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Ariane Web: Conseil d'État 464397, lecture du 8 décembre 2022, ECLI:FR:CECHR:2022:464397.20221208

Décision n° 464397
8 décembre 2022
Conseil d'État

N° 464397
ECLI:FR:CECHR:2022:464397.20221208
Inédit au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Alexandre Trémolière, rapporteur
M. Philippe Ranquet, rapporteur public
SARL DELVOLVE ET TRICHET, avocats


Lecture du jeudi 8 décembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 mai et 13 octobre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la fédération des distributeurs alimentaires spécialisés demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'article 17 du décret n° 2022-423 du 25 mars 2022 relatif à l'aide exceptionnelle à l'acquisition de carburants ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des transports ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Trémolière, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la fédération des distributeurs alimentaires spécialisés ;


Considérant ce qui suit :

1. Le décret du 25 mars 2022 relatif à l'aide exceptionnelle à l'acquisition de carburants, modifié à plusieurs reprises, a instauré au bénéfice de l'ensemble des consommateurs finals, de la fin mars 2022 au 31 décembre 2022, une aide portant sur le prix de certains carburants, initialement fixée, pour les gazoles et essences éligibles, à un montant de 15 euros par hectolitre. Cette aide est versée par l'Agence de service et de paiements aux opérateurs qui fournissent pour une distribution en France les carburants éligibles. Un accord conclu entre les représentants du secteur de la distribution de ces carburants prévoit sa répercussion dans les prix. La fédération des distributeurs alimentaires spécialisés (FEDALIS) demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 17 de ce décret.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 3221-1 du code des transports : " Tout prestataire de transport public routier de marchandises (...) est tenu d'offrir ou de pratiquer un prix qui permette de couvrir à la fois : - les charges entraînées par les obligations légales et réglementaires, notamment en matière sociale et de sécurité ;/ - les charges de produits énergétiques et d'entretien ; - les amortissements ou les loyers des véhicules ; - les frais de route des conducteurs de véhicules ; - les frais de péage ; - les frais de documents de transport et les timbres fiscaux ; et, pour les entreprises unipersonnelles, la rémunération du chef d'entreprise ". D'autre part, l'article L. 3221-2 du même code dispose que " Toute opération de transport public routier de marchandises est rémunérée sur la base : (...) 4° Des charges de produits énergétiques nécessaires à la réalisation de l'opération de transport ". Selon l'article L. 3222-1 du même code : " I.- Lorsque le contrat de transport mentionne les charges de carburant retenues pour l'établissement du prix de l'opération de transport, le prix de transport initialement convenu est révisé de plein droit pour couvrir la variation des charges liée à la variation du coût du carburant entre la date du contrat et la date de réalisation de l'opération de transport. La facture fait apparaître les charges de carburant supportées par l'entreprise pour la réalisation de l'opération de transport. (...) ". Aux termes de l'article L. 3222-2 du même code : " I.- A défaut de stipulations contractuelles identifiant les charges de carburant dans les conditions définies au I de l'article L. 3222-1, celles-ci sont déterminées, au jour de la commande de transport, par référence au prix du gazole publié par le Comité national routier et à la part des charges de carburant dans le prix du transport, telle qu'établie dans les indices synthétiques du Comité national routier. Le prix du transport initialement convenu est révisé de plein droit en appliquant aux charges de carburant la variation de l'indice gazole publié par le Comité national routier sur la période allant de la date de la commande de l'opération de transport à sa date de réalisation. La facture fait apparaître les charges de carburant supportées par l'entreprise pour la réalisation de l'opération de transport (...) ". Enfin les articles L. 3242-2 et L. 3242-3 du même code ont institué des sanctions pénales en cas de méconnaissance, par un prestataire de transport des obligations résultant des dispositions de l'article L. 3221-1 et par le cocontractant du transporteur routier, des obligations résultant pour lui de l'application des articles L. 3222-1 et L. 3222-2.

3. L'article 17 du décret du 25 mars 2022, contesté par la requête, prévoit que : " Pour l'application de l'article L. 3222-1 du code des transports, les charges et le coût du carburant sont déterminés sans intégrer le tarif de l'aide. / Pour l'application de l'article L. 3222-2 du code des transports, les charges de carburant ainsi que les prix et indices des carburants publiés par le Comité national routier sont déterminés sans intégrer le tarif de l'aide ".

4. Il résulte toutefois des dispositions législatives citées au point 2 que les contrats de transport routier de marchandises doivent, selon les modalités définies aux articles L. 3222-1 et L. 3222-2 du code des transports au regard, respectivement, de l'existence ou de l'absence d'une stipulation identifiant les charges de carburant retenues pour l'établissement du prix de l'opération de transport, assurer la prise en compte des charges de carburants effectivement supportées par le transporteur, y compris l'éventuelle variation du coût des carburants qui serait constatée entre la date de signature du contrat et celle de réalisation du transport, quelle qu'en soit le sens et la cause.

5. D'une part, en prévoyant que l'aide n'entre pas dans la définition et le calcul des charges de carburants et en faisant ainsi obstacle à ce qu'elle soit intégrée dans les mécanismes de détermination des charges et du coût du carburant, le premier alinéa de l'article 17 du décret attaqué a méconnu les dispositions des articles L. 3221-2 et L. 3222-1 du code des transports. D'autre part, si le pouvoir réglementaire pouvait préciser les modalités selon lesquelles le Comité national routier définit les prix et indices auxquels se réfèrent les dispositions de l'article L. 3222-2 du code des transports, le second alinéa de l'article 17 du décret du 25 mars 2022, qui a pour effet de modifier le mécanisme d'indexation des prix et charges des contrats concernés par ces dispositions en le fondant sur des données qui ne sont plus en rapport direct avec ceux effectivement constatés, a méconnu l'objet des dispositions de cet article L. 3222-2.

6. Il résulte de ce qui précède que la fédération requérante est fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 17 du décret qu'elle attaque.

Sur les effets de l'annulation prononcée :

7. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de sa décision prononçant l'annulation contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.

8. Eu égard aux conséquences manifestement excessives qui résulteraient de l'annulation rétroactive de l'article 17 du décret attaqué sur les contrats de transport exécutés depuis son entrée en vigueur et pour la stabilité des situations qui ont pu se constituer au cours de cette période, et alors qu'aucun autre moyen n'est de nature à justifier l'annulation de ces dispositions, il y a lieu de déroger au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses en différant l'effet de l'annulation prononcée au 1er janvier 2023 et en précisant que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision, les effets des dispositions litigieuses doivent être regardés comme définitifs.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la FEDALIS au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : L'article 17 du décret n° 2022-423 du 25 mars 2022 relatif à l'aide exceptionnelle à l'acquisition de carburants est annulé. Cette annulation prendra effet le 1er janvier 2023.
Article 2 : Sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur son fondement, les effets antérieurs à cette annulation de l'article 17 du décret du 25 mars 2022 doivent être réputés définitifs.
Article 3 : L'Etat versera à la FEDALIS une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la fédération des distributeurs alimentaires spécialisés, à la Première ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à la ministre de la transition énergétique.


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