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Ariane Web: Conseil d'État 468836, lecture du 21 avril 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:468836.20230421

Décision n° 468836
21 avril 2023
Conseil d'État

N° 468836
ECLI:FR:CECHR:2023:468836.20230421
Publié au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Hadrien Tissandier, rapporteur
M. Clément Malverti, rapporteur public


Lecture du vendredi 21 avril 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une décision n° 2202743, enregistrée le 10 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Nantes, avant de statuer sur la demande de Mme Q... et M. C... A... tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 29 janvier 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours contre les décisions du 11 octobre 2021 des autorités consulaires françaises au Togo refusant de délivrer aux deux enfants mineurs un visa de long séjour et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de leur délivrer le visa sollicité, dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, ou, à titre subsidiaire, de procéder à un réexamen de leur demande dans la même condition de délai a décidé, en application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :

1°) Dans le cas où la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ne statue pas expressément sur le recours formé contre une décision de refus de visa, le mécanisme d'appropriation des motifs de la décision consulaire, adopté spontanément par la commission comme en l'espèce, puis prévu par l'article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile créé par le décret n° 2022-963 du 29 juin 2022 relatif aux modalités de contestation des refus d'autorisation de voyage et des refus de visas d'entrée et de séjour en France applicable aux décisions de refus à partir du 1er janvier 2023, a-t-il des effets sur les exigences de motivation en fait et en droit qui s'imposent aux décisions de la commission portant refus de visas tant de court que de long séjour ' En particulier, l'envoi d'un tel accusé de réception doit-il être regardé : d'une part, comme reportant les exigences de motivation en fait et en droit de la décision de la commission sur les décisions consulaires ; d'autre part, comme ayant pour effet de rendre superflu le mécanisme de communication des motifs prévu à l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration '

2°) Lorsque le ministre de l'intérieur et des outres mer fait valoir, dans son mémoire en défense devant le juge de l'excès de pouvoir, un nouveau motif de nature à fonder légalement la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, autre que celui erroné qu'elle est réputée s'être appropriée, le juge peut-il procéder à une substitution de motifs sans priver les requérants d'une garantie procédurale liée au motif substitué '


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 2022-963 du 29 juin 2022 ;
- le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Hadrien Tissandier, auditeur,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,




REND L'AVIS SUIVANT :

1. L'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; (...) 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire ". L'article L. 211-5 du même code dispose : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Enfin, aux termes de l'article L. 232-4 du même code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ".

2. Aux termes de l'article D. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction issue du décret du 29 juin 2022 relatif aux modalités de contestation des refus d'autorisations de voyage et des refus de visas d'entrée et de séjour en France : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre de l'intérieur est chargée d'examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visa de long séjour prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. Le sous-directeur des visas, au sein de la direction générale des étrangers en France du ministère de l'intérieur, est chargé d'examiner les recours administratifs contre les décisions de refus de visa de court séjour prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de l'une ou l'autre de ces autorités, selon la nature du visa sollicité, est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier ". L'article D 312-8-1 du même code, applicable, en vertu de l'article 3 du même décret, aux demandes ayant donné lieu à une décision diplomatique ou consulaire prise à compter du 1er janvier 2023, dispose : " En l'absence de décision explicite prise dans le délai de deux mois, le recours administratif exercé devant les autorités mentionnées aux articles D. 312-3 et D. 312-7 est réputé rejeté pour les mêmes motifs que ceux de la décision contestée. L'administration en informe le demandeur dans l'accusé de réception de son recours ".

3. Les décisions des autorités consulaires portant refus d'une demande de visa doivent être motivées en vertu des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Il en va de même pour les décisions de rejet des recours administratifs préalables obligatoires formés contre ces décisions.

4. Les dispositions de l'article D. 312-8-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impliquent que si le recours administratif préalable obligatoire formé contre une décision de refus d'une demande de visa fait l'objet d'une décision implicite de rejet, cette décision implicite, qui se substitue à la décision initiale, doit être regardée comme s'étant appropriée les motifs de la décision initiale. Dans le cadre de la procédure de recours administratif préalable obligatoire applicable aux refus de visa, il en va de même, avant l'entrée en vigueur de ces dispositions, si le demandeur a été averti au préalable par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'une telle appropriation en cas de rejet implicite de sa demande.

5. Si la décision consulaire n'est pas motivée, le demandeur qui n'a pas sollicité, sur le fondement de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration, la communication des motifs de la décision implicite de rejet prise sur son recours préalable obligatoire, ne peut utilement soutenir devant le juge qu'aurait été méconnue l'obligation de motivation imposée par l'article L. 211-2 du même code. Si la décision consulaire est motivée, l'insuffisance de cette motivation peut être utilement soulevée devant le juge, sans qu'une demande de communication de motifs ait été faite préalablement. Si, dans l'hypothèse où la décision consulaire était motivée, une telle demande a néanmoins été présentée et l'autorité administrative y a explicitement répondu, cette réponse doit être regardée comme une décision explicite se substituant à la décision implicite de rejet initiale du recours administratif préalable obligatoire.

6. Le mécanisme d'appropriation des motifs ne fait pas obstacle à ce que l'administration puisse faire valoir devant le juge un ou plusieurs autres motifs et que le juge fasse droit, dans les conditions de droit commun, à cette demande de substitution de motifs dès lors que celle-ci ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué. La circonstance que l'administration puisse faire valoir un ou plusieurs autres motifs ne peut être regardée comme privant l'intéressé de la garantie que constituerait l'examen de son recours administratif préalable obligatoire.


7. Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Nantes, à Mme T... épouse A... et à M. C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Il sera publié au Journal officiel de la République française.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 avril 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Olivier Rousselle, M. Benoît Bohnert, Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. Hadrien Tissandier, auditeur-rapporteur.
Rendu le 21 avril 2023.

La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé
Le rapporteur :
Signé : M. Hadrien Tissandier
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard






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