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Ariane Web: Conseil d'État 451052, lecture du 3 février 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:451052.20230203

Décision n° 451052
3 février 2023
Conseil d'État

N° 451052
ECLI:FR:CECHR:2023:451052.20230203
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Lionel Ferreira, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public


Lecture du vendredi 3 février 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et trois mémoires, enregistrés les 25 mars, 19 avril et 7 juin 2021 ainsi que le 9 juin 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la " foire aux questions " relative au fonds de solidarité en faveur des entreprises, dans sa version mise à jour le 23 mars 2021, en tant qu'elle exclut, par principe, les loueurs en meublés non professionnels du bénéfice du fonds de solidarité créé par l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 en vue du versement d'aides financières aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de la covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation ;

2°) d'annuler toute circulaire qui procèderait à la même exclusion ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 ;
- le décret n° 2021-129 du 8 février 2021 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Lionel Ferreira, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteure publique ;



Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique du litige :

1. D'une part, l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance tout mesure relevant du domaine de la loi afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de cette épidémie et " notamment afin de prévenir et limiter la cessation d'activité des personnes physiques et morales exerçant une activité économique et des associations ainsi que ses incidences sur l'emploi, en prenant toute mesure : / a) D'aide directe ou indirecte à ces personnes dont la viabilité est mise en cause, notamment par la mise en place de mesures de soutien à la trésorerie de ces personnes ainsi que d'un fonds (...) ". Sur le fondement de cette habilitation, l'article 1er de l'ordonnance du 25 mars 2020 a institué un fonds de solidarité à destination des " personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation ". L'article 1er du décret du 30 mars 2020, pris en application de l'article 3 de cette ordonnance, définit le champ d'application du dispositif en disposant que : " Le fonds [de solidarité] bénéficie aux personnes physiques et personnes morales de droit privé résidentes fiscales françaises exerçant une activité économique (...) ". Le décret, modifié à de nombreuses reprises depuis son édiction pour tenir compte de l'évolution de l'épidémie et des mesures prises pour limiter sa propagation, précise ensuite les conditions d'attribution des aides versées au titre de ce fonds. Parmi ces conditions figure, pour certaines des périodes couvertes par le dispositif d'aides, l'exercice d'une activité principale relevant de l'un des secteurs énumérés à l'annexe 1 ou à l'annexe 2 du décret, au nombre desquels : " Hôtels et hébergement similaire " et " Hébergement touristique et autre hébergement de courte durée ".

2. D'autre part, aux termes du 2 du IV de l'article 155 du code général des impôts, l'activité de location directe ou indirecte de locaux d'habitation meublés est regardée comme exercée à titre professionnel lorsque " les deux conditions suivantes sont réunies : / (...) Les recettes annuelles retirées de cette activité par l'ensemble des membres du foyer fiscal excèdent 23 000 ? ; / (...) Ces recettes excèdent les revenus du foyer fiscal soumis à l'impôt sur le revenu dans les catégories des traitements et salaires au sens de l'article 79, des bénéfices industriels et commerciaux autres que ceux tirés de l'activité de location meublée, des bénéfices agricoles, des bénéfices non commerciaux et des revenus des gérants et associés mentionnés à l'article 62 ".

Sur le litige :

3. Il ressort des pièces du dossier que le ministère de l'économie, des finances et de la relance a publié sur son site internet une nouvelle version, mise à jour le 23 mars 2021, de la " foire aux questions " relative au fonds de solidarité en faveur des entreprises institué par l'ordonnance du 25 mars 2020. Au point 12 de la partie " Puis-je en bénéficier ' " de ce document, à la question formulée de la façon suivante : " Les loueurs en meublés non professionnels sont-ils éligibles au fonds de solidarité ' ", est apportée la réponse suivante : " Non, les loueurs en meublés non professionnels ne sont pas éligibles au fonds ". Cette version de la " foire aux questions " ne contient pas d'autres précisions sur la situation des loueurs en meublé.

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique :

4. Les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en oeuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices.

5. Par la question - réponse mentionnée au point 3, les services du ministre de l'économie, des finances et de la relance ont fait part de leur interprétation de l'ordonnance du 25 mars 2020 ainsi que du décret du 30 mars 2020, dans sa rédaction issue du décret du 8 février 2021 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, pris pour son application. Eu égard à sa teneur, cette interprétation du droit positif, émise par les services chargés d'instruire les demandes d'aides au titre du fonds de solidarité puis de procéder, le cas échéant, au versement de ces aides, est susceptible de produire des effets notables sur la situation des personnes qui souhaitent bénéficier des mesures de soutien mises en place. Il suit de là que la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, tirée de ce que la réponse litigieuse serait insusceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, doit être écartée. La circonstance que la " foire aux questions " sur laquelle cette réponse a été publiée ne s'adresserait ni aux services en charge de l'instruction des demandes d'aides ni à ceux chargés du contrôle des aides versées est à cet égard sans incidence.

En ce qui concerne les conclusions de la requête :

6. Il est constant, ainsi que l'indique expressément dans ses écritures le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, qu'en adoptant la réponse mentionnée au point 3, ses services ont entendu refuser le bénéfice du fonds de solidarité aux loueurs en meublé non professionnels au sens des dispositions du IV de l'article 155 du code général des impôts citées au point 2. Toutefois, la circonstance que les recettes issues de la location de locaux d'habitation meublés seraient inférieures aux seuils définis par ces dispositions n'est pas de nature à exclure l'exercice, par le loueur, d'une activité économique, et pas davantage, lorsque cette condition est applicable, l'exercice d'une activité principale dans l'un des secteurs énumérés à l'annexe 1 ou à l'annexe 2 du décret du 30 mars 2020, dans sa rédaction issue du décret du 8 février 2021. Dès lors, la réponse mentionnée au point 3 méconnaît la définition du champ des personnes susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité résultant des dispositions citées au point 1. Mme A... est fondée, pour ce motif, à demander l'annulation du point 12 de la partie " Puis-je en bénéficier ' " de la " foire aux questions " relative au fonds de solidarité en faveur des entreprises, dans sa version du 23 mars 2021.

7. Par ailleurs, si Mme A... entend contester " toute autre circulaire " qui exclurait par principe les loueurs en meublé non professionnels du bénéfice du fonds de solidarité, son argumentation n'est pas assortie des précisions qui permettraient d'en apprécier le bien-fondé.

8. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : Le point 12 de la partie " Puis-je en bénéficier ' " de la " foire aux questions " relative au fonds de solidarité en faveur des entreprises, dans sa version du 23 mars 2021, est annulé.
Article 2 : L'Etat versera à Mme A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 18 janvier 2023 où siégeaient :
M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et M. Lionel Ferreira, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 3 février 2023.


Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Lionel Ferreira
La secrétaire :
Signé : Mme Laurence Chancerel


La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :


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