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Ariane Web: Conseil d'État 491706, lecture du 1 juillet 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:491706.20250701

Décision n° 491706
1 juillet 2025
Conseil d'État

N° 491706
ECLI:FR:CECHR:2025:491706.20250701
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
M. Vincent Mahé, rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du mardi 1 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. ... et Mme ... ont demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquels ils ont été assujettis au titre de l'année 2010, des majorations et intérêts de retard correspondants ainsi que du rappel des restitutions d'impôt de solidarité sur la fortune dont ils avaient bénéficié au titre des années 2012 à 2015, pour un montant total de 30 264 961 euros. Par un jugement n° 1818668 du 2 décembre 2020, ce tribunal a fait droit à leurs demandes.

Par un arrêt n° 21PA01639 du 15 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique contre ce jugement.

Par un pourvoi, enregistré le 13 février 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de M. et ... ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées les 28 mai et 20 juin 2025, présentées par M. et ... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'entre 1994 et 2003, M. ... a souscrit, pour un montant total de 131 171 700 euros, des options donnant droit à la souscription d'actions des sociétés ... et ..., accordées par les assemblées générales de ces sociétés qu'il dirige. La levée de ces options a dégagé un gain de 249 837 250 euros dont l'imposition a été reportée, en application de l'article 163 bis C du code général des impôts alors en vigueur, à la date de revente de ces actions. Entre le 1er avril 2005 et le 19 juin 2007, ces mêmes actions ont été apportées par M. ..., à la société ..., dont il détient la totalité des parts sauf une, et inscrites au bilan de cette dernière pour un montant de 368 441 657 euros. L'opération d'apport a elle-même été placée sous le régime de sursis d'imposition prévu par les dispositions de l'article 150-0 B du code général des impôts. Le 12 avril 2010, la société ... a procédé, par diminution de la valeur nominale de ses parts, à une réduction de capital non motivée par des pertes de 50 020 600 euros. Estimant que la somme versée en conséquence à M. ... à concurrence des actions ... qu'il avait obtenues en rémunération de son apport, soit 49 970 800 euros, avait la nature non d'un remboursement d'apports mais d'une répartition, taxable entre ses mains sur le fondement du 3° de l'article 120 du code général des impôts, l'administration a mis à la charge de ... des suppléments d'impôt sur le revenu et de cotisations sociales au titre de l'année 2010 et a procédé à la reprise de créances de droit à restitution au titre de l'article 1649-0 A du code général des impôts, que les contribuables avaient imputées sur l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre des années 2012, 2013, 2014 et 2015. Après rejet de leur réclamation, M. et ... ont saisi le tribunal administratif de Paris qui, par un jugement du 2 décembre 2020, a prononcé la décharge de l'intégralité des sommes en litige, soit 30 264 961 euros. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 15 décembre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'il avait formé contre ce jugement.

2. D'une part, aux termes de l'article 120 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : " Sont considérés comme revenus au sens du présent article : (...) 3° Les répartitions faites aux associés, aux actionnaires et aux porteurs de parts de fondateur des mêmes sociétés, à un titre autre que celui de remboursement d'apports ou de primes d'émission. Une répartition n'est réputée présenter le caractère d'un remboursement d'apport ou de prime que si tous les bénéfices ou réserves ont été auparavant répartis. Les dispositions prévues à la deuxième phrase ne s'appliquent pas lorsque la répartition est effectuée au titre du rachat par la société émettrice de ses propres titres ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 80 bis du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " L'avantage correspondant à la différence entre la valeur réelle de l'action à la date de levée d'une option accordée dans les conditions prévues aux articles L. 225-177 à L. 225-186 du code de commerce, et le prix de souscription ou d'achat de cette action constitue pour le bénéficiaire un complément de salaire imposable dans les conditions prévues au II de l'article 163 bis C. " Aux termes de l'article 163 bis C du même code, également dans sa rédaction applicable au litige : " I. L'avantage défini à l'article 80 bis est imposé lors de la cession des titres, selon le cas, dans des conditions prévues à l'article 150-0 A ou 150 UB si les actions acquises revêtent la forme nominative et demeurent indisponibles sans être données en location, suivant des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat, jusqu'à l'achèvement d'une période de quatre années à compter de la date d'attribution de l'option (...) / II. Si les conditions prévues au I ne sont pas remplies, l'avantage mentionné à l'article 80 bis est ajouté au revenu imposable de l'année au cours de laquelle le salarié aura converti les actions au porteur, en aura disposé ou les aura données en location. / Toutefois, si les actions sont cédées pour un prix inférieur à leur valeur réelle à la date de levée de l'option, la différence est déductible du montant brut de l'avantage mentionné au premier alinéa et dans la limite de ce montant, lorsque cet avantage est imposable (...) ". Aux termes de l'article 150-0 B du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Les dispositions de l'article 150-0 A ne sont pas applicables, au titre de l'année de l'échange des titres, aux plus-values réalisées dans le cadre (...) d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés. / Ces dispositions s'appliquent aux opérations (...) d'apports de titres mentionnées au premier alinéa réalisées (...) dans un autre Etat membre de la Communauté européenne... ". Enfin, aux termes de l'article 150-0 D, dans sa rédaction applicable : " 1. Les gains nets mentionnés au I de l'article 150-0 A sont constitués par la différence entre le prix effectif de cession des titres ou droits, net des frais et taxes acquittés par le cédant, et leur prix effectif d'acquisition par celui-ci (...) / 8. Pour les actions acquises dans les conditions prévues aux articles L. 225-177 à L. 225-186 du code de commerce, le prix d'acquisition des titres à retenir par le cessionnaire pour la détermination du gain net est le prix de souscription ou d'achat des actions augmenté de l'avantage défini à l'article 80 bis du présent code (...) / 9. En cas de vente ultérieure ou de rachat mentionné au 6 du II de l'article 150-0 A de titres reçus à l'occasion d'une opération mentionnée à l'article 150-0 B, (...) le gain net est calculé à partir du prix ou de la valeur d'acquisition des titres échangés, diminué de la soulte reçue ou majoré de la soulte versée lors de l'échange ".

4. En premier lieu, il résulte de la combinaison des dispositions précitées des articles 80 bis, 163 bis C, 150-0 B et 150-0 D du code général des impôts que l'apport à une société soumise à l'impôt sur les sociétés de titres acquis par l'exercice d'options accordées dans les conditions prévues aux articles L. 225-177 à L. 225-186 du code de commerce a pour effet le maintien du report d'imposition du gain de levée d'option jusqu'à la cession des titres remis en rémunération de l'apport. Cette cession entraîne, d'une part la taxation, selon le régime spécifique prévu à l'article 163 bis C, du gain de levée d'option et, d'autre part, l'imposition, dans la catégorie des plus-values mobilières, du gain correspondant à l'excédent du produit de la cession des titres remis en rémunération de l'apport sur la valeur réelle, à la date de levée des options, des titres apportés. En cas de cession des titres remis en rémunération de l'apport pour un prix inférieur à la valeur réelle, à la date de levée des options, des titres apportés, le montant brut du gain de levée d'option est réduit, dans la limite de ce gain, de la moins-value correspondante. La cour a ainsi relevé à bon droit que le gain de levée d'option réalisé par M. ... avait été maintenu en report d'imposition à la suite de l'apport par celui-ci à la société ..., sous le régime de l'article 150-0 B, des titres acquis par exercice des options qui lui avaient été attribuées.

5. En deuxième lieu, en adoptant les dispositions précitées de l'article 150-0 B du code général des impôts, le législateur a entendu faciliter les opérations de restructuration d'entreprises, en vue de favoriser la création et le développement de celles-ci, par l'octroi automatique d'un sursis d'imposition pour les plus-values résultant de certaines de ces opérations, notamment d'échanges de titres. Il a, pour ce faire, entendu assurer la neutralité au plan fiscal de ces opérations d'échange de titres et, à cette fin, sauf lorsqu'il en a disposé autrement, regarder de telles opérations comme des opérations intercalaires.

6. Il en résulte qu'eu égard à cet objectif et à l'absence de dispositions contraires, lorsque les titres d'une société sont apportés par un contribuable soumis à l'impôt sur le revenu qui reçoit, en échange, des titres de la société bénéficiaire de l'apport et, bénéficie, en application de l'article 150-0 B du code général des impôts, de la prorogation du report d'imposition du gain résultant de l'exercice de l'option d'acquisition des titres apportés ainsi que du régime, prévu à cet article, de sursis automatique d'imposition du résultat de l'opération d'apport, ces titres doivent être réputés entrés dans le patrimoine de l'apporteur aux conditions dans lesquelles étaient entrés les titres dont il a fait apport.

7. Par suite, lorsque la société bénéficiaire de l'apport procède à une réduction de son capital social, non motivée par des pertes, par diminution de la valeur nominale de ses parts, les sommes mises en conséquence à la disposition d'un associé qui a acquis ces parts en rémunération de l'apport de titres d'une autre société ne peuvent constituer des remboursements d'apports non constitutifs de revenus distribués, au sens du 3° de l'article 120 du code général des impôts et sous réserve du respect des conditions auxquelles ces dispositions subordonnent leur application, que dans la limite du prix versé par cet associé pour acquérir les titres apportés. Lorsque tous les bénéfices ou réserves de la société bénéficiaire de l'apport ont été auparavant répartis, de sorte que les sommes qu'elle verse aux associés en conséquence de la réduction de son capital sont réputées constituer un remboursement partiel des apports qui lui ont été consentis, ces sommes ne sont réparties en franchise d'impôt au profit de l'associé qu'à concurrence du rapport formé, au numérateur, par le prix versé par cet associé pour acquérir les titres apportés et, au dénominateur, par la valeur à laquelle l'apport fait par cet associé a été enregistré dans les comptes de la société qui en a bénéficié.

8. Pour juger qu'à la suite de la réduction de capital non motivée par des pertes à laquelle la société ... a procédé, le 12 avril 2010, par diminution de la valeur nominale de ses actions, les sommes versées à M. ... au titre des actions ... obtenues en contrepartie de l'apport qu'il avait effectué au bénéfice de cette société devaient être intégralement regardées comme un remboursement d'apport au sens de l'article 120 précité, la cour administrative d'appel s'est bornée à relever, d'une part, que le bilan comptable de la société ... ne faisait alors apparaître ni bénéfices, ni réserves autres que la réserve légale et, d'autre part, que le montant des répartitions appréhendées par le contribuable n'excédait pas la valeur à laquelle les titres apportés étaient entrés dans son patrimoine. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 qu'en statuant ainsi, la cour a commis une erreur de droit.

9. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à leur titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 15 décembre 2023 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. et ... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à M. et ....
Délibéré à l'issue de la séance du 28 mai 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 1er juillet 2025.

Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mahé
La secrétaire :
Signé : Mme Catherine Xavier