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Ariane Web: Conseil d'État 488864, lecture du 15 novembre 2023, ECLI:FR:CEORD:2023:488864.20231115

Décision n° 488864
15 novembre 2023
Conseil d'État

N° 488864
ECLI:FR:CEORD:2023:488864.20231115
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
M. Benoît Bohnert, président
M. B Bohnert, rapporteur
SCP GATINEAU, FATTACCINI, REBEYROL, avocats


Lecture du mercredi 15 novembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :
Mme C... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de suspendre l'exécution de l'avis de saisie administrative à tiers détenteur émis à son encontre par le service des impôts de Fréjus le 11 juillet 2023 et, en deuxième lieu, d'enjoindre à l'administration fiscale de lui restituer la somme de 382,17 euros indûment perçue. Par une ordonnance n° 2303287 du 13 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 et 31 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 13 octobre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Toulon ;

2°) de prononcer la suspension de l'exécution de l'avis de saisie administrative à tiers détenteur du 11 juillet 2023 ;

3°) d'enjoindre à l'administration fiscale de lui restituer les sommes indûment prélevées sur le fondement de cet avis de saisie administrative à tiers détenteur.



Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite eu égard à sa situation financière ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit de propriété et à son droit de disposer librement de ses biens ;
- l'administration fiscale a méconnu l'autorité de la chose jugée dès lors qu'elle ne disposait d'aucun titre exécutoire pour procéder au recouvrement des créances au titre de l'impôt sur le revenu pour l'année 2006 et la taxe d'habitation pour l'année 2007, en raison de leur annulation par l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 20 avril 2021, devenu définitif.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 octobre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à Pôle emploi Hauts-de-France qui n'a pas produit d'observations.



Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme A..., et d'autre part, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et Pôle emploi Hauts-de-France ;

A été entendu lors de l'audience publique du 6 novembre 2023, à 11 heures :

- Me Rebeyrol, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme A... ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au vendredi 10 novembre 2023 à 16 heures ;

Vu les mémoires et les pièces, enregistrées les 9 et 10 novembre 2023, présentées par Mme A... ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a notifié à Mme A... le 11 juillet 2023 une saisie administrative à tiers détenteur auprès de Pôle emploi afin d'obtenir le paiement de la somme de 1 016 euros correspondant à des reliquats de cotisations de taxe d'habitation de l'année 2007 et d'impôt sur le revenu de 2006. En application de l'article L. 281 du livre des procédures fiscales, Mme A... a contesté l'obligation de payer ces sommes par une réclamation adressée au service des impôts de Fréjus le 25 juillet 2023, demeurée sans réponse, puis saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulon, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à la suspension de l'exécution de cette saisie administrative à tiers détenteur et à la restitution des sommes d'ores et déjà prélevées. Par l'ordonnance du 13 octobre 2023 dont Mme A... relève appel devant le juge des référés du Conseil d'Etat, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Sur la condition d'urgence :

3. Pour vérifier si la condition d'urgence est satisfaite, il appartient au juge des référés d'apprécier la gravité des conséquences que pourraient entraîner, à brève échéance, l'obligation pour le contribuable de s'acquitter des sommes mises en recouvrement, en prenant en compte l'ensemble de son patrimoine et des fonds dont il dispose.

4. Pour juger que Mme A... ne démontre pas que l'exécution de l'acte litigieux porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à sa situation, nécessitant l'intervention du juge dans un délai très bref au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés de première instance a relevé que si la requérante soutient que, compte tenu du montant de ses charges fixes et du prélèvement opéré sur les allocations qui lui sont allouées par Pôle emploi, il ne lui reste qu'une somme mensuelle de 143 euros pour subvenir à ses besoins, elle n'a pas justifié, en l'absence de production de ses relevés de compte bancaires, du montant des fonds dont elle est susceptible de disposer.

5. A l'appui des conclusions dirigées contre l'ordonnance qu'elle attaque, Mme A..., pour justifier de l'urgence, a produit des pièces démontrant qu'en dehors de la somme de 143 euros dont elle dispose mensuellement après déduction des sommes prélevées sur les allocations qui lui sont versées par Pôle emploi en exécution de la saisie administrative à tiers détenteur en litige, l'intéressée ne dispose d'aucune autre ressource pour subvenir à ses besoins. Il résulte par ailleurs de ces mêmes pièces que son compte bancaire présentait au 10 octobre 2023 un solde débiteur de 122 euros, et qu'elle n'est détentrice d'aucun produit d'épargne dans l'établissement bancaire concerné. Au regard de ces éléments, qui ne sont pas contestés par l'administration fiscale, Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés a rejeté sa demande pour défaut d'urgence.

Sur l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

6. Il résulte de l'instruction, d'une part, que la saisie administrative à tiers détenteur notifiée par l'administration fiscale à Mme A... le 11 juillet 2023 était destinée à recouvrer une somme de 1 016 euros correspondant à des cotisations d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux de l'année 2006 pour un montant de 304 euros et de cotisations de taxe d'habitation relatives à l'année 2007 pour un montant de 683 euros, et d'autre part, que ces sommes, respectivement mises en recouvrement par les rôles émis sous les n°s 02601 du 30 septembre 2007 et 78001 du 31 octobre 2007, étaient mentionnées dans deux mises en demeure valant commandement de payer émis à l'encontre de la contribuable le 18 juillet 2016. Il résulte également de l'instruction que, par un arrêt n° 19MA03350 du 20 avril 2021 devenu définitif, la cour administrative d'appel de Marseille a déchargé Mme A... de l'obligation de payer les sommes mentionnées dans ces mises en demeure en raison de la prescription de l'action en recouvrement. Il s'ensuit qu'en émettant à l'encontre de la contribuable l'avis de saisie administrative à tiers détenteur en litige en vue du recouvrement de ces mêmes sommes, l'administration fiscale a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit pour un propriétaire de disposer librement de ses biens.
7. Il résulte de ce qui précède que l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulon doit être annulée. Il y a lieu, d'une part, de suspendre l'exécution de l'avis de saisie administrative à tiers détenteur émis le 11 juillet 2023 et, d'autre part, d'enjoindre au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique de restituer à Mme A... les sommes d'ores et déjà prélevées en exécution de cet acte de poursuite sur les allocations mensuelles qui lui ont été versées par Pôle emploi.



O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulon du 13 octobre 2023 est annulée.
Article 2 : L'exécution de l'avis de saisie administrative à tiers détenteur émis le 11 juillet 2023 par la direction départementale des finances publiques du Var est suspendue.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique de restituer à Mme A... les sommes prélevées sur les allocations qui lui sont versées par Pôle emploi en exécution de l'avis de saisie administrative à tiers détenteur mentionné à l'article 2.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B... A..., au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à Pôle emploi Hauts-de-France.
Fait à Paris, le 15 novembre 2023
Signé : Benoît Bohnert