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Ariane Web: Conseil d'État 489202, lecture du 11 avril 2024, ECLI:FR:CECHR:2024:489202.20240411

Décision n° 489202
11 avril 2024
Conseil d'État

N° 489202
ECLI:FR:CECHR:2024:489202.20240411
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
M. David Guillarme, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du jeudi 11 avril 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'avis défavorable du 12 juillet 2023 de la cheffe de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche à sa demande de maintien en activité, de la décision du 3 août 2023 par laquelle le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a refusé sa demande de maintien en activité et de l'arrêté du 3 octobre 2023 par lequel la Première ministre l'a admis à faire valoir ses droits à la retraite par limite d'âge.

Par une ordonnance n° 2322941 du 20 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu l'exécution de la décision du 3 août 2023 et rejeté le surplus des conclusions.

Par un pourvoi, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 et 7 novembre 2023 et le 20 mars 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance, en tant qu'elle suspend l'exécution de sa décision du 3 août 2023 ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande de suspension présentée par M. B....


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Guillarme, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de M. B... ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Paris que M. B..., inspecteur général de l'éducation, du sport et de la recherche atteint par la limite d'âge de 67 ans le 2 novembre 2023, a sollicité le 18 avril 2023 le bénéfice du maintien en activité jusqu'à 70 ans. Par un courrier du 12 juillet 2023, la cheffe de ce service lui a indiqué qu'elle émettait un avis défavorable à sa demande. Le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a rejeté cette demande le 3 août 2023. Par un arrêté du 3 octobre 2023, la Première ministre a admis l'intéressé à faire valoir ses droits à la retraite. M. B... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris d'une demande de suspension de l'exécution de ces décisions sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative. Par une ordonnance du 20 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu l'exécution de la décision du 3 août 2023. Le pourvoi du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse doit être regardé comme dirigé contre l'article 1er de cette ordonnance.

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) ".

3. Aux termes de l'article L. 556-1 du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire ne peut être maintenu en fonctions au-delà de l'âge limite de l'activité dans l'emploi qu'il occupe, sous réserve des exceptions prévues par les dispositions en vigueur. / Cette limite d'âge est fixée à : / 1° Soixante-sept ans pour celui occupant un emploi ne relevant pas de la catégorie active, au sens du deuxième alinéa du 1° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite ; / 2° Un âge au plus égal à la limite définie au 1° ci-dessus pour celui occupant un emploi de la catégorie active figurant sur la nomenclature établie en application du 1° du I de l'article L. 24 du code précité. / Toutefois, le fonctionnaire occupant un emploi qui ne relève pas de la catégorie active et auquel s'applique la limite d'âge mentionnée au 1° du présent article ou une limite d'âge qui lui est égale ou supérieure peut, sur autorisation, être maintenu en fonctions sans radiation des cadres préalable, jusqu'à l'âge de soixante-dix ans. / Le refus d'autorisation est motivé. / Le bénéfice cumulé de ce maintien en fonctions, des prolongations d'activité et des reculs de limite d'âge prévus aux articles L. 556-2 à L. 556-5 ne peut conduire le fonctionnaire à être maintenu en fonctions au-delà de soixante-dix ans ". Ces dispositions confèrent à l'autorité compétente un large pouvoir d'appréciation de l'intérêt, pour le service, d'autoriser un fonctionnaire atteignant la limite d'âge à être maintenu en activité. Elle peut ainsi, notamment, se fonder sur l'objectif tendant à privilégier le recrutement de jeunes agents par rapport au maintien en activité des agents ayant atteint la limite d'âge.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que pour refuser la demande de prolongation d'activité de M. B..., comme elle en avait la faculté, l'administration s'est fondée sur la nécessité de renouveler, dans l'intérêt du service, la composition du service de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche, par une réduction du nombre de membres de l'inspection appartenant comme M. B... au groupe I et le recrutement d'inspecteurs plus jeunes appartenant aux groupes II et III. Ce motif, sur lequel pouvait légalement se fonder l'administration pour la mise en oeuvre des dispositions précitées relatives au maintien en activité au-delà de la limite d'âge dont M. B... demandait l'application, rendait nécessaire la prise en compte de l'âge de l'intéressé. Par suite, en jugeant que le moyen tiré de l'illégalité de la décision en raison du caractère discriminatoire du motif tenant à l'âge de M. B... était de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse est fondé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'article 1er de l'ordonnance attaquée.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

7. La condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à la situation du requérant et aux intérêts qu'il entend défendre. Il en va ainsi, alors même que cette décision n'aurait un objet ou des répercussions que purement financiers et que, en cas d'annulation, ses effets pourraient être effacés par une réparation pécuniaire. Il appartient au juge des référés, saisi d'une demande tendant à la suspension d'une telle décision, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de celle-ci sur la situation de ce dernier ou, le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

8. Pour caractériser l'existence d'une situation d'urgence, M. B... invoque la perte de revenu correspondant à la différence entre sa rémunération et la pension à laquelle il aura droit, l'absence de prise en compte dans le calcul de celle-ci de son dernier échelon indiciaire et l'impossibilité de bénéficier des soixante jours de congés inscrits sur son compte épargne temps. Il n'apporte toutefois aucune précision sur le caractère insuffisant de la pension qui lui serait octroyée au regard de ses charges actuelles, alors même qu'il ne pouvait ignorer le moment où il atteindrait la limite d'âge et les conséquences normalement attendues de celle-ci sur ses revenus. Dès lors, les éléments invoqués ne caractérisent pas une situation d'urgence au sens et pour l'application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative.

9. Il résulte de ce qui précède que l'une des conditions posées par l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'étant pas remplie, M. B... n'est pas fondé à demander la suspension de l'exécution de la décision du 3 août 2023 du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par suite, être rejetées.


D E C I D E :
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Article 1er : L'article 1er de l'ordonnance du 20 octobre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La demande de suspension de l'exécution de la décision du 3 août 2023 du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse présentée par M. B... devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et à M. A... B....
Copie en sera adressée au Premier ministre.


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