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Ariane Web: Conseil d'État 454276, lecture du 10 juillet 2023, ECLI:FR:CECHR:2023:454276.20230710

Décision n° 454276
10 juillet 2023
Conseil d'État

N° 454276
ECLI:FR:CECHR:2023:454276.20230710
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Christine Maugüé , président
Mme Rozen Noguellou, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public
SCP THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats


Lecture du lundi 10 juillet 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme A... D... B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 84 000 euros, assortie des intérêts et de la capitalisation des intérêts, en réparation du préjudice résultant de l'impossibilité d'obtenir l'exécution du jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 13 décembre 2011 condamnant la République bolivarienne du Venezuela à lui verser une indemnité d'un tel montant, en réparation des préjudices nés de son absence d'affiliation au régime obligatoire d'assurance-vieillesse. Par un jugement n° 1903214 du 23 juin 2020, le tribunal administratif de Paris a fait droit à sa demande.

Par un arrêt n° 20PA01607 du 4 mai 2021, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères contre ce jugement.

Par un pourvoi, enregistré le 5 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des procédures civiles d'exécution ;
- la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouvenin, Coudray, Grevy, avocat de Mme B... C... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B... C... a exercé les fonctions d'employée de service à l'ambassade du Venezuela, à Paris, du 15 février 2001 au 22 avril 2011. Par un jugement du 13 décembre 2011, devenu définitif, le conseil de prud'hommes de Paris a condamné la République bolivarienne du Venezuela à lui verser la somme de 66 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'absence de droits à pension de retraite du fait de l'absence d'affiliation au régime obligatoire d'assurance-vieillesse, la somme de 15 000 euros à titre d'indemnisation du préjudice moral subi de ce fait, ainsi que la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Par une ordonnance du 5 novembre 2018, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris a rejeté sa requête en exécution forcée de ce jugement. Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères ayant implicitement rejeté la demande formée le 23 octobre 2018 par Mme B... C..., tendant à ce que l'Etat lui verse une indemnité de 84 000 euros, correspondant au montant de la condamnation prononcée contre l'Etat vénézuélien qui n'a pu être recouvrée, pour rupture de l'égalité devant les charges publiques, Mme B... C... a saisi le tribunal administratif de Paris. Par un jugement du 23 juin 2020, le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à Mme B... C... la somme de 84 000 euros assortie des intérêts moratoires avec capitalisation. Par un arrêt du 4 mai 2021, contre lequel le ministre de l'Europe et des affaires étrangères se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par le ministre contre ce jugement.

En ce qui concerne le fondement de la responsabilité :

2. Aux termes de l'article L. 111-1 du code des procédures civiles d'exécution : " (...) L'exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d'une immunité d'exécution ". Aux termes de l'article L. 111-1-1 du même code, issu de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de l'action publique : " Des mesures conservatoires ou des mesures d'exécution forcée ne peuvent être mises en oeuvre sur un bien appartenant à un Etat étranger que sur autorisation préalable du juge par ordonnance rendue sur requête ". Aux termes de l'article L. 111-1-2 du même code : " Des mesures conservatoires ou des mesures d'exécution forcée visant un bien appartenant à un Etat étranger ne peuvent être autorisées par le juge que si l'une des conditions suivantes est remplie : / 1° L'Etat concerné a expressément consenti à l'application d'une telle mesure ; / 2° L'Etat concerné a réservé ou affecté ce bien à la satisfaction de la demande qui fait l'objet de la procédure ; / 3° Lorsqu'un jugement ou une sentence arbitrale a été rendu contre l'Etat concerné et que le bien en question est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé par ledit Etat autrement qu'à des fins de service public non commerciales et entretient un lien avec l'entité contre laquelle la procédure a été intentée./ Pour l'application du 3°, sont notamment considérés comme spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l'Etat à des fins de service public non commerciales, les biens suivants : / a) Les biens, y compris les comptes bancaires, utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des fonctions de la mission diplomatique de l'Etat ou de ses postes consulaires, de ses missions spéciales, de ses missions auprès des organisations internationales, ou de ses délégations dans les organes des organisations internationales ou aux conférences internationales ; / b) Les biens de caractère militaire ou les biens utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des fonctions militaires ; / c) Les biens faisant partie du patrimoine culturel de l'Etat ou de ses archives qui ne sont pas mis ou destinés à être mis en vente ; / d) Les biens faisant partie d'une exposition d'objet d'intérêt scientifique, culturel ou historique qui ne sont pas mis ou destinés à être mis en vente ; / e) Les créances fiscales ou sociales de l'Etat ".

3. Ces dispositions reprennent en droit interne la règle coutumière du droit public international selon laquelle les Etats bénéficient par principe de l'immunité d'exécution pour les actes qu'ils accomplissent à l'étranger, cette immunité faisant obstacle à la saisie de leurs biens, à l'exception de ceux qui ne se rattachent pas à l'exercice d'une mission de souveraineté.

4. La responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi, à la condition que cette loi n'ait pas entendu exclure toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés.

5. En jugeant que la responsabilité de l'Etat était susceptible d'être engagée sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, en raison de l'impossibilité, pour Mme B... C..., de faire exécuter par la République bolivarienne du Venezuela le jugement du conseil de prud'hommes de Paris, la cour administrative d'appel, qui, tout en rappelant la règle coutumière du droit public international, a bien visé le code des procédures civiles d'exécution et mentionné les dispositions citées au point 2, lesquelles n'ont pas entendu exclure toute indemnisation, n'a pas commis d'erreur de droit.

En ce qui concerne le caractère certain, grave et spécial du préjudice :

6. En premier lieu, en application de l'article L. 111-1-1 du code des procédures civiles d'exécution cité au point 2, les mesures d'exécution forcée ne peuvent être mises en oeuvre sur un bien appartenant à un Etat étranger, dans les conditions prévues à l'article L. 111-1-2 du même code, que sur autorisation préalable du juge de l'exécution, par une ordonnance rendue sur requête. Dès lors que la loi impose l'intervention préalable du juge de l'exécution, le préjudice résultant de l'impossibilité d'obtenir l'exécution d'un jugement par un Etat étranger ne peut revêtir un caractère certain tant que le juge, qui doit être ainsi saisi, n'a pas constaté qu'aucune des conditions posées à l'article L. 111-1-2, permettant l'exécution forcée, n'est remplie.

7. Par suite, en se fondant sur le constat que Mme B... C... avait épuisé les voies de droit devant le juge de l'exécution en vue d'obtenir le recouvrement de sa créance pour juger que son préjudice revêtait un caractère certain, la cour, qui n'avait pas à exiger de la requérante qu'elle apporte en outre la preuve de ce que la République bolivarienne du Vénézuéla ne détiendrait sur le territoire français aucun bien susceptible d'être saisi en application de l'article L. 111-1-2 du code des procédures civiles d'exécution, n'a pas commis d'erreur de droit.

8. En deuxième lieu, après avoir relevé que le ministre des affaires étrangères se bornait, pour contester le caractère spécial du préjudice, à invoquer le fait qu'il avait été saisi, entre 2006 et 2020, de quatorze requêtes et cinq recours gracieux préalables similaires à la demande de Mme B... C..., la cour a pu, sans erreur de droit, juger que le faible nombre de victimes d'agissements analogues imputables à des ambassades d'Etats étrangers sur le territoire français permettait de regarder le préjudice subi par Mme B... C... comme présentant un caractère spécial.

9. Enfin, contrairement à ce que soutient le pourvoi, la cour n'a pas non plus commis d'erreur de droit en relevant, pour apprécier la gravité du préjudice subi par Mme B... C... eu égard au montant des sommes en cause et à l'âge et la situation de l'intéressée, que ni la circonstance qu'elle aurait tardé à alerter son employeur de son absence d'affiliation à un organisme social, ni le fait qu'elle aurait pu disposer d'éventuelles autres sources de revenus à l'époque de son licenciement n'étaient de nature à ôter au préjudice subi son caractère de gravité.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi du ministre de l'Europe et des affaires étrangères doit être rejeté.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à Mme B... C..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'Europe et des affaires étrangères est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à Mme B... C... une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à Mme A... D... B... C....
Délibéré à l'issue de la séance du 16 juin 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, conseillers d'Etat et Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 10 juillet 2023.


La présidente :
Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :
Signé : Mme Rozen Noguellou

La secrétaire :
Signé : Mme Valérie Peyrisse


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