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Ariane Web: Conseil d'État 465716, lecture du 30 mars 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:465716.20230330

Décision n° 465716
30 mars 2023
Conseil d'État

N° 465716
ECLI:FR:CECHR:2023:465716.20230330
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Eric Buge, rapporteur
M. Mathieu Le Coq, rapporteur public


Lecture du jeudi 30 mars 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par trois protestations, M. P... R... a demandé au tribunal administratif de Versailles d'annuler les opérations de vote qui se sont déroulées le 13 janvier 2022 en vue de la désignation des membres de la commission d'appel d'offres et de la commission de délégation de service public de la commune de Savigny-sur-Orge ainsi que des conseillers territoriaux de cette commune au sein de l'établissement public territorial du Grand Orly Seine Bièvre. Par un jugement n°s 2200391, 2200392, 2200393 du 7 juin 2022, le tribunal administratif de Versailles a rejeté ces protestations.

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés le 11 juillet et le 8 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. R... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) à titre principal, d'annuler les opérations électorales en litige et, à titre subsidiaire, d'en rectifier les résultats.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code électoral ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 mars 2023, présentée par M. R... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que, lors de sa séance du 13 janvier 2022, le conseil municipal de Savigny-sur-Orge a procédé à la désignation des membres de la commission de délégation de service public, prévue à l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales, des membres de la commission d'appel d'offres, prévue à l'article L. 1414-2 du même code, ainsi qu'à celle des conseillers territoriaux représentant la commune au sein de l'organe délibérant de l'établissement public territorial du Grand-Orly Seine Bièvre. M. R... relève appel du jugement du 7 juin 2022 du tribunal administratif de Versailles rejetant les protestations qu'il avait formées contre ces désignations.

2. En vertu du premier alinéa de l'article R. 120 du code électoral, le tribunal administratif prononce sa décision en matière électorale dans le délai de deux mois à compter de l'enregistrement de la protestation au greffe. L'article R. 121 du même code dispose que, faute d'avoir statué dans ce délai, le tribunal administratif est dessaisi du litige. Ces dispositions sont applicables à la désignation des membres de la commission de délégation de service public, des membres de la commission d'appel d'offres ainsi qu'à celle des conseillers territoriaux représentant la commune au sein de l'organe délibérant d'un établissement public territorial. Il incombait ainsi aux premiers juges de statuer sur les protestations de M. R... dans un délai de deux mois courant à compter de leur enregistrement, le 18 janvier 2022, au greffe du tribunal administratif de Versailles. Lorsqu'il a statué sur ces protestations, le 7 juin 2022, le tribunal administratif de Versailles était, par suite, dessaisi du litige. Son jugement est dès lors irrégulier et doit, pour ce motif, être annulé.

3. Eu égard à l'expiration de ce délai, y a lieu pour le Conseil d'Etat de statuer immédiatement sur les protestations présentées par M. R....

4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 52 du code électoral : " Le bureau se prononce provisoirement sur les difficultés qui s'élèvent touchant les opérations électorales. / Ses décisions sont motivées. Toutes les réclamations et décisions sont inscrites au procès-verbal, les pièces qui s'y rapportent y sont annexées après avoir été paraphées par les membres du bureau. / Pendant toute la durée des opérations de vote, le procès-verbal est tenu à la disposition des membres du bureau, candidats, remplaçants et délégués des candidats, électeurs du bureau et personnes chargées du contrôle des opérations, qui peuvent y porter leurs observations ou réclamations. " L'article R. 67 du même code prévoit que : " Immédiatement après la fin du dépouillement, le procès-verbal des opérations électorales est rédigé par le secrétaire dans la salle de vote, en présence des électeurs. (...) Dès l'établissement du procès-verbal, le résultat est proclamé en public par le président du bureau de vote et affiché en toutes lettres par ses soins dans la salle de vote. " Aux termes de l'article R. 118 du même code : " Un exemplaire du procès-verbal est, après signature, aussitôt envoyé au sous-préfet, dans l'arrondissement du chef-lieu du département, au préfet (...) ". En vertu de l'article R. 119 du même code : " Les réclamations contre les opérations électorales doivent être consignées au procès-verbal, sinon être déposées, à peine d'irrecevabilité, au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l'élection, à la sous-préfecture ou à la préfecture. / Les protestations peuvent également être déposées directement au greffe du tribunal administratif dans le même délai. / Le recours formé par le préfet en application de l'article L. 248 doit être exercé dans le délai de quinzaine à dater de la réception du procès-verbal. / Dans l'un et l'autre cas, la notification est faite, dans les trois jours de l'enregistrement de la protestation, aux conseillers dont l'élection est contestée qui sont avisés en même temps qu'ils ont cinq jours pour tout délai à l'effet de déposer leurs défenses au greffe (bureau central ou greffe annexe) du tribunal administratif et de faire connaître s'ils entendent ou non user du droit de présenter des observations orales. / Il est donné récépissé, soit des protestations, soit des défenses déposées au greffe. "

5. D'une part, les désignations, par l'assemblée délibérante d'une collectivité territoriale, des membres de la commission de délégation de service public, des membres de la commission d'appel d'offres, ainsi que des conseillers territoriaux représentant cette collectivité au sein de l'organe délibérant d'un établissement public territorial, constituent des opérations électorales dont la contestation relève des dispositions des articles R. 119 à R. 123 du code électoral. Dès lors, dans le cas où une réclamation n'a pas été consignée au procès-verbal de la séance au cours de laquelle l'élection a lieu ou si le procès-verbal n'a pas été établi immédiatement, la réclamation doit être formée au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit la proclamation des résultats de l'élection lors de cette séance, dans les conditions définies à l'article R. 119 du code électoral.

6. D'autre part, la circonstance qu'un procès-verbal ne soit pas établi immédiatement après la proclamation des résultats n'est pas de nature à entraîner l'irrégularité des désignations litigieuses, contrairement à ce que soutient M. R.... Ce dernier ne peut, par ailleurs, utilement soutenir qu'ont été méconnues les dispositions des articles R. 52 et R. 67 du code électoral citées au point 4, lesquelles ne régissent que les scrutins pour lesquels les opérations électorales se déroulent au sein de bureaux de vote et ne sont donc pas applicables aux scrutins organisés au sein de l'assemblée délibérante d'une collectivité territoriale, comme ceux en litige.

7. Il s'ensuit que M. R... n'est pas fondé à soutenir que les désignations en litige seraient irrégulières ou résulteraient d'une manoeuvre faute qu'il ait eu accès au procès-verbal des opérations de vote pour lui permettre de porter des observations et des réclamations et en l'absence de rédaction d'un tel document en présence des électeurs.

8. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que M. R... a présenté sa candidature aux fonctions de membre de la commission de délégation de service public et de membre de la commission d'appel d'offres sur une liste dénommée " Vivons Savigny Autrement avec Olivier R... ", où il figurait en tant que titulaire et où un autre conseiller municipal figurait en tant que suppléant. Il est constant que cet autre conseiller municipal n'avait pas donné son accord pour figurer sur cette liste. Dès lors, la comptabilisation comme nul du suffrage exprimé en faveur de cette liste n'est pas irrégulière.

9. En troisième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 2121-20 du code général des collectivités territoriales : " Un conseiller municipal empêché d'assister à une séance peut donner à un collègue de son choix pouvoir écrit de voter en son nom. Un même conseiller municipal ne peut être porteur que d'un seul pouvoir. Le pouvoir est toujours révocable. Sauf cas de maladie dûment constatée, il ne peut être valable pour plus de trois séances consécutives. " Le règlement intérieur du conseil municipal de Savigny-sur-Orge précise que : " Les pouvoirs sont remis au maire ou parvenus au maire par courrier au plus tard en début de séance. / La délégation de vote peut être toutefois établie au cours d'une séance à laquelle participe un conseiller municipal obligé de se retirer avant la fin de la séance. Afin d'éviter toute contestation sur leur participation au vote, les conseillers municipaux qui se retirent de la salle des délibérations doivent faire connaître, par écrit, au maire leur souhait de se faire représenter. " Il résulte de l'instruction que Mme V... AG..., qui a dû se retirer avant la fin de la séance du conseil municipal, a donné pouvoir à M. S... AA... à compter de 22h10, par un écrit daté du même jour versé au dossier. Par suite, M. R... n'est pas fondé à soutenir que son vote aurait été comptabilisé dans des conditions irrégulières.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par M. Q..., que l'ensemble des conclusions, tant principales que subsidiaires, présentées par M. R... contre les opérations électorales qu'il attaque doivent être rejetées.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. R... une somme au titre des frais, non compris dans les dépens, exposés par la commune de Savigny-sur-Orge, qui n'a pas la qualité de partie à l'instance.



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 7 juin 2022 du tribunal administratif de Versailles est annulé.
Article 2 : Les protestations présentées par M. R... sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de la commune de Savigny-sur-Orge présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. P... R..., à M. E... Q..., à M. AF... B..., à Mme W... X..., à M. O... G..., à Mme T... N..., à M. AB... Z..., à Mme AC... I..., à M. F... J..., à Mme AE... Y..., à M. A... AD..., à Mme U... M..., à Mme C... D..., à Mme AI... AH..., à Mme V... AG..., à Mme K... H... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la commune de Savigny-sur-Orge.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 mars 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Alain Seban, M. Jean-Luc Nevache, M. Damien Botteghi, M. Alban de Nervaux, M. Jérôme Marchand-Arvier, conseillers d'Etat et M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 30 mars 2023.


Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Eric Buge
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber


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