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Ariane Web: Conseil d'État 472669, lecture du 11 octobre 2023, ECLI:FR:CEASS:2023:472669.20231011

Décision n° 472669
11 octobre 2023
Conseil d'État

N° 472669
ECLI:FR:CEASS:2023:472669.20231011
Publié au recueil Lebon
Assemblée
M. Didier-Roland Tabuteau, président
Mme Pauline Hot, rapporteur
M. Nicolas Agnoux, rapporteur public
SCP PIWNICA & MOLINIE, avocats


Lecture du mercredi 11 octobre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire enregistrés les 3 avril et 5 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Syndicat de la magistrature demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la décision du président du Sénat du 2 février 2023 portant nomination de Mme B... A... en qualité de personnalité qualifiée au Conseil supérieur de la magistrature, et que soit mis à la charge du président du Sénat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment ses articles 13 et 65 ;
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Hot, auditrice,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat du Syndicat de la magistrature et à la SCP Piwnica et Molinié, avocat du président du Sénat ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 65 de la Constitution : " Le Conseil supérieur de la magistrature comprend une formation compétente à l'égard des magistrats du siège et une formation compétente à l'égard des magistrats du parquet. / La formation compétente à l'égard des magistrats du siège est présidée par le premier président de la Cour de cassation. Elle comprend, en outre, cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet, un conseiller d'État désigné par le Conseil d'État, un avocat ainsi que six personnalités qualifiées qui n'appartiennent ni au Parlement, ni à l'ordre judiciaire, ni à l'ordre administratif. Le Président de la République, le Président de l'Assemblée nationale et le Président du Sénat désignent chacun deux personnalités qualifiées. La procédure prévue au dernier alinéa de l'article 13 est applicable aux nominations des personnalités qualifiées. Les nominations effectuées par le président de chaque assemblée du Parlement sont soumises au seul avis de la commission permanente compétente de l'assemblée intéressée. / La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet est présidée par le procureur général près la Cour de cassation. Elle comprend, en outre, cinq magistrats du parquet et un magistrat du siège, ainsi que le conseiller d'État, l'avocat et les six personnalités qualifiées mentionnés au deuxième alinéa. / La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du siège fait des propositions pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, pour celles de premier président de cour d'appel et pour celles de président de tribunal de grande instance. Les autres magistrats du siège sont nommés sur son avis conforme ". L'article 13 de la Constitution prévoit, pour les nominations par le Président de la République aux emplois ou fonctions déterminés par une loi organique, que celles-ci sont soumises à un " avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée " et que " Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la nomination d'une personnalité qualifiée au Conseil supérieur de la magistrature par le président du Sénat est soumise à un avis public de la commission permanente compétente du Sénat, et ne peut intervenir en cas de votes négatifs d'au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein de cette commission.

2. Le Président du Sénat a nommé le 2 février 2023, après avis de la commission des lois du Sénat, Mme B... A... comme personnalité qualifiée au Conseil supérieur de la magistrature. Le Syndicat de la magistrature demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

3. Il résulte des attributions conférées au Conseil supérieur de la magistrature par les articles 64 et 65 de la Constitution que cette institution, qui a notamment pour mission, aux fins de garantir l'indépendance de la magistrature, de participer à la nomination des magistrats et à leur discipline, fait partie de l'organisation du service public de la justice. A ce titre, les actes relatifs à la nomination, à la désignation ou à l'élection de ses membres constituent des actes administratifs dont il appartient au juge administratif de connaître.

Sur la compétence du Conseil d'Etat :

4. Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort des litiges relatifs à la composition du Conseil supérieur de la magistrature. Il résulte de ce qui précède qu'il est compétent pour connaître du recours pour excès de pouvoir formé contre la décision par laquelle le président du Sénat nomme une personnalité qualifiée au sein de ce Conseil.

Sur la légalité de la décision contestée :

5. Aux termes de l'article 77 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Tout magistrat admis à la retraite est autorisé, sous réserve des dispositions du second alinéa de l'article 46, à se prévaloir de l'honorariat de ses fonctions. Toutefois, l'honorariat peut être refusé au moment du départ du magistrat par une décision motivée de l'autorité qui prononce la mise à la retraite, après avis de la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard du magistrat selon que celui-ci exerce les fonctions du siège ou du parquet. Si, lors de son départ à la retraite, le magistrat fait l'objet d'une poursuite disciplinaire, il ne peut pas se prévaloir de l'honorariat avant le terme de la procédure disciplinaire et l'honorariat peut lui être refusé, dans les conditions prévues au premier alinéa, au plus tard deux mois après la fin de cette procédure ". Aux termes de l'article 46 de cette ordonnance, la mise à la retraite d'office emporte interdiction de se prévaloir de l'honorariat des fonctions prévu par ces dispositions. L'article 78 de cette ordonnance précise que : " Les magistrats honoraires demeurent attachés en cette qualité à la juridiction à laquelle ils appartenaient. Ils continuent à jouir des honneurs et privilèges attachés à leur état, et peuvent assister en costume d'audience aux cérémonies solennelles de leur juridiction. Ils prennent rang à la suite des magistrats de même grade ". L'article 79 de cette ordonnance dispose que : " Les magistrats honoraires sont tenus à la réserve qui s'impose à leur condition. Le retrait de l'honorariat peut être prononcé pour des motifs tirés du comportement du magistrat honoraire depuis son admission à la retraite ou pour des faits constitutifs d'une faute disciplinaire au sens de l'article 43, commis pendant la période d'activité du magistrat s'ils n'ont été connus du ministère de la justice qu'après l'admission à la retraite. L'honorariat ne peut être retiré que dans les formes prévues au chapitre VII ". Par ailleurs, aux termes de l'article 41-25 de cette même ordonnance: " Des magistrats honoraires peuvent être nommés pour exercer les fonctions de juge des contentieux de la protection, d'assesseur dans les formations collégiales des tribunaux judiciaires et des cours d'appel, de juge du tribunal de police ou de juge chargé de valider les compositions pénales, de substitut près les tribunaux judiciaires ou de substitut général près les cours d'appel. Ils peuvent également être nommés pour exercer une part limitée des compétences matérielles pouvant être dévolues par voie réglementaire aux chambres de proximité. Ils peuvent également être désignés par le premier président de la cour d'appel pour présider la formation collégiale statuant en matière de contentieux social des tribunaux judiciaires et des cours d'appel spécialement désignées pour connaître de ce contentieux. Ils peuvent enfin exercer les fonctions d'assesseur dans les cours d'assises et les cours criminelles départementales ". Enfin, aux termes de l'article 41-29 de la même ordonnance : " Les magistrats honoraires peuvent, sur leur demande, exercer des activités non juridictionnelles de nature administrative ou d'aide à la décision au profit des magistrats, en fonction des besoins (...) L'exercice desdites activités est incompatible avec celui des activités juridictionnelles mentionnées à l'article 41-25. Les magistrats honoraires ne peuvent les accomplir au-delà de l'âge de soixante-quinze ans. Ils ne peuvent ni exercer de profession libérale juridique ou judiciaire soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, ni être salariés d'un membre d'une telle profession, ni effectuer aucun acte de leur profession dans le ressort de la juridiction à laquelle ils sont affectés. Les magistrats honoraires exerçant des fonctions non juridictionnelles sont tenus au secret professionnel. Les activités accomplies en application du présent article sont indemnisées (...) ". Cependant, l'article 41-28 de l'ordonnance de 1958 prévoit expressément que " Les magistrats exerçant les fonctions juridictionnelles mentionnées à l'article 41-25 sont soumis au présent statut. Toutefois, ils ne peuvent ni être membres du Conseil supérieur de la magistrature ou de la commission d'avancement, ni participer à la désignation des membres de ces instances. Ils ne peuvent recevoir aucun avancement de grade. Ils ne peuvent être mutés sans leur consentement (...). "

6. Il résulte de ces dispositions que dès lors que leur admission à la retraite n'est pas assortie d'un refus de l'honorariat, ou qu'ils n'ont pas fait l'objet de poursuites disciplinaires ou d'une mise à la retraite d'office, les magistrats sont autorisés, dès leur admission à la retraite, à se prévaloir de l'honorariat de leurs fonctions. La qualité de magistrat honoraire permet à ceux qui en bénéficient, d'une part, de continuer à jouir des honneurs et privilèges attachés à leur état, et d'assister aux cérémonies solennelles de la juridiction à laquelle ils appartenaient, d'autre part, d'exercer des fonctions juridictionnelles ou non juridictionnelles, conformément aux articles 41-25 à 41-32 de l'ordonnance du 22 décembre 1958. Elle leur impose, enfin, le respect du devoir de réserve.

7. Les dispositions de l'article 65 de la Constitution citées au point 1 disposent notamment que ne peuvent être nommées personnalités qualifiées au Conseil supérieur de la magistrature que des personnes n'appartenant " ni au Parlement, ni à l'ordre judiciaire, ni à l'ordre administratif ". Si, ainsi qu'il est rappelé au point 6, les magistrats honoraires conservent en cette qualité un lien honorifique avec leur ancienne juridiction et s'ils peuvent être appelés à exercer certaines fonctions juridictionnelles ou non juridictionnelles, ils ne sauraient pour autant, en raison de la rupture avec le service qui caractérise l'admission à faire valoir ses droits à la retraite, être regardés comme appartenant à l'ordre judiciaire au sens de ces dispositions.

8. Par suite, le Syndicat de la magistrature n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée a été prise en méconnaissance de l'article 65 de la Constitution et à en demander, pour ce motif, l'annulation pour excès de pouvoir.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du président du Sénat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le président du Sénat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête du Syndicat de la magistrature est rejetée.
Article 2 : Les conclusions du président du Sénat présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au Syndicat de la magistrature, au président du Sénat, à Madame A..., au garde des sceaux, ministre de la justice et à la Première Ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 septembre 2023 où siégeaient : M. Didier-Roland Tabuteau, vice-président, présidant ; M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux ; Mme Martine de Boisdeffre, M. Rémi Bouchez, M. Edmond Honorat, Mme Catherine Bergeal, M. Thierry Tuot, M. Francis Lamy, présidents de section ; M. Rémy Schwartz, M. Jacques-Henri Stahl, Mme Christine Maugüé ; présidents adjoints de la section du contentieux, M. Pierre Collin, Mme Isabelle de Silva, M. Nicolas Boulouis, Mme Maud Vialettes, M. Bertrand Dacosta, présidents de chambre et Mme Pauline Hot, auditrice-rapporteure.

Rendu le 11 octobre 2023.



Le président :
Signé : M. Didier-Roland Tabuteau
La rapporteure :
Signé : Mme Pauline Hot
La secrétaire :
Signé : Mme Valérie Vella



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