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Décision n° 455516
21 octobre 2022
Conseil d'État

N° 455516
ECLI:FR:CECHR:2022:455516.20221021
Inédit au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Sébastien Gauthier, rapporteur
M. Clément Malverti, rapporteur public


Lecture du vendredi 21 octobre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 455516, par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 12 août 2021, 28 février et 23 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés SANEF et SAPN demandent au Conseil d'Etat :
- d'annuler pour excès de pouvoir le 2° de l'article 2 du décret n° 2021-159 du 12 février 2021 relatif aux obligations s'appliquant aux conventions de délégation autoroutières en matière de transition écologique ainsi que les b) et d) du 1 du III de l'article 1er de l'arrêté du 15 février 2021 portant modification de l'arrêté du 8 août 2016 fixant les conditions d'organisation du service public sur les installations annexes situées sur le réseau autoroutier concédé ;
- d'annuler la décision implicite du 14 juin 2021 par laquelle le Premier ministre, la ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire chargé des transports ont rejeté leur demande en date du 14 avril 2021 tendant au retrait du 2° de l'article 2 du décret n° 2021-159 du 12 février 2021 et des b) et d) du 1 du III de l'article 1er de l'arrêté du 15 février 2021 ;


2° Sous le n° 455517, par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 12 août 2021, 28 février et 21 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les sociétés ASF, Cofiroute et Escota demandent au Conseil d'Etat :
- d'annuler pour excès de pouvoir les articles 2 et 3 du décret n° 2021-159 du 12 février 2021, ainsi que le a) du I, les 1 et 3 du III, les a) à d) du IV et le V de l'article 1er de l'arrêté du 15 février 2021;
- d'annuler la décision implicite du 13 juin 2021 par laquelle le Premier ministre, la ministre de la transition écologique et solidaire et le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire chargé des transports ont rejeté leur demande en date du 7 avril 2021 tendant au retrait des articles 2 et 3 du décret n° 2021-159 du 12 février 2021 et du a) du I, des paragraphes 1 et 3 du III, des a) à d) du IV et du V de l'article 1er de l'arrêté du 15 février 2021.

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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'énergie ;
- le code de la voirie routière ;
- le décret n° 2017-1673 du 8 décembre 2017 ;
- le décret n° 2020-869 du 15 juillet 2020 ;
- le décret n° 2021-153 du 12 février 2021 ;
- le code de justice administrative ;




Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sébastien Gauthier, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées le 23 septembre 2022, présentées par les sociétés SANEF et SAPN, et par les sociétés ASF, Cofiroute et Escota ;




Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes des sociétés SANEF et SAPN, d'une part, et des sociétés ASF, Cofiroute et Escota, d'autre part, sont dirigées contre les mêmes décisions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes de l'article L. 122-4 du code de la voirie routière, dans sa rédaction applicable au litige : " L'usage des autoroutes est en principe gratuit. / Toutefois, il peut être institué par décret en Conseil d'Etat, pris après avis de l'Autorité de régulation des transports, un péage pour l'usage d'une autoroute en vue d'assurer la couverture totale ou partielle des dépenses de toute nature liées à la construction, à l'exploitation, à l'entretien, à l'aménagement ou à l'extension de l'infrastructure. / En cas de concession des missions du service public autoroutier, le péage couvre également la rémunération et l'amortissement des capitaux investis par le concessionnaire. (...) / La convention de concession et le cahier des charges annexé fixent les conditions dans lesquelles le concessionnaire exerce les missions qui lui sont confiées par l'Etat et en contrepartie desquelles il est autorisé à percevoir des péages. Ces actes sont approuvés par décret en Conseil d'Etat, le cas échéant dans les conditions prévues à l'article L. 122-8. (...) / Toute nouvelle convention de délégation doit prévoir : / 1° La mise à la disposition des usagers d'un nombre minimum de places de parkings de covoiturage ou de bus express, en fonction de la taille et de la géographie du réseau ; / 2° Une stratégie de renforcement et de déploiement de stations d'avitaillement en carburants alternatifs, au sens de l'article 1er du décret n° 2017-1673 du 8 décembre 2017 portant diverses mesures réglementaires de transposition de la directive 2014/94/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs ; / 3° La mise en place d'une tarification différenciée selon les niveaux d'émissions des véhicules. / Tout nouvelle convention de délégation peut également prévoir la mise en place d'une tarification solidaire adaptée pour les publics fragiles. / Les conditions d'application des 1° à 3° du présent article sont définies par voie réglementaire, après avis de l'Autorité de régulation des transports (...) ".

3. Aux termes de l'article L. 122-29 du code de la voirie routière : " L'autorité administrative arrête les conditions d'organisation du service public sur les installations annexes situées sur le réseau autoroutier concédé. ". L'article D. 122-46 du même code dispose que : " L'autorité administrative mentionnée à l'article L. 122-29 est le ministre chargé de la voirie routière nationale. "

4. L'article 2 du décret du 12 février 2021 relatif aux obligations s'appliquant aux conventions de délégation autoroutières en matière de transition écologique insère dans le code de la voirie routière, un article D. 122-46-1 aux termes duquel : " Les délégataires du service public autoroutier assurent, à destination de l'ensemble des usagers, un service de distribution en sources d'énergies usuelles destinées aux véhicules sur les installations annexes à caractère commercial. Constitue une source d'énergie usuelle au sens de la présente disposition, respectivement pour les véhicules légers et les poids lourds, toute source d'énergie utilisée par plus de 1,5 % des véhicules à moteur immatriculés pendant deux années consécutives ou par au moins 5 % du parc de véhicules à moteur en circulation. / Un arrêté du ministre chargé de la voirie routière nationale définit le niveau de service minimal en fonction de la fréquentation des installations ainsi que les conditions, notamment d'application dans le temps, dans lesquelles les délégataires du service public autoroutier sont tenus d'assurer le niveau de service minimal requis. " L'article 3 du même décret précise que ces dispositions s'appliquent aux conventions de délégation autoroutières en cours à la date d'entrée en vigueur de ce décret.

5. En application des dispositions citées au point 4, l'arrêté du 15 février 2021 de la ministre de la transition écologique et du ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports, a modifié l'arrêté du 8 août 2016 fixant les conditions d'organisation du service public sur les installations annexes situées sur le réseau autoroutier concédé, pour préciser les exigences minimales applicables à la distribution des sources d'énergie usuelles, s'agissant notamment du nombre de points de distribution.

6. Les sociétés SANEF et SAPN demandent l'annulation pour excès de pouvoir du 2° de l'article 2 du décret du 12 février 2021, des b) et d) du 1 du III de l'article 1er de l'arrêté du 15 février 2021 pris en application de celui-ci, ainsi que de la décision implicite par laquelle le Premier ministre, la ministre de la transition écologique et le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports, ont rejeté leur demande tendant au retrait de ces dispositions. Les sociétés ASF, Cofiroute et Escota demandent l'annulation pour excès de pouvoir des articles 2 et 3 du décret du 12 février 2021, du a) du I, des 1 et 3 du III, des a) à d) du IV et du V de l'article 1er de l'arrêté du 15 février 2021 susvisé, ainsi que de la décision implicite par laquelle le Premier ministre, la ministre de la transition écologique et le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports, ont rejeté leur demande tendant au retrait de ces dispositions.

7. En premier lieu, les dispositions attaquées du décret du 12 février 2021, qui fixent les conditions d'organisation du service public sur les installations annexes situées sur le réseau autoroutier concédé, ont été prises pour l'application des dispositions des articles L. 122-29 et D. 122-46 du code de la voirie routière, citées au point 3, qui donnent compétence au ministre chargé de la voirie routière nationale pour arrêter ces conditions d'organisation. La circonstance que ces dispositions aient été prises par décret et non par arrêté ministériel est sans incidence sur leur légalité dès lors que ce décret a été contresigné par la ministre de la transition écologique, chargée de la voirie routière nationale. Par suite, le moyen tiré de ce qu'elles auraient été prises par une autorité incompétente doit être écarté.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 141-21 du code de l'énergie : " ... le Conseil supérieur de l'énergie est consulté sur : / 1° L'ensemble des actes de nature réglementaire émanant du Gouvernement, intéressant le secteur de l'électricité ou du gaz, à l'exception de ceux qui relèvent du domaine de compétence de la Caisse nationale des industries électriques et gazières ; (...) ". Le décret du 12 février 2021 et l'arrêté du 15 février 2021, qui ont pour objet de fixer les conditions d'organisation du service public sur les installations annexes situées sur le réseau autoroutier concédé, ne sauraient être regardés comme des actes réglementaires intéressant le secteur de l'électricité ou du gaz au sens de ces dispositions. Dès lors, les requérantes ne peuvent utilement invoquer la méconnaissance de l'obligation de consultation qu'elles fixent.

9. En troisième lieu, les requérantes ne peuvent utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 122-4 du code de la voirie routière issues de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités, que les actes attaqués n'ont pas pour objet de mettre en oeuvre.

10. En quatrième lieu, aux termes du I de l'article L. 100-4 du code de l'énergie : " Pour répondre à l'urgence écologique et climatique, la politique énergétique nationale a pour objectifs : 1° De réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 en divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six entre 1990 et 2050. (...) / 3° De réduire la consommation énergétique primaire des énergies fossiles de 40 % en 2030 par rapport à l'année de référence 2012, en modulant cet objectif par énergie fossile en fonction du facteur d'émissions de gaz à effet de serre de chacune. Dans cette perspective, il est mis fin en priorité à l'usage des énergies fossiles les plus émettrices de gaz à effet de serre ".

11. Il ressort des pièces du dossier que les dispositions attaquées, qui imposent d'assurer sur les installations annexes situées sur le réseau autoroutier concédé la distribution des diverses sources d'énergie usuelles, dès lors que le nombre de véhicules qui les utilisent dépasse certains seuils, visent à contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre en favorisant notamment le développement des installations de recharge pour véhicules électriques. En tout état de cause, la circonstance que les obligations qu'elles fixent soient déterminées en fonction du nombre minimal de véhicules utilisant chaque source d'énergie et non des effets de celles-ci sur les émissions de gaz à effet de serre ne caractérise pas une méconnaissance des objectifs de la politique énergétique énoncés par les dispositions citées au point 10.

12. En cinquième lieu, les dispositions de l'article L. 122-29 du code de la voirie routière doivent être interprétées, eu égard aux motifs d'intérêt général liés à l'organisation du service public sur les installations annexes situées sur le réseau autoroutier concédé, comme ayant implicitement autorisé l'application des dispositions prises pour son application aux relations contractuelles en cours. Par suite, le moyen tiré de ce que, faute de toute habilitation donnée par la loi, les dispositions attaquées porteraient une atteinte aux situations contractuelles en cours, ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

13. En sixième lieu, aux termes du 1° de l'article 3 de l'arrêté du 8 août 2016, dans sa version issue du b) du 1 du III de l'arrêté attaqué : " Toutes les sources d'énergies usuelles, telles que définies à l'article D. 122-46-1 du code de la voirie routière, sont distribuées au plus tard au 1er janvier de l'année N + 3, N étant l'année calendaire où l'un des seuils prévus à l'article D. 122-46-1 du code de la voirie routière est atteint ".

14. Il ressort des pièces du dossier, en particulier des données relatives aux immatriculations de véhicules présentées par la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires à l'appui de la mesure d'instruction diligentée par la 2ème chambre de la section du contentieux, issues de statistiques rendues publiques sur le site internet du ministère de la transition écologique, qu'en application des dispositions combinées de l'article D. 122-46-1 du code de la voirie routière et du 1° de l'article 3 de l'arrêté du 8 août 2016, compte tenu du franchissement par les véhicules électriques en 2019 et en 2020 des seuils d'immatriculation fixés par l'article D. 122-46-1, l'obligation de distribution des sources d'énergie usuelles s'appliquera aux installations de recharge de véhicules électriques pour les véhicules légers à compter du 1er janvier 2023. Les données relatives aux immatriculations de poids lourds par source d'énergie n'étant disponibles qu'à compter de 2020, année au cours de laquelle le seuil a été dépassé pour les véhicules utilisant du gaz naturel, l'obligation de distribution de gaz naturel pour les poids lourds n'est pas susceptible de s'appliquer avant le 1er janvier 2024. Dans ces conditions, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'incertitude affectant la date d'entrée en vigueur et le périmètre des obligations établies par les dispositions attaquées porterait atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la norme, ni que ces obligations seraient entachées d'une rétroactivité illégale.

15. En septième lieu, le 4° de l'article 3 de l'arrêté du 8 août 2016, dans sa version issue du e) du 1 du III de l'arrêté attaqué, prévoit que, sous certaines conditions, le délégataire du service public autoroutier peut solliciter auprès du ministre chargé de la voirie routière un délai plus important pour le déploiement de toute nouvelle source d'énergie usuelle sur une aire ou de points de distribution en nombre adapté. En outre, le décret n° 2021-153 du 12 février 2021 instaurant une aide en faveur des investissements relatifs aux installations de recharge rapide pour véhicules électriques sur les grands axes routiers, a mis en place un dispositif de financement susceptible de bénéficier aux sociétés concessionnaires d'autoroutes, aux sous-concessionnaires d'autoroutes et aux opérateurs spécialisés. Les requérantes, qui se bornent à des allégations générales, n'apportent aucun élément, en particulier sur l'état du déploiement ni sur l'avancement des projets d'installation de recharge de véhicules électriques dans les aires de service concernées par cette nouvelle obligation, qui serait de nature à établir que son application à compter de la date indiquée au point 14 entraînerait une atteinte excessive à leurs intérêts, et porterait par suite atteinte au principe de sécurité juridique.

16. En huitième lieu, les sociétés requérantes ne sauraient utilement se prévaloir du principe d'égalité pour contester la différence de traitement entre, d'une part, les concessionnaires et sous-concessionnaires du réseau autoroutier concédé et, d'autre part, les gestionnaires du réseau autoroutier non concédé et les exploitants des aires de service situées sur ce réseau, qui résulte des dispositions de l'article L. 122-29 du code de la voirie routière.

17. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que les auteurs des dispositions attaquées auraient commis une erreur manifeste d'appréciation, au regard des besoins des usagers du service public autoroutier, d'une part dans la mise en oeuvre du principe d'une définition des obligations de distribution de chaque source d'énergie en fonction de la proportion de véhicules qui l'utilisent, sans différenciation entre les sources d'énergie, d'autre part dans la fixation des seuils au-delà desquels ces obligations s'appliquent, enfin dans la détermination du niveau des obligations qui en résultent en ce qui concerne le déploiement d'installations de recharge de véhicules électriques et de fourniture de gaz naturel pour les véhicules.

18. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés SANEF, SAPN, ASF, Cofiroute et Escota ne sont pas fondées à demander l'annulation du décret et de l'arrêté qu'elles attaquent.


D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes des sociétés SANEF, SAPN, ASF, Cofiroute et Escota sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée aux sociétés SANEF et ASF, premières requérantes dénommées, et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie sera transmise au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ainsi qu'au Premier ministre.