pouvait-elle être légalement instituée par décret '

5°) Si une des conditions susmentionnées ou les deux conditions sont remplies, le membre de phrase mentionné à l'article L. 312-3 du code des relations entre le public et l'administration " même erronée " signifie-t-il également " même illégale " '

6 °) Dans l'hypothèse d'une invocabilité de la circulaire du 28 novembre 2012 susmentionnée, un ressortissant étranger qui n'a pas exécuté une ou plusieurs précédente(s) mesure(s) d'éloignement, entre-t-il dans les prévisions de la circulaire '

7°) Dans l'hypothèse où au moins une des conditions prévues pour l'invocabilité d'une circulaire n'est pas réunie, le moyen tiré de la méconnaissance de la circulaire est-il inopérant ou bien reste-t-il toujours opérant, comme c'est le cas pour l'application de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales '




Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;




Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. et Mme C... et de l'association ADDE ;



REND L'AVIS SUIVANT :


Sur le cadre juridique général :

1. D'une part, aux termes de l'article L. 312-2 du code des relations entre le public et l'administration, tel qu'issu de la loi du 10 août 2018 : " Font l'objet d'une publication les instructions, les circulaires ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives. Les instructions et circulaires sont réputées abrogées si elles n'ont pas été publiées, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret. / (...) ". Selon l'article R. 312-7 du même code, les instructions ou circulaires qui n'ont pas été publiées sur l'un des supports mentionnés aux articles R. 312-3-1 à R. 312-9 de ce code ne sont pas applicables et leurs auteurs ne peuvent s'en prévaloir à l'égard des administrés. En outre, " A défaut de publication sur l'un de ces supports dans un délai de quatre mois à compter de leur signature, elles sont réputées abrogées. ". En ce qui concerne les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l'Etat, l'article R. 312-8 prévoit qu'elles sont publiées sur un site relevant du Premier ministre.

2. D'autre part, l'article L. 312-3 du même code dispose que : " Toute personne peut se prévaloir des documents administratifs mentionnés au premier alinéa de l'article L. 312-2, émanant des administrations centrales et déconcentrées de l'Etat et publiés sur des sites internet désignés par décret. / Toute personne peut se prévaloir de l'interprétation d'une règle, même erronée, opérée par ces documents pour son application à une situation qui n'affecte pas des tiers, tant que cette interprétation n'a pas été modifiée. / Les dispositions du présent article ne peuvent pas faire obstacle à l'application des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l'environnement. ". L'article R. 312-10 du même code dispose que : " Les sites internet sur lesquels sont publiés les documents dont toute personne peut se prévaloir dans les conditions prévues à l'article L. 312-3 précisent la date de dernière mise à jour de la page donnant accès à ces documents ainsi que la date à laquelle chaque document a été publié sur le site. / Ces sites comportent, sur la page donnant accès aux documents publiés en application de l'article L. 312-3, la mention suivante : " Conformément à l'article L. 312-3 du code des relations entre le public et l'administration, toute personne peut se prévaloir de l'interprétation d'une règle, même erronée, opérée par les documents publiés sur cette page, pour son application à une situation qui n'affecte pas des tiers, tant que cette interprétation n'a pas été modifiée, sous réserve qu'elle ne fasse pas obstacle à l'application des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l'environnement ". / Les circulaires et instructions soumises aux dispositions de l'article R. 312-8 sont publiées sur les sites mentionnés au premier alinéa au moyen d'un lien vers le document mis en ligne sur le site mentionné à ce même article. ". L'article D. 312-11 du même code établit la liste des sites internet mentionnés au premier alinéa de l'article L. 312-3. Il précise que : " Lorsque la page à laquelle renvoient les adresses mentionnées ci-dessus ne donne pas directement accès à la liste des documents mentionnés à l'article L. 312-3, elle comporte un lien direct vers cette liste, identifié par la mention " Documents opposables ".

3. Il résulte de ces dispositions que le législateur a créé deux régimes de publication distincts des " instructions, (...) circulaires ainsi que [des] notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives ". Le premier, prévu à l'article L. 312-2 du code des relations entre le public et l'administration, institue une obligation de publication de ces documents, dont les articles R. 312-3-1 à R. 312-9 déterminent les supports, sous peine de caducité dans un délai de quatre mois à compter de leur signature. Le second, prévu à l'article L. 312-3 du même code, subordonne le droit de se prévaloir de " l'interprétation d'une règle, même erronée " contenue dans l'un des documents mentionnés à l'article L. 312-2 émanant des administrations centrales et déconcentrées de l'Etat, à une publication particulière sur " des sites internet désignés par décret ". L'article D. 312-11 donne la liste de ces sites pour la mise en oeuvre de cette condition ainsi prévue par la loi.

4. Les dispositions de l'article L. 312-3 du code des relations entre le public et l'administration instituent une garantie au profit de l'usager en vertu de laquelle toute personne qui l'invoque est fondée à se prévaloir, à condition d'en respecter les termes, de l'interprétation, même illégale, d'une règle contenue dans un document que son auteur a souhaité rendre opposable, en le publiant dans les conditions prévues aux articles R. 312-10 et D. 312-11 reproduits ci-dessus, tant qu'elle n'a pas été modifiée. En outre, l'usager ne peut bénéficier de cette garantie qu'à la condition que l'application d'une telle interprétation de la règle n'affecte pas la situation de tiers et qu'elle ne fasse pas obstacle à la mise en oeuvre des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l'environnement. Les mentions accompagnant la publication de ce document ont pour objet de permettre de s'assurer du caractère opposable de l'interprétation qu'il contient.

Sur la possibilité d'invoquer les orientations générales de la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 :

5. La décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux du 4 février 2015 Ministre de l'intérieur c/ M. B... A... a jugé que la personne en droit de prétendre à l'attribution d'un avantage prévu par un texte peut se prévaloir, devant le juge administratif, des lignes directrices publiées permettant de déterminer à qui l'attribuer parmi ceux qui sont en droit d'y prétendre, mais qu'il en va autrement lorsque l'administration a défini des orientations générales pour l'octroi d'une mesure de faveur au bénéfice de laquelle l'intéressé ne peut faire valoir aucun droit. Elle a jugé que la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 relative aux conditions d'examen des demandes d'admission au séjour déposées par des ressortissants étrangers en situation irrégulière dans le cadre des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile comportait des orientations générales destinées à éclairer les préfets dans l'exercice de leur pouvoir de prendre des mesures de régularisation des étrangers en situation irrégulière, mesures de faveur au bénéfice desquelles ceux-ci ne peuvent faire valoir aucun droit, et que les intéressés ne peuvent donc utilement se prévaloir de telles orientations à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir contre une décision préfectorale refusant de régulariser leur situation par la délivrance d'un titre de séjour.

6. En instituant le mécanisme de garantie de l'article L. 312-3 du code des relations entre le public et l'administration, le législateur n'a pas permis de se prévaloir d'orientations générales dès lors que celles-ci sont définies pour l'octroi d'une mesure de faveur au bénéfice de laquelle l'intéressé ne peut faire valoir aucun droit, alors même qu'elles ont été publiées sur l'un des sites mentionnés à l'article D. 312-11 précité. S'agissant des lignes directrices, le législateur n'a pas subordonné à leur publication sur l'un de ces sites la possibilité pour toute personne de s'en prévaloir, à l'appui d'un recours formé devant le juge administratif.

7. Dès lors qu'un étranger ne détient aucun droit à l'exercice par le préfet de son pouvoir de régularisation, il ne peut utilement se prévaloir, sur le fondement de ces dispositions, des orientations générales contenues dans la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 pour l'exercice de ce pouvoir.


8. Le présent avis sera notifié à la cour administrative d'appel de Lyon, à M. et Mme C..., à l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Il sera publié au Journal officiel de la République française.



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