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Ariane Web: Conseil d'État 489923, lecture du 12 décembre 2023, ECLI:FR:CEORD:2023:489923.20231212

Décision n° 489923
12 décembre 2023
Conseil d'État

N° 489923
ECLI:FR:CEORD:2023:489923.20231212
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
M. Benoît Bohnert, président
M. B Bohnert, rapporteur
SCP SEVAUX, MATHONNET, avocats


Lecture du mardi 12 décembre 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :
Mme D... A..., M. E... F... et M. C... B... ont demandé à la juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 15 novembre 2023 de la préfète du Bas-Rhin autorisant la captation, l'enregistrement et la transmission d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs à l'occasion du marché de Noël de Strasbourg. Par une ordonnance n° 2308339 du 23 novembre 2023, la juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a, d'une part, admis l'intervention du syndicat des avocats de France et, d'autre part, rejeté leur demande.

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 5 et 8 décembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A..., M. F... et M. B... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'enjoindre, avant dire droit, à la préfète du Bas-Rhin de produire la notice d'usage des drones ;

2°) d'annuler l'ordonnance du 23 novembre 2023 de la juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg ;

3°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 15 novembre 2023 de la préfète du Bas-Rhin autorisant la captation, l'enregistrement et la transmission d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs à l'occasion de l'édition 2023 du marché de Noël de Strasbourg ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à chacun des appelants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Ils soutiennent que :
- ils ont intérêt à agir eu égard à l'impact sur leur droit au respect de leur vie privée et familiale qu'implique la captation d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs dès lors qu'ils habitent et travaillent dans la zone couverte par l'arrêté ;
- l'ordonnance du 23 novembre 2023 de la juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est entachée d'une irrégularité dès lors qu'elle se fonde, en partie, sur une note en délibérée qui n'a pas été communiquée aux parties, en méconnaissance du principe du contradictoire prévu à l'article L. 5 du code de justice administrative ;
- la condition d'urgence est satisfaite eu égard, d'une part, au nombre de personnes susceptibles de faire l'objet de la captation d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs et, d'autre part, à la fréquence et au caractère répété de cette mesure ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales ;
- les dispositions de l'article R. 242-8 du code de la sécurité intérieure sont insuffisamment précises et permettent le recours à des " drones " dans la plupart des situations de maintien de l'ordre ;
- l'arrêté contesté méconnaît le droit à la protection des données à caractère personnel dès lors que la captation et la conservation d'images des participants au marché de Noël constitue une ingérence qui n'est pas justifiée ;
- il méconnaît le secret professionnel des avocats et les droits de la défense dès lors que la captation d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs implique de survoler leur cabinet d'avocats, ce qui est de nature à entraver le libre exercice de leur profession d'avocat et risque de dissuader leurs clients de se rendre au cabinet ;
- il méconnaît le droit au respect de la vie privée et familiale des riverains, habitants de la ville de Strasbourg et visiteurs eu égard au périmètre concerné qui implique la captation d'images à l'occasion de leurs activités extérieures ;
- il méconnaît la liberté d'aller et venir eu égard à l'impossibilité des individus de se déplacer anonymement sur une partie importante du territoire de la ville de Strasbourg ;
- la captation d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs constitue une mesure disproportionnée par rapport à l'objectif légitime poursuivi de prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens et des actes de terrorisme dès lors que cette mesure, en premier lieu, touchera plusieurs millions de personnes quotidiennement au cours d'une grande partie de la journée durant un mois, en deuxième lieu, n'est pas absolument nécessaire en ce qu'elle n'est pas justifiée par une finalité explicite et déterminée et que la préfète du Bas-Rhin ne démontre pas qu'il n'existe pas de dispositif moins intrusif pour atteindre l'objectif poursuivi, en troisième lieu, peut s'effectuer de manière continue et, en dernier lieu, permet l'identification des personnes filmées, eu égard à la qualité des images collectées, sans qu'aucune garantie sur l'encadrement du dispositif technique ne soit fournie ;
- l'absence de production par la préfète du Bas-Rhin de la notice d'usage des aéronefs ne permet pas de contrôler la proportionnalité de cette mesure ;
- la publication de l'arrêté contesté méconnaît l'exigence d'information du public dès lors que les informations publiées sur la mesure de captation d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs, d'une part, ne sont disponibles qu'en langue française de sorte qu'elles sont inaccessibles pour les touristes non francophones et, d'autre part, ne sont pas affichées aux abords de la zone de survol concernée et aux points de contrôle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête. Il soutient que l'ordonnance du 23 novembre 2023 de la juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg n'est pas entachée d'irrégularité, la condition d'urgence n'est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;
- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2022-834 DC du 20 janvier 2022 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme A..., M. F... et M. B..., et d'autre part, le ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 8 décembre 2023, à 11 heures :

- Me Mathonnet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme A..., M. F... et M. B... ;

- la représentante de Mme A... et autres ;

- Mme D... A..., requérante ;

- les représentantes du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.



Considérant ce qui suit :

1. L'article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. " Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-2 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l'action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu'existe une situation d'urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai et qu'il est possible de prendre utilement de telles mesures.

3. Pour l'application de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le droit au respect de la vie privée, qui comprend le droit à la protection des données personnelles, et la liberté d'aller et venir constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de cet article.

4. Par un arrêté du 15 novembre 2023, la préfète de la région Grand Est, préfète du Bas-Rhin, a autorisé, en appui du dispositif de surveillance terrestre du marché de Noël de Strasbourg, la captation, l'enregistrement et la transmission d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs, chaque jour à compter du 24 novembre 2023, de 11 heures 30 à 20 heures, et ce jusqu'au 24 décembre 2023 à 18 heures, sur un périmètre recouvrant l'ensemble de la Grande-Ile, les quais de l'Ill et ponts attenants, ainsi que les quartiers de la gare et des Halles, comprenant l'ensemble des voies comprises entre le fossé du Faux-Rempart, les rues du Faubourg-de-Pierre, de Koenigshoffen, de Wasselonne, de Molsheim et la rue Sainte-Marguerite jusqu'à l'autoroute A35. Mme A... et autres relèvent appel de l'ordonnance du 23 novembre 2023 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté leur demande tendant à la suspension de l'exécution de cet arrêté préfectoral.

Sur la régularité de la procédure suivie devant la juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg :

5. Si les requérants soutiennent que l'absence de communication des éléments relatifs aux caractéristiques techniques des aéronefs mis en oeuvre contenus dans une note en délibéré que la préfète du Bas-Rhin a produite après l'audience entacherait l'ordonnance attaquée d'irrégularité, il apparaît que cette circonstance est restée sans incidence sur la régularité de la procédure, dès lors qu'aucun des éléments contenus dans cette pièce n'a été le fondement des motifs de l'ordonnance attaquée.

Sur le cadre juridique du litige :

6. Aux termes de l'article L. 242-5 du code de la sécurité intérieure " I - Dans l'exercice de leurs missions de prévention des atteintes à l'ordre public et de protection de la sécurité des personnes et des biens, les services de la police nationale et de la gendarmerie nationale ainsi que les militaires des armées déployés sur le territoire national dans le cadre des réquisitions prévues à l'article L. 1321-1 du code de la défense peuvent être autorisés à procéder à la captation, à l'enregistrement et à la transmission d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs aux fins d'assurer (...) / 5° La surveillance des frontières, en vue de lutter contre leur franchissement irrégulier ; / (...). / Le recours aux dispositifs prévus au présent I peut uniquement être autorisé lorsqu'il est proportionné au regard de la finalité poursuivie. / II - Dans l'exercice de leurs missions de prévention des mouvements transfrontaliers de marchandises prohibées, les agents des douanes peuvent être autorisés à procéder à la captation, à l'enregistrement et à la transmission d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs ". / III - Les dispositifs aéroportés mentionnés aux I et II sont employés de telle sorte qu'ils ne visent pas à recueillir les images de l'intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées. Lorsque l'emploi de ces dispositifs conduit à visualiser ces lieux, l'enregistrement est immédiatement interrompu. Toutefois, lorsqu'une telle interruption n'a pu avoir lieu compte tenu des circonstances de l'intervention, les images enregistrées sont supprimées dans un délai de quarante-huit heures à compter de la fin du déploiement du dispositif, sauf transmission dans ce délai dans le cadre d'un signalement à l'autorité judiciaire, sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale ". Aux termes de l'article L. 242-4 du même code " La mise en oeuvre des traitements prévus aux articles L. 242-5 (...) doit être strictement nécessaire à l'exercice des missions concernées et adaptée au regard des circonstances de chaque intervention ". En vertu du IV de l'article L. 242-5 de ce code, l'autorisation requise, subordonnée à une demande qui précise, notamment, " (...) 2° La finalité poursuivie ; / 3° La justification de la nécessité de recourir au dispositif, permettant notamment d'apprécier la proportionnalité de son usage au regard de la finalité poursuivie ; (...) / 8° le périmètre géographique concerné ", " est délivrée par décision écrite et motivée du représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, du préfet de police, qui s'assure du respect du présent chapitre. Elle détermine la finalité poursuivie et ne peut excéder le périmètre strictement nécessaire à l'atteinte de cette finalité ". Ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel par sa décision n° 2021-834 DC du 20 janvier 2022, ces dispositions ont précisément circonscrit les finalités justifiant le recours à ces dispositifs, et l'autorisation requise, qui détermine cette finalité, le périmètre strictement nécessaire pour l'atteindre ainsi que le nombre maximal de caméras pouvant être utilisées simultanément, ne saurait être accordée qu'après que le préfet s'est assuré que le service ne peut employer d'autres moyens moins intrusifs au regard du droit au respect de la vie privée ou que l'utilisation de ces autres moyens serait susceptible d'entraîner des menaces graves pour l'intégrité physique des agents, et elle ne saurait être renouvelée sans qu'il soit établi que le recours à des dispositifs aéroportés demeure le seul moyen d'atteindre la finalité poursuivie.

7. Aux termes de l'article L. 242-3 du code de la sécurité intérieure : " Le public est informé par tout moyen approprié de l'emploi de dispositifs aéroportés de captation d'images et de l'autorité responsable de leur mise en oeuvre, sauf lorsque les circonstances l'interdisent ou que cette information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis ". Selon l'article L. 242-4, la mise en oeuvre des traitements prévus " ne peut être permanente. Elle ne peut donner lieu à la collecte et au traitement que des seules données à caractère personnel strictement nécessaires à l'exercice des missions concernées et s'effectue dans le respect de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. / Les dispositifs aéroportés ne peuvent ni procéder à la captation du son, ni comporter de traitements automatisés de reconnaissance faciale. Ces dispositifs ne peuvent procéder à aucun rapprochement, interconnexion ou mise en relation automatisé avec d'autres traitements de données à caractère personnel ". Ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-834 DC du 20 janvier 2022, ces dispositions ne sauraient être interprétées comme autorisant les services compétents à procéder à l'analyse des images au moyen d'autres systèmes automatisés de reconnaissance faciale qui ne seraient pas placés sur ces dispositifs aéroportés. Aux termes du dernier alinéa du même article : " Hors le cas où ils sont utilisés dans le cadre d'une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire, les enregistrements comportant des données à caractère personnel sont conservés sous la responsabilité du chef du service ayant mis en oeuvre le dispositif aéroporté, pendant une durée maximale de sept jours à compter de la fin du déploiement du dispositif, sans que nul ne puisse y avoir accès, sauf pour les besoins d'un signalement dans ce délai à l'autorité judiciaire, sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale ", la fin du déploiement du dispositif devant s'entendre comme correspondant à l'achèvement de chaque mission opérationnelle. Aux termes du IV de l'article L. 242-5 du même code, l'autorisation requise " ne peut excéder le périmètre géographique strictement nécessaire à l'atteinte de [la] finalité [poursuivie]. / Elle fixe le nombre maximal de caméras pouvant procéder simultanément aux enregistrements, au regard des autorisations déjà délivrées dans le même périmètre géographique. / Elle est délivrée pour une durée maximale de trois mois, renouvelable selon les mêmes modalités, lorsque les conditions de sa délivrance continuent d'être réunies. Toutefois, lorsqu'elle est sollicitée au titre de la finalité prévue au 2° du I, l'autorisation n'est délivrée que pour la durée du rassemblement concerné. / Le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut mettre fin à tout moment à l'autorisation qu'il a délivrée, dès lors qu'il constate que les conditions ayant justifié sa délivrance ne sont plus réunies ". Aux termes du III de l'article L. 242-5 de ce code : " Les dispositifs aéroportés mentionnés aux I et II sont employés de telle sorte qu'ils ne visent pas à recueillir les images de l'intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées. Lorsque l'emploi de ces dispositifs conduit à visualiser ces lieux, l'enregistrement est immédiatement interrompu. Toutefois, lorsqu'une telle interruption n'a pu avoir lieu compte tenu des circonstances de l'intervention, les images enregistrées sont supprimées dans un délai de quarante-huit heures à compter de la fin du déploiement du dispositif, sauf transmission dans ce délai dans le cadre d'un signalement à l'autorité judiciaire, sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale ".

8. Aux termes de l'article R. 242-8 du code de la sécurité intérieure : " I. - Dans le cadre de l'autorisation prévue à l'article L. 242-5 et dans les conditions prévues par les articles L. 242-2 à L. 242-4, les services de la police nationale, de la gendarmerie nationale et dans le cadre des réquisitions prévues à l'article L. 1321-1 du code de la défense, les militaires des armées déployés sur le territoire national, sont autorisés à mettre en oeuvre des traitements de données à caractère personnel provenant de caméras installées sur des aéronefs. Ces traitements ont pour finalités : / 1° La prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés, en raison de leurs caractéristiques ou des faits qui s'y sont déjà déroulés, à des risques d'agression, de vol ou de trafic d'armes, d'êtres humains ou de stupéfiants, ainsi que la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords immédiats, lorsqu'ils sont particulièrement exposés à des risques d'intrusion ou de dégradation ; / 2° La sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public ainsi que l'appui des personnels au sol, en vue de leur permettre de maintenir ou de rétablir l'ordre public, lorsque ces rassemblements sont susceptibles d'entraîner des troubles graves à l'ordre public ; / 3° La prévention d'actes de terrorisme ; (...) ". Aux termes de l'article R. 242-9 du même code : " Les traitements mentionnés à l'article R. 242-8 portent sur les données suivantes : / 1° Les images, à l'exclusion des sons, captées par les caméras installées sur des aéronefs ; / 2° Le jour et la plage horaire d'enregistrement ; / 3° Le nom, le prénom et/ou le numéro d'identification administrative du télé-pilote ou de l'opérateur ainsi que, le cas échéant, le numéro d'enregistrement de l'aéronef ; / 4° Le lieu ou la zone géographique où ont été collectées les données. Les données enregistrées dans les traitements peuvent faire apparaître, directement ou indirectement, des données mentionnées au I de l'article 6 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Il est interdit de sélectionner dans les traitements une catégorie particulière de personnes à partir de ces seules données ". Aux termes de l'article R. 242-11 de ce même code : " I - A l'issue de l'intervention constatée par les autorités mentionnées au 1° du I de l'article R. 242-10, les données mentionnées au I de l'article R. 242-9 sont conservées sur un support informatique sécurisé sous la responsabilité des mêmes autorités sans que nul n'y ait accès sous réserve des dispositions des II et III. / II - A l'issue de l'intervention et au plus tard dans un délai de quarante-huit heures à compter de la fin de celle-ci, les personnels mentionnés aux 2° et 3° du I de l'article R. 242-10 suppriment les images de l'intérieur des domiciles et, de façon spécifique, leurs entrées lorsque l'interruption de l'enregistrement n'a pu avoir lieu compte tenu des circonstances de l'intervention, sauf pour les besoins d'un signalement à l'autorité judiciaire. / III - Les données n'ayant pas fait l'objet de la suppression mentionnée au II sont conservées pendant une durée maximale de sept jours à compter de la fin du déploiement du dispositif, sans que nul ne puisse y avoir accès, sauf pour les besoins d'un signalement à l'autorité judiciaire. Au terme de ce délai, ces données seront effacées, à l'exception de celles conservées pour être utilisées à des fins pédagogiques et de formation ".

9. Le respect de l'ensemble de ces dispositions, dans le cadre d'une autorisation reposant sur une appréciation précise et concrète, au cas par cas, de la nécessité et de la proportionnalité du recours au traitement considéré, assure la conformité d'un tel recours aux exigences du droit au respect de la vie privée, et à celles des articles 4, 5, 6, 87 et 88 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, interprétées à la lumière des articles 4, 5, 8 et 10 de la directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière ou d'exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, qui subordonnent le traitement de données personnelles par ces autorités à la nécessité d'un tel traitement pour l'exécution d'une mission effectuée à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière ou d'exécution de sanctions pénales, y compris la protection contre les menaces pour la sécurité publique et la prévention de telles menaces et, s'agissant des données personnelles sensibles mentionnées au I de l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978, à la nécessité absolue d'un tel traitement, sous réserve de garanties appropriées pour les droits et libertés de la personne concernée. Ce respect s'apprécie décision d'autorisation par décision d'autorisation.

Sur la condition tenant à l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

10. Il résulte de l'instruction que le marché de Noël, évènement qui se tient depuis plusieurs siècles à Strasbourg durant les quatre semaines qui précèdent la fête de Noël et s'étend sur une grande partie du centre-ville, a accueilli en 2022 près de 2,8 millions de visiteurs. Compte tenu de sa notoriété et de sa symbolique religieuse, cette manifestation traditionnelle a été prise à plusieurs reprises pour cible par des individus dans l'intention d'y commettre des actes terroristes, notamment le 11 décembre 2018, où un attentat a causé cinq morts et onze blessés graves. L'édition 2019 a été marquée par l'interpellation de deux individus pour apologie du terrorisme, tandis que deux projets d'attentats ont été déjoués en 2020 et 2022. Ces différents précédents, de même que le contexte actuel de recrudescence de la menace terroriste, marqué par l'attentat du 13 octobre 2023, qui a justifié le relèvement sur l'ensemble du territoire national du plan Vigipirate au niveau " Urgence attentat ", ainsi que l'augmentation du nombre de visiteurs attendus lors de cet évènement ont conduit la préfète du Bas-Rhin à compléter le dispositif de surveillance mis en place dans le cadre de l'instauration d'un périmètre de sécurité sur la Grande-Ile en autorisant par l'arrêté préfectoral contesté, pour l'édition 2023 de cette manifestation, la mise en oeuvre de dispositifs aéroportés de captation, d'enregistrement et de transmission d'images.

11. En premier lieu, si les requérants soutiennent que les dispositions de l'article R. 242-8 du code de la sécurité intérieure sont insuffisamment précises s'agissant des objectifs de prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens et de sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au public, ces dispositions prévoient que la mise en oeuvre des traitements de données provenant de caméras installées sur des aéronefs s'effectue dans le cadre de l'autorisation prévue à l'article L. 242-5 et dans les conditions prévues par les articles L. 242-2 à L. 242-4, et rappellent, au 1° à 6° du I et au II de cet article, les finalités énoncées aux 1° à 6° du I et au II de l'article L. 242-5 cité au point 6 ci-dessus, déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel au point 25 de sa décision n° 2022-834 DC, en ce qu'elles ont été circonscrites avec un degré suffisant de précision par le législateur. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté préfectoral du 15 novembre 2023 serait entaché d'une illégalité manifeste en ce qu'il fait application de ces dispositions réglementaires ne peut qu'être écarté.

12. En deuxième lieu, si Mme A... et autres soutiennent que la captation d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs, autorisée par cet arrêté préfectoral, constitue une mesure disproportionnée par rapport à l'objectif de prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens et des actes de terrorisme dès lors qu'elle n'est pas justifiée par une finalité explicite et déterminée, il résulte de l'instruction et des échanges au cours de l'audience publique, d'une part, que la manifestation concernée a été, eu égard à sa notoriété et à son exposition médiatique, visée à plusieurs reprises au cours des dernières années par des projets d'attentats et qu'un acte terroriste a fait plusieurs victimes en 2018, ainsi qu'il a été rappelé au point 10. Eu égard à l'ampleur de la zone à sécuriser, à l'affluence qui découle de cet évènement, et à la configuration particulière des lieux, caractérisée à proximité du marché de Noël par de nombreuses ruelles étroites qui ne sont que partiellement équipées de caméras de vidéo-surveillance, et à la nécessité pour les services de police de disposer d'une vision globale permettant, d'une part, de déceler rapidement tout mouvement de foule anormal, et, d'autre part, d'être en capacité d'orienter précisément les interventions des services de sécurité en vue d'assurer la sécurité des visiteurs, le ministre de l'intérieur et des outre-mer doit être regardé comme établissant, dans les circonstances particulières de l'espèce et compte tenu du niveau très élevé de la menace terroriste, confirmé récemment par l'attentat du 2 décembre 2023 à Paris, que le recours à ces dispositifs autorisé par l'arrêté préfectoral contesté constitue une nécessité pour atteindre ces objectifs.

13. En troisième lieu, si les requérants soutiennent que l'objectif d'assurer la sécurité des personnes et des biens et de prévenir la menace terroriste durant la période au cours de laquelle se déroule cette manifestation pourrait être atteint au moyen de dispositifs moins intrusifs, tels que les caméras de vidéo-surveillance installées sur la voie publique, et que le recours aux caméras installées sur des aéronefs aéroportés présenterait un caractère disproportionné en ce qu'il permet l'identification des personnes filmées et la constatation d'infractions, il résulte de l'instruction et des échanges au cours de l'audience publique que, compte tenu des règles de sécurité applicables à ce type d'aéronefs, les deux " drones " dont le déploiement a été autorisé au cours de la période comprise entre le 24 novembre et le 24 décembre 2023 ne peuvent évoluer à une altitude inférieure à 120 mètres. Ils ne sont utilisés que durant les horaires d'ouverture du marché de Noël et ce, dans les zones les plus fréquentées à l'occasion de cette manifestation. Compte tenu de leur autonomie de vol limitée à deux heures et du nombre restreint de personnes habilitées à les piloter, ils ne sont pas susceptibles de procéder à une captation d'images en continu. Ils ne peuvent par ailleurs être utilisés en vue de capter des sons ou de recourir à un traitement automatisé de reconnaissance faciale, ni à des rapprochements avec des traitements de données à caractère personnel. En outre, si le périmètre dans lequel la surveillance est autorisée s'étend, ainsi qu'il a été dit au point 4, au-delà de la zone au centre-ville dans laquelle se déroulent les animations liées au marché de Noël, cette extension est justifiée par la nécessité de pouvoir disposer d'une vue d'ensemble des mouvements de foule dans les zones dans lesquels les risques sont les plus élevés, lesquelles incluent les secteurs des Halles, ainsi que les accès en transports en commun par la gare SNCF et la gare routière. Enfin, la circonstance que le constat, à l'occasion de l'emploi de ces dispositifs, d'une infraction pénale, doive, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale, faire l'objet d'un signalement à l'autorité judiciaire, et que les enregistrements conservés puissent, dans la limite des durées prévues par la loi, être transmis à celle-ci dans les conditions prévues par les articles L. 242-4 et L. 242-5 du code de la sécurité intérieure cités au point 6, n'est pas de nature à méconnaître les finalités strictement définies par ces dispositions. Dans ces conditions, eu égard à l'importance et au caractère avéré des risques encourus ainsi qu'aux finalités poursuivies, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les mesures de surveillance contestées présenteraient un caractère manifestement disproportionné ou méconnaîtraient les exigences du droit au respect de la vie privée, tel que protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

14. En quatrième lieu, il résulte des dispositions du III de l'article L. 242-5 du code de la sécurité intérieure que les dispositifs aéroportés de surveillance doivent être employés de telle sorte qu'ils ne visent pas à recueillir des images de l'intérieur des domiciles, ni de leurs entrées, et que l'enregistrement doit être immédiatement interrompu lorsque leur emploi conduit à visualiser de tels lieux. A cet égard, les requérants n'établissent pas, par la seule production d'une photo d'un " drone " survolant un immeuble à une altitude qui n'est pas précisément déterminée, que ces dispositifs de surveillance seraient utilisés dans des conditions qui ne respecteraient pas ces dispositions et porterait une atteinte manifestement illégale à la liberté d'aller et de venir. En outre, en se bornant à soutenir que la captation d'images sur la voie publique serait de nature à dissuader leurs clients de se rendre dans leur cabinet, Mme A... et autres n'établissent pas davantage une quelconque atteinte au secret professionnel des avocats du fait de la mise en oeuvre de ces moyens de surveillance.

15. En cinquième lieu, si la diversité des situations opérationnelles peut rendre utile l'identification des configurations dans lesquelles le choix peut être fait de procéder à l'enregistrement des images obtenues, ou de visualiser les images obtenues en différé, par le biais de doctrines d'emploi élaborées par les ministres concernés, aucune disposition ni aucun principe ne conditionne la légalité de la décision du préfet d'autoriser la mise en oeuvre d'une surveillance de la voie publique au moyen de caméras installées sur des aéronefs à la publication de ces doctrines d'emploi. Par suite, en se bornant à contester devant le juge des référés l'absence de production par l'administration de la notice d'usage de ces aéronefs, les requérants n'établissent pas que ces équipements seraient ou auraient été utilisés dans des conditions entachées d'une illégalité manifeste.

16. En sixième et dernier lieu, il résulte de l'instruction que l'arrêté préfectoral contesté autorisant l'usage de dispositifs aéroportés de surveillance et fixant le périmètre de leur utilisation a fait l'objet d'une publication au recueil des actes administratifs de la préfecture du Bas-Rhin, et que le recours à des " drones " a été annoncé par voie de communiqué de presse, cette information ayant ensuite été largement relayée, tant dans la presse locale et étrangère que par les réseaux sociaux. Mme A... et autres ne sont, par suite, pas fondés à soutenir que l'information donnée sur le recours à ces dispositifs de surveillance aurait été manifestement insuffisante au regard de l'obligation faite à l'administration par l'article L. 242-3 du code de la sécurité intérieure d'informer par tout moyen approprié le public de leur emploi et du périmètre concerné par cette mesure.

17. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... et autres n'établissent pas que l'arrêté dont ils demandent la suspension de l'exécution porterait une atteinte grave et manifestement illégale aux droits et libertés qu'ils invoquent. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, ils ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance dont ils relèvent appel, la juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande. Leur requête ne peut, par suite, qu'être rejetée, y compris leurs conclusions à fins d'injonction et celles présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de Mme A... et autres est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme D... A..., première requérante dénommée, et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Fait à Paris, le 12 décembre 2023
Signé : Benoît Bohnert