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Ariane Web: Conseil d'État 471310, lecture du 7 novembre 2023, ECLI:FR:CECHS:2023:471310.20231107

Décision n° 471310
7 novembre 2023
Conseil d'État

N° 471310
ECLI:FR:CECHS:2023:471310.20231107
Inédit au recueil Lebon
9ème chambre
Mme Anne Egerszegi, président
M. Vincent Mazauric, rapporteur
Mme Céline Guibé, rapporteur public
SCP PIWNICA & MOLINIE, avocats


Lecture du mardi 7 novembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Alphadif a demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2010, 2011 et 2012, des retenues à la source qui lui ont été réclamées au titre des années 2011 et 2012 ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1800937 du 22 juin 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 20MA03015 du 16 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société Alphadif, annulé ce jugement, prononcé la décharge des impositions en litige et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Par un pourvoi et un nouveau mémoire, enregistrés les 13 février et 11 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 1er à 3 de cet arrêt.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Alphadif ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Alphadif, créée en 2006, exerce une activité de vente de dispositifs d'éclairage pour piscines. Ses associés ont créé, en 2007, la société de droit letton PPLV Trading. L'un de ses associés est par ailleurs l'ayant-droit économique de la société luxembourgeoise Royalux. Les équipements vendus par la société Alphadif étaient acquis auprès de la société PPLV Trading et par celle-ci auprès d'un fournisseur établi en Chine. En 2008, les associés de la société Alphadif ont cédé à la société Royalux leurs droits de propriété intellectuelle sur les demandes de brevets relatifs à ces équipements pour la somme de 10 000 euros. La société Royalux en a concédé l'exploitation à la société PPLV Trading moyennant une redevance annuelle fixée à 400 000 euros. La société Alphadif a fait l'objet de la procédure de visite et de saisie prévue à l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, puis d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2010, 2011 et 2012, à l'issue de laquelle l'administration fiscale a réintégré dans son résultat imposable des trois exercices vérifiés les sommes correspondant à la partie des paiements effectués au bénéfice de la société PPLV Trading en tant qu'ils correspondaient à la redevance acquittée par cette dernière auprès de la société Royalux. Par un jugement du 22 juin 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande de la société Alphadif tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2010, 2011 et 2012, des retenues à la source qui lui ont été réclamées au titre des années 2011 et 2012 ainsi que des pénalités correspondantes, à la suite de cette rectification. Par un arrêt du 16 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société Alphadif, annulé ce jugement, prononcé la décharge des impositions en litige et rejeté le surplus des conclusions de la requête. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande l'annulation des articles 1er à 3 de cet arrêt.

2. Aux termes de l'article 57 du code général des impôts : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France. / (...) / A défaut d'éléments précis pour opérer les rectifications prévues aux premier, deuxième et troisième alinéas, les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement ". Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'elle constate que les prix payés par une entreprise établie en France à une entreprise étrangère qui lui est liée sont supérieurs à ceux pratiqués par des entreprises similaires exploitées normalement, c'est-à-dire dépourvues de liens de dépendance, l'administration fiscale doit être regardée comme établissant l'existence d'un avantage qu'elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l'entreprise établie en France, sauf pour celle-ci à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties aux moins équivalentes. A défaut d'avoir procédé à de telles comparaisons, l'administration fiscale n'est, en revanche, pas fondée à invoquer une présomption de transfert de bénéfices mais doit démontrer qu'une libéralité résulte d'un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu.

3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration fiscale n'a pas fait valoir auprès de ces derniers que les prix payés par la société Alphadif à la société lettone PPLV Trading pour la fourniture de dispositifs d'éclairage pour piscines auraient été supérieurs à ceux pratiqués pour des biens comparables par des entreprises similaires exploitées normalement. Il en résulte que le ministre n'est pas fondé à soutenir que la cour administrative d'appel de Marseille aurait commis une erreur de droit en ne retenant pas la présomption de transfert de bénéfices qui peut être invoquée dans les conditions décrites au point 2 ci-dessus.

4. En second lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, quand bien même les opérations en litige auraient eu pour but, comme le soutient le ministre, de faire échapper des bénéfices ou des revenus à l'imposition en France par le jeu de la cession de droits incorporels à un prix minoré et de la prise en charge, par la société Alphadif dont les cédants de ces droits étaient associés, d'une redevance excessive en contrepartie de ces droits, à l'avantage de la société luxembourgeoise Royalux, l'administration fiscale, qui a, au cours de la procédure de vérification, renoncé à mener à son terme la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, n'a pas apporté la preuve, qui lui incombait compte tenu de ce qui a été dit au point 3, que le montant de la redevance supportée en définitive par la société Alphadif était excessif, notamment au regard de son chiffre d'affaires, ni que la société lettone PPLV Trading lui aurait facturé une prestation qu'elle ne lui aurait pas rendue. Par suite, la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que n'était pas rapportée la preuve de ce que les sommes en litige, facturées par la société lettone PPLV Trading à la société Alphadif, étaient constitutives d'un transfert indirect de bénéfices au sens de l'article 57 du code général des impôts.

5. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Alphadif au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la société Alphadif la somme de 3 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société Alphadif.

Délibéré à l'issue de la séance du 19 octobre 2023 où siégeaient :
Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat et M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 7 novembre 2023.

La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mazauric
La secrétaire :
Signé : Mme Katia Nunes
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :