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Ariane Web: Conseil d'État 494491, lecture du 4 juillet 2025, ECLI:FR:CECHS:2025:494491.20250704

Décision n° 494491
4 juillet 2025
Conseil d'État

N° 494491
ECLI:FR:CECHS:2025:494491.20250704
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre
M. Philippe Ranquet, président
Mme Muriel Deroc, rapporteure
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique


Lecture du vendredi 4 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 mai, 5 août et 31 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association française d'étude et protection des poissons (AFEPP) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'adopter le décret nécessaire pour, conformément aux exigences de l'article 12 du règlement (CE) n° 1100/2007 du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes, garantir la traçabilité des anguilles vivantes qui sont importées ou exportées depuis le territoire français ou, à tout le moins, en l'attente de l'adoption d'un tel décret, des mesures transitoires d'urgence permettant d'atteindre le même objectif ;

2°) à titre subsidiaire, de sursoir à statuer et de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : " L'utilisation du système TRACES (Trade Control and Expert System) suffit-elle à répondre aux exigences de l'article 12 du règlement (CE) n° 1100/2007 du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes ' " ;

3°) d'ordonner à l'administration, d'une part, d'indiquer le fondement réglementaire de l'obligation faite aux opérateurs de renseigner dans le système " TRACES-NT ", en vue de la délivrance d'un certificat sanitaire et dans le cas des anguilles, la finalité de consommation ou de repeuplement et, d'autre part, les quantités de civelles exportées depuis la France vers les différents Etats de l'Union européenne en vue du repeuplement et, pour chaque pays de destination, les quantités de civelles importées depuis la France qui ont été relâchées, respectivement, au stade de la civelle, de l'anguille jaune et de l'anguille argentée ;

4°) d'enjoindre au Premier ministre d'adopter le décret mentionné au 1°) ou, à tout le moins, en l'attente de l'adoption d'un tel décret, des mesures transitoires d'urgence permettant d'atteindre le même objectif.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 ;
- le code de l'environnement ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- l'arrêté du 22 octobre 2010 relatif aux obligations de déclaration des captures d'anguille européenne (Anguilla anguilla) par les pêcheurs en eau douce ;
- l'arrêté du 18 décembre 2013 fixant les obligations applicables aux pêcheurs professionnels en eau douce relatives à la tenue du carnet de pêche et à la déclaration des captures d'anguilles européennes (Anguilla anguilla) ;
- l'arrêté du 25 octobre 2024 définissant les mesures de contrôle de la pêcherie professionnelle d'anguille (Anguilla anguilla) dans les eaux maritimes ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;



Considérant ce qui suit :

1. Par lettre du 24 mars 2024, l'Association française d'étude et de protection des poissons (AFEPP) a demandé au Premier ministre d'adopter le décret nécessaire pour garantir la traçabilité des anguilles vivantes qui sont importées ou exportées depuis le territoire français ou, à tout le moins, en l'attente de l'adoption d'un tel décret, des mesures transitoires d'urgence permettant d'atteindre le même objectif. Par la présente requête, l'AFEPP demande l'annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande.

2. D'une part, il appartient aux seules autorités compétentes de déterminer, parmi les mesures juridiques, financières, techniques ou d'organisation qui sont susceptibles d'être prises, celles qui sont les mieux à même d'assurer le respect des obligations qui leur incombent. Le refus de prendre une mesure déterminée ne saurait être regardé comme entaché d'illégalité au seul motif que la mise en oeuvre de cette mesure serait susceptible de concourir au respect de ces obligations. Il ne saurait en aller autrement que dans l'hypothèse où l'édiction de la mesure sollicitée se révélerait nécessaire au respect de l'obligation en cause et où l'abstention de l'autorité compétente exclurait, dès lors, qu'elle puisse être respectée.

3. D'autre part, l'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus opposé à la demande mentionnée au point précédent réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de prendre les mesures jugées nécessaires. La légalité de ce refus doit, dès lors, être appréciée par ce juge au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.

Sur le cadre juridique applicable en matière de traçabilité des anguilles vivantes :

4. Aux termes de l'article 12 du règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 : " Au plus tard le 1er juillet 2009, les États membres : / - prennent les mesures nécessaires pour déterminer l'origine et garantir la traçabilité de toutes les anguilles vivantes qui sont importées ou exportées depuis leur territoire (...) ". Une telle obligation a pour finalité, ainsi que le précise le 16ème considérant de ce règlement, de garantir l'exécution des mesures adoptées par les Etats membres de l'Union européenne, en application de ce règlement et dans le cadre de leurs plans de gestion de l'anguille respectifs, en vue de la reconstitution du stock d'anguilles européennes, pour ce qui concerne les importations et exportations de ce poisson. Il s'agit notamment, pour la France, du contrôle du respect des quotas de pêche au stade de l'anguille de moins de 12 cm (civelle) et de la destination des captures autorisées dans le cadre de ces quotas, à savoir la consommation ou le repeuplement.

5. S'agissant, d'une part, de la réglementation en droit interne de la pêche maritime de l'anguille, l'article R. 913-1 du code rural et de la pêche maritime dispose que : " Lorsque ces règles ne résultent pas d'un règlement européen, le ministre chargé des pêches maritimes et de l'aquaculture marine (...) fixe (...) les règles relatives à la périodicité, à la forme, au contenu et à la transmission des déclarations des quantités et des valeurs des produits de la pêche maritime mis sur le marché, par espèce, taille, qualité et mode de présentation, applicables aux pêcheurs, producteurs, premiers acheteurs, transporteurs, importateurs et exportateurs, à leurs organisations reconnues et aux organismes gestionnaires de halles à marée, en ce qui concerne leurs activités respectives, ainsi que les obligations de transmission auxquelles sont soumis les organismes qui détiennent des informations statistiques pour le compte des producteurs ". L'article R. 922-52 du même code ajoute que : " Les modalités et conditions particulières de la pêche de l'anguille, les obligations déclaratives pesant sur les pêcheurs, les premiers acheteurs et les transporteurs d'anguille ainsi que les règles relatives à l'enregistrement, à la déclaration des captures, au débarquement, à la première vente et au transport de l'anguille sont fixées par arrêté du ministre chargé des pêches maritimes et de l'aquaculture marine ". Un arrêté relatif aux mesures de contrôle de la pêcherie professionnelle d'anguille, pris sur le fondement de ces dispositions par le ministre chargé de la pêche maritime, dans sa version du 21 octobre 2019 à la date d'introduction de la requête et dans celle du 25 octobre 2024 à la date de la présente décision, a notamment institué des obligations déclaratives pesant, pour la pêche professionnelle, sur les producteurs, sur les opérateurs de transport, sur les établissements de stockage et sur les premiers acheteurs, responsables de la première mise sur le marché à qui il incombe notamment d'indiquer, sur l'outil de déclaration VISIOmer, l'origine des captures, les quantités vendues, le lieu et la date de la vente, le nom de l'acheteur et la référence de la déclaration de prise en charge ou du document de transport, ainsi que, s'agissant en particulier de l'anguille, le stade biologique et la destination des captures, à savoir, pour les civelles, " consommation " ou " repeuplement ".

6. S'agissant, d'autre part, de la pêche de l'anguille en eau douce, l'article R. 436-64 du code de l'environnement dispose que : " I. - Tout pêcheur en eau douce, professionnel ou de loisir, doit tenir à jour un carnet de pêche selon les modalités fixées par le plan de gestion des poissons migrateurs. Toutefois, pour la pêche de l'anguille, ces modalités sont fixées par arrêté du ministre chargé de la pêche en eau douce. / II. - En outre, toute capture d'anguille à l'aide d'engins ou de filets est enregistrée dans la fiche de pêche et déclarée selon les modalités fixées par l'arrêté prévu au I. / III. - Les obligations auxquelles sont tenus les pêcheurs de loisir ainsi que leurs associations pour permettre l'évaluation du nombre des pêcheurs d'anguille et du volume de leurs captures sont déterminées par arrêté du ministre chargé de la pêche en eau douce ". Par deux arrêtés des 22 octobre 2010 et 18 décembre 2013, le ministre chargé de la pêche en eau douce a déterminé les obligations pesant, respectivement, sur les pêcheurs amateurs aux engins et aux filets et sur les pêcheurs professionnels en matière d'enregistrement et de déclaration de leurs captures d'anguilles. L'article R. 436-65-7 du code de l'environnement ajoute que : " Ces captures sont soumises à la réglementation de la pêche maritime en matière de transport et de première vente des poissons ", rendant ainsi applicables les dispositions en la matière rappelées au point 6.

7. Enfin, les manquements aux obligations mentionnées aux points 5 et 6 donnent lieu à sanction dans les conditions définies aux articles L. 946-1 et R. 922-53 du code rural et de la pêche maritime, ainsi qu'aux articles R. 436-65-7 et R. 436-68 du code de l'environnement.

Sur la requête de l'AFEPP :

8. L'AFEPP ne conteste pas que les dispositions réglementaires mentionnées aux points 5 et 6, en imposant des obligations déclaratives aux différents intervenants de la filière pouvant aboutir à l'exportation des anguilles, depuis le producteur jusqu'aux premiers acheteurs, responsables de la première mise sur le marché, assurent une traçabilité des anguilles pêchées ou débarquées en France permettant d'identifier leur parcours jusqu'à leur possible acquisition par un opérateur étranger, le pays d'expédition ainsi que la destination des spécimens.

9. Si l'association requérante fait en revanche valoir l'absence de dispositions permettant aux autorités françaises d'obtenir des informations relatives au devenir des civelles une fois qu'elles ont été exportées dans les pays de destination, les dispositions de l'article 12 du règlement (CE) n° 1100/2007 ne sauraient avoir pour objet ou pour effet d'imposer aux Etats membres d'assurer une traçabilité au-delà de leurs frontières. Ne sont pas davantage de nature à établir la nécessité de l'adoption du décret réclamé par l'association la circonstance que l'administration n'ait pas produit, dans la présente instance, les données agrégées que l'association sollicitait relatives aux quantités de civelles exportées depuis la France, en vue du repeuplement, vers les différents Etats membres de l'Union européenne, et celle que l'administration ait soutenu s'appuyer sur les données fournies par la plate-forme numérique européenne TRACES-NT sans démontrer l'existence d'une obligation juridique, pour les opérateurs qui y déclarent des mouvements d'importation ou d'exportation d'anguilles vivantes, de mentionner le stade de développement des anguilles et la destination de consommation ou de repeuplement.

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner les mesures d'instruction demandées et sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur l'utilisation du système TRACES, qui n'est pas pertinente pour la solution du litige, que la requête de l'AFEPP ne peut être que rejetée.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'AFEPP est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association française d'étude et protection des poissons (AFEPP), à la ministre la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Copie en sera adressée au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 juin 2025 où siégeaient : M. Philippe Ranquet, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat et Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 4 juillet 2025.


Le président :
Signé : M. Philippe Ranquet


La rapporteure :
Signé : Mme Muriel Deroc

La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova