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Ariane Web: Conseil d'État 491848, lecture du 16 février 2024, ECLI:FR:CEORD:2024:491848.20240216

Décision n° 491848
16 février 2024
Conseil d'État

N° 491848
ECLI:FR:CEORD:2024:491848.20240216
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés


Lecture du vendredi 16 février 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 13 février 2024 par lequel la préfète du Rhône a interdit le concert, produit par la société Survolta, qu'il prévoyait de donner sous son nom de scène " Freeze Corleone " le 17 février 2024 à 20 heures à la Halle Tony Garnier à Lyon et, d'autre part, d'enjoindre à la préfète du Rhône de le laisser se produire sur la scène de la Halle Tony Garnier pour ce concert le 17 février 2024.

Par une ordonnance n° 2401449 du 16 février 2024, la juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 16 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 16 février 2024 du juge des référés du tribunal administratif de Lyon ;

2°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 13 février 2024 de la préfète du Rhône ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Rhône de le laisser se produire sur la scène de la Halle Tony Garnier pour son concert du 17 février 2024 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme d'un euro symbolique au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite, eu égard à la date prévue pour le concert ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'expression, la liberté de réunion et la liberté d'entreprendre ;
- que le concert prévu le 17 février 2024 ne crée pas de risque avéré de commission d'une infraction susceptible de porter atteinte au respect de la dignité humaine et de caractériser un trouble à l'ordre public, les paroles des chansons qu'il est prévu d'interpréter n'ayant pas de caractère polémique et n'ayant pas entraîné de condamnation pénale ni de trouble à l'ordre public lors de ses précédents concerts en France et à l'étranger, et que le concert n'a pas de lien avec l'actualité politique nationale et internationale.


Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée. Il appartient au juge des référés, saisi en appel, de porter son appréciation sur ce point au regard de l'ensemble des pièces du dossier, et notamment des éléments recueillis par le juge de première instance dans le cadre de la procédure écrite et orale qu'il a diligentée.

2. M. A... B... relève appel de l'ordonnance du 16 février 2024 par laquelle la juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande, fondée sur les dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 13 février 2024 de la préfète du Rhône ayant interdit le concert qu'il prévoyait de donner sous son nom de scène " Freeze Corleone " le samedi 17 février 2024 à 20 heures à la Halle Tony Garnier à Lyon.

3. Il résulte des termes mêmes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative que l'usage par le juge des référés des pouvoirs qu'il tient de cet article est subordonné à l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale portée, par une autorité administrative, à une liberté fondamentale.

4. Ainsi que l'a rappelé, par l'ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif, l'exercice de la liberté d'expression est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il appartient aux autorités chargées de la police administrative de prendre les mesures nécessaires à l'exercice de la liberté de réunion. Les atteintes portées, pour des exigences d'ordre public, à l'exercice de ces libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées. Dans l'hypothèse où l'autorité investie du pouvoir de police administrative cherche à prévenir la commission d'infractions pénales susceptibles de constituer un trouble à l'ordre public, la nécessité de prendre des mesures de police administrative et la teneur de ces mesures s'apprécient en tenant compte du caractère suffisamment certain et de l'imminence de la commission de ces infractions, ainsi que de la nature et de la gravité des troubles à l'ordre public qui pourraient en résulter.

5. Il ressort des pièces de la procédure suivie devant la juge des référés du tribunal administratif que, pour interdire la tenue du concert en cause, la préfète du Rhône s'est fondée sur les motifs tirés de ce que plusieurs titres du chanteur contiennent des propos antisémites, ou témoignent d'une admiration pour le IIIème Reich ou présentent un caractère homophobe, que les paroles de chansons incitent à la haine et font l'apologie du nazisme ou du terrorisme, qu'il existe des raisons sérieuses de penser que la tenue du concert peut conduire à la commission d'infractions pénales et que les risques de troubles matériels à l'ordre public du fait de la tenue du concert à Lyon sont élevés compte tenu des tensions locales liées au retentissement des affrontements qui se déroulent au Proche-Orient depuis le 7 octobre 2023.

6. Pour rejeter la demande qui lui a été présentée, la juge des référés du tribunal administratif, d'une part, a retenu, en l'état de l'instruction devant elle, qu'au regard du spectacle prévu, tel qu'il a été annoncé et programmé, ne pouvait être écarté le risque sérieux que soient portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes consacrés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, notamment celui de dignité de la personne humaine, compte tenu des paroles de plusieurs morceaux, issus du nouvel album du chanteur daté du 11 septembre 2023, prévus pour être interprétés lors du concert en cause. Elle a relevé, en outre, compte tenu de ce qui a pu être observé lors de précédents concerts de l'intéressé à Bordeaux et Paris, que les morceaux susceptibles d'être effectivement interprétés pouvaient différer de ceux annoncés par la programmation prévue. Elle a, enfin, considéré, compte tenu des répercussions en France des événements se déroulant au Proche-Orient depuis le 7 octobre 2023, en particulier dans le département du Rhône où des actes antisémites ont été commis et où ont été constatés des mouvements organisés d'appel à la haine, que les risques de troubles à l'ordre public du fait de la tenue du concert étaient caractérisés.

7. Au vu des éléments dont elle disposait et qui ne sont nullement remis en cause par la requête d'appel qui se borne à réitérer l'argumentation de première instance sans apporter aucun élément nouveau, la juge des référés du tribunal administratif de Lyon a pu estimer à bon droit, compte tenu de l'ensemble des circonstances caractérisant la situation d'espèce, que la préfète du Rhône n'avait pas porté, en faisant usage de ses pouvoirs de police administrative pour interdire la tenue du concert en cause, d'atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

8. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, la juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Il y a lieu, par suite, de rejeter sa requête par application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du même code.



O R D O N N E :
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Article 1er : : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Fait à Paris, le 16 février 2024
Signé : Jacques-Henri Stahl