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Ariane Web: Conseil d'État 444826, lecture du 17 octobre 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:444826.20221017

Décision n° 444826
17 octobre 2022
Conseil d'État

N° 444826
ECLI:FR:CECHR:2022:444826.20221017
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Pauline Hot, rapporteur
M. Stéphane Hoynck, rapporteur public
SCP THOUIN-PALAT, BOUCARD ; SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du lundi 17 octobre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 3 novembre 2016 de la société Electricité de France (EDF), implicitement confirmée par le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, lui refusant l'accès au centre nucléaire de production d'électricité de Saint-Alban Saint-Maurice-l'Exil (Isère).

Par un jugement n° 1606510 du 4 avril 2019, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer refusant l'accès à ce centre nucléaire de production d'électricité.

Par un arrêt n° 19LY02162, 19LY02163, 19LY02164 du 12 mars 2020, la cour administrative d'appel de Lyon, faisant droit à l'appel formé par la société EDF et par le ministre de la transition écologique et solidaire, a annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par M. A....

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'État les 23 septembre et 23 décembre 2020, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la société EDF et du ministre de la transition écologique et solidaire ;

3°) de mettre à la charge de l'État et de la société EDF le versement à la SCP Thouin-Palat, Boucard, son avocat, d'une somme de 5 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la défense ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Hot, auditrice,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de M. A... et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat d'Electricité de France ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 3 novembre 2016, l'assistant préparateur de la section protection du site du centre nucléaire de production d'électricité de Saint-Alban Saint-Maurice-l'Exil (Isère) a refusé l'accès à ce centre à M. A..., ouvrier monteur dans la spécialité de logistique nucléaire. Par un arrêt du 12 mars 2020, contre lequel ce dernier se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé le jugement du 4 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Grenoble avait annulé pour excès de pouvoir la décision implicite du ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer ayant rejeté le recours gracieux formé par l'intéressé contre le refus d'accès qui lui avait été opposé.

2. En vertu de l'article L. 1332-1 du code de la défense : " Les opérateurs publics ou privés exploitant des établissements ou utilisant des installations et ouvrages, dont l'indisponibilité risquerait de diminuer d'une façon importante le potentiel de guerre ou économique, la sécurité ou la capacité de survie de la nation, sont tenus de coopérer à leurs frais dans les conditions définies au présent chapitre, à la protection desdits établissements, installations et ouvrages contre toute menace, notamment à caractère terroriste ". Aux termes de l'article L. 1332-2-1 du même code : " L'accès à tout ou partie des établissements, installations et ouvrages désignés en application du présent chapitre est autorisé par l'opérateur qui peut demander l'avis de l'autorité administrative compétente dans les conditions et selon les modalités définies par décret en Conseil d'Etat. / L'avis est rendu à la suite d'une enquête administrative (...) La personne concernée est informée de l'enquête administrative dont elle fait l'objet ". L'article R. 1332-22-1 du même code précise que : " Avant d'autoriser l'accès d'une personne physique ou morale à tout ou partie d'un point d'importance vitale qu'il gère ou utilise, l'opérateur d'importance vitale peut demander par écrit l'avis du préfet de département dans le ressort duquel se situe le point d'importance vitale (...). / Cette demande peut justifier que soit diligentée sous le contrôle de l'autorité concernée une enquête administrative destinée à vérifier que les caractéristiques de la personne physique ou morale intéressée ne sont pas incompatibles avec l'accès envisagé et pouvant donner lieu à la consultation des traitements automatisés de données personnelles mentionnés à l'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978. (...) ". Aux termes de l'article R. 1332-22-3 du code de la défense: " L'opérateur d'importance vitale informe par écrit la personne concernée de la demande d'avis formulée auprès de l'autorité administrative et lui indique que, dans ce cadre, elle fait l'objet d'une enquête administrative conformément aux dispositions de l'article L. 1332-2-1 du présent code ". Enfin, l'article R. 1332-33 du même code dispose que : " Préalablement à l'introduction d'un recours contentieux contre tout acte administratif pris en application du présent chapitre (...), le requérant adresse un recours administratif au ministre coordonnateur du secteur d'activités dont il relève. Le ministre statue dans un délai de deux mois. En l'absence de décision à l'expiration de ce délai, le recours est réputé être rejeté ".

3. En vertu de ces dispositions, l'accès d'une personne à une installation d'importance vitale peut être refusé par l'exploitant de l'installation lorsque les caractéristiques de cette personne ne sont pas compatibles avec cet accès. L'exploitant peut solliciter par écrit l'avis du préfet de département, lequel peut demander à ce que soit diligentée une enquête administrative destinée à vérifier que les caractéristiques de la personne physique ou morale intéressée ne sont pas incompatibles avec l'accès envisagé. Lorsqu'il est saisi, par le recours administratif prévu à l'article R. 1332-33 à titre de préalable obligatoire, d'une décision de refus d'accès à une telle installation, il appartient au ministre compétent d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les caractéristiques de la personne concernée sont effectivement incompatibles avec l'accès à l'installation en cause.

4. Pour annuler, par l'arrêt attaqué, le jugement du tribunal administratif de Grenoble qui avait annulé la décision du ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer ayant rejeté le recours gracieux formé par M. A... contre le refus d'accès au centre nucléaire de production d'électricité de Saint-Alban Saint-Maurice-l'Exil qui lui avait été opposé, la cour administrative d'appel s'est bornée à juger que ce refus n'était pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. M. A... est fondé à soutenir qu'en statuant ainsi, la cour a commis une erreur de droit et à demander, pour ce motif, l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. Il ressort des pièces du dossier et notamment des éléments mentionnés dans la note du 26 septembre 2016 du service départemental du renseignement territorial de la Loire, dans celle du 22 février 2019 du service central du renseignement territorial et dans la note de synthèse du 21 mai 2019 du service de défense, de sécurité et d'intelligence économique du ministère de la transition écologique et solidaire que M. A... revendique son appartenance à la mouvance salafiste, que son épouse a fait l'objet d'un signalement pour radicalisation et qu'il est en relation avec plusieurs personnes signalées pour radicalisation. En se fondant sur ces éléments, qui sont suffisamment étayés par les pièces versées au dossier, pour caractériser l'incompatibilité du comportement et des fréquentations de l'intéressé avec l'autorisation sollicitée et refuser pour ce motif l'accès sollicité, l'autorité administrative n'a pas fait une inexacte application des dispositions précédemment citées du code de la défense. C'est, par suite, à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur une erreur d'appréciation de l'autorité administrative pour annuler la décision du ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer rejetant le recours de M. A... contre la décision lui refusant l'accès au centre nucléaire de production d'électricité de Saint-Alban Saint-Maurice-l'Exil.

7. Il appartient toutefois au Conseil d'Etat, saisi par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. A....

8. En premier lieu, la décision intervenue sur recours administratif préalable obligatoire devant le ministre s'est substituée à la décision initiale du 3 novembre 2016 par laquelle la société Electricité de France avait refusé au requérant l'accès au centre nucléaire de production d'électricité de Saint-Alban Saint-Maurice-l'Exil. Dès lors, M. A... ne peut utilement soutenir que la décision du 3 novembre 2016 serait entachée d'incompétence ou de défaut de motivation.

9. En second lieu, la décision du 3 novembre 2016 refusant à M. A... l'accès au centre nucléaire de production d'électricité de Saint-Alban Saint-Maurice-l'Exil a été prise à la suite d'une demande de renouvellement de cet accès présentée le 4 juillet 2016 par la société Nuvia Protection, employeur de M. A..., ce dernier y travaillant depuis la mi-février 2016. Il n'est pas contesté que, conformément à l'annexe 4 à la note établie en 2015 par le service d'accueil, de logistique et de protection de ce centre nucléaire, M. A... s'est vu remettre, à l'occasion de la délivrance de sa première autorisation d'accès, un courrier d'information relatif à la demande d'avis sur l'accès auprès de l'autorité administrative et à l'enquête administrative précédant cet avis. Par suite, le moyen tiré de ce qu'il n'aurait pas été informé de cette demande d'avis et de cette enquête ne peut qu'être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la transition écologique et solidaire et la société Électricité de France sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement qu'ils attaquent, le tribunal administratif de Grenoble a annulé la décision du ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer refusant à M. A... l'accès au centre nucléaire de production d'électricité.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat et de la société EDF qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er et 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 12 mars 2020 et le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 4 avril 2019 sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Grenoble est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. A... et par la société EDF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B... A..., au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société Electricité de France.

Délibéré à l'issue de la séance du 19 septembre 2022 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et Mme Pauline Hot, auditrice-rapporteure.

Rendu le 17 octobre 2022.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl

La rapporteure :
Signé : Mme Pauline Hot
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain



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