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Ariane Web: Conseil d'État 495668, lecture du 16 juillet 2025, ECLI:FR:CECHS:2025:495668.20250716

Décision n° 495668
16 juillet 2025
Conseil d'État

N° 495668
ECLI:FR:CECHS:2025:495668.20250716
Inédit au recueil Lebon
9ème chambre
Mme Anne Egerszegi, présidente
M. Julien Barel, rapporteur
Mme Céline Guibé, rapporteure publique
SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS, avocats


Lecture du mercredi 16 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre des années 2013 à 2016. Par un jugement
nos 1903627, 1903628 du 3 février 2022, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 22DA00728 du 2 mai 2024, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par M. A... contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les
3 juillet et 3 octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Pour demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque, M. A... soutient que la cour administrative d'appel de Douai :
- l'a insuffisamment motivé et a commis une erreur de droit en omettant d'examiner, pour déterminer sa domiciliation fiscale au sens et pour l'application de la convention fiscale franco-italienne du 5 octobre 1989, le critère du foyer d'habitation permanent avant d'examiner le critère du centre des intérêts vitaux ;
- l'a insuffisamment motivé et a dénaturé les pièces du dossier en relevant que l'appartement dont il était propriétaire en Italie avait été acquis pour un prix de 194 000 euros, alors que sa valeur était désormais estimée à 400 000 euros, et qu'il avait développé en France de nombreuses relations sociales et amicales, pour en déduire qu'il avait le centre de ses intérêts vitaux en France ;
- l'a insuffisamment motivé et a dénaturé les pièces du dossier en affirmant que l'administration fiscale avait admis, comme charges, l'ensemble des dépenses, y compris exposées à l'étranger, qui présentaient un caractère déductible au regard de la législation française, alors que le vérificateur n'avait admis qu'un forfait de charges déductibles de 20 % ;
- l'a insuffisamment motivé, a commis une erreur de droit au regard de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, dénaturé les pièces du dossier et inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant qu'il ne pouvait être regardé comme s'étant soustrait à ses obligations déclaratives en France à la suite d'une erreur commise de bonne foi sur le lieu d'imposition de ses revenus, alors notamment qu'elle s'était fondée uniquement sur le montant des impositions acquittées respectivement en France et en Italie et non sur l'ensemble des circonstances de l'espèce ;
- a dénaturé les pièces du dossier et inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que la décharge de la majoration de 80 % pour exercice d'une activité occulte à la suite de l'exercice du recours hiérarchique ne constituait pas une prise de position formelle au sens de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales ;
- a méconnu les dispositions de l'accord fiscal entre la France et le Gouvernement de la Région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine du 21 octobre 2010 en jugeant qu'il ne pouvait faire valoir, dans le cadre d'une demande tendant à la décharge d'impositions supplémentaires, l'existence de crédits d'impôt à imputer ;
- a méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve en faisant peser sur lui la charge d'établir que les revenus de source hongkongaise au titre desquels il demandait le bénéfice de l'imputation d'un crédit d'impôt avaient été compris dans les bases ayant servi au calcul de son imposition en France.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales, signée le 5 octobre 1989, ainsi que le protocole et l'échange de lettres qui y sont annexés ;
- l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales, conclu le 21 octobre 2010, ainsi que le protocole qui y est annexé ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Julien Barel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de M. A... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité portant sur les années 2012 à 2016, l'administration fiscale a estimé que l'activité professionnelle de jockey que M. A... exerçait à titre indépendant l'avait été de manière occulte sur le territoire français au cours des années 2013 à 2016 et que ses bénéfices devaient être imposé, en France. Par ailleurs, l'administration fiscale a procédé à l'examen de la situation fiscale personnelle de M. A... au titre des années 2013 à 2015. Par un arrêt du
2 mai 2024, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par M. A... contre le jugement du 3 février 2022 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles il a été assujetti au titre des années 2013 à 2016 à la suite de ces contrôles.

Sur la domiciliation fiscale en France au regard de la convention fiscale
franco-italienne :

2. Aux termes de l'article 4 de la convention fiscale conclue le 5 octobre 1989 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales : " 2. Lorsque, selon les dispositions du paragraphe 1, une personne physique est un résident des deux Etats, sa situation est réglée de la manière
suivante : / a) Cette personne est considérée comme un résident de l'Etat où elle dispose d'un foyer d'habitation permanent ; si elle dispose d'un foyer d'habitation permanent dans les deux Etats, elle est considérée comme un résident de l'Etat avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux) ; / (...) ".

3. En premier lieu, après avoir relevé que M. A... ne contestait pas disposer, au cours des années en litige, d'un foyer d'habitation permanent en France et admis l'existence d'un foyer d'habitation permanent en Italie ainsi qu'il le soutenait, la cour administrative d'appel a pu, par une décision suffisamment motivée et sans commettre d'erreur de droit, examiner dans lequel des deux Etats l'intéressé disposait du centre de ses intérêts vitaux pour l'application des stipulations du 2 de l'article 4 de la convention fiscale franco-italienne citées au point 2.

4. En second lieu, pour juger que les liens économiques et personnels du requérant étaient plus étroits avec la France qu'avec l'Italie, la cour s'est fondée, d'une part, sur ce qu'il avait résidé, de manière prépondérante, en France où il disposait de l'essentiel de ses revenus et de ses avoirs, dont des biens immobiliers, et où il avait exercé la majeure partie de son activité professionnelle en s'impliquant particulièrement dans le milieu hippique français, et, d'autre part, sur ce que cette activité lui avait permis de développer de nombreuses relations sociales et amicales en France. Si le requérant soutient que son cercle familial et amical était uniquement en Italie, il ne conteste pas la réalité de son implication dans le milieu hippique français. Par suite, les moyens tirés de ce que la cour aurait insuffisamment motivé sa décision et dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ne peuvent qu'être écartés, la circonstance que la cour ait retenu le prix d'acquisition des biens immobiliers en cause et non leur valeur vénale étant sans incidence à cet égard.

Sur l'application du délai de reprise de dix ans :

5. Aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " (...) le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, lorsque le contribuable exerce une activité occulte. L'activité occulte est réputée exercée lorsque le contribuable n'a pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire et soit n'a pas fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, soit s'est livré à une activité illicite ". Il en résulte que dans le cas où un contribuable n'a ni déposé dans le délai légal les déclarations qu'il était tenu de souscrire, ni fait connaître son activité à un centre de formalités des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce, son activité est réputée occulte s'il n'est pas en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ses obligations déclaratives. S'agissant d'un contribuable qui fait valoir qu'il a satisfait à l'ensemble de ses obligations fiscales dans un État autre que la France, la justification de l'erreur commise doit être appréciée en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment du niveau d'imposition dans cet autre État et des modalités d'échange d'informations entre les administrations fiscales des deux États.

6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour juger que le requérant ne pouvait être regardé comme, ainsi qu'il le soutenait, ne s'étant soustrait à ses obligations déclaratives en France qu'à la suite d'une erreur commise de bonne foi sur le lieu d'imposition de ses revenus, la cour administrative d'appel s'est fondée sur l'existence, en dépit de taux d'imposition comparables, d'un différentiel important d'impôt sur le revenu acquitté par celui-ci en Italie et le montant d'imposition auquel il avait été assujetti en France à l'issue du contrôle, ainsi que sur les montants de revenus respectivement déclarés dans ces deux Etats.

7. En premier lieu, si, contrairement à ce qu'a relevé, à tort, la cour administrative d'appel, l'administration fiscale française n'a procédé, dans le cadre de la reconstitution du chiffre d'affaires à laquelle elle s'était livrée, à la déduction des charges exposées pour l'activité de jockey qu'à hauteur d'un forfait de 20 % et non de l'intégralité des dépenses, cette erreur est sans incidence sur le raisonnement selon lequel l'intéressé avait un intérêt fiscal à déclarer ses revenus en Italie eu égard à un mode de détermination d'assiette plus favorable dans cet Etat. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que le forfait de 20 % avait été retenu par le vérificateur, faute pour le contribuable d'établir le niveau allégué de ses charges. Par suite, les moyens tirés de ce que la cour aurait dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis et, par voie de conséquence, inexactement qualifié les faits ne peuvent qu'être écartés, comme inopérants.

8. En deuxième lieu, le requérant soutient que la cour administrative d'appel a insuffisamment motivé son arrêt, commis une erreur de droit au regard de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, dénaturé les pièces du dossier et inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant qu'il ne pouvait être regardé comme s'étant soustrait à ses obligations déclaratives en France à la suite d'une erreur commise de bonne foi sur le lieu d'imposition de ses revenus, alors qu'elle s'était fondée uniquement sur le montant des impositions acquittées respectivement en France et en Italie et non sur l'ensemble des circonstances de l'espèce. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 6, la cour ne s'est pas uniquement fondée sur les montants d'impôts respectivement acquittés en France et en Italie mais également sur les montants de revenus déclarés dans ces deux Etats. Par ailleurs, M. A... ne précise pas quelles autres circonstances la cour aurait dû prendre en compte. Par suite, les moyens soulevés sur ce point ne peuvent qu'être écartés.

9. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond et notamment du compte-rendu du recours hiérarchique du 21 juin 2018, qu'en estimant que la renonciation par l'administration fiscale à l'application de la majoration de 80 % prévue au c du 1 de l'article 1728 du code général des impôts en cas de découverte d'une activité occulte, avait été prise à titre de mesure de tolérance et concernait exclusivement les pénalités dont avaient été assortis les suppléments d'impôt en litige, la cour administrative d'appel n'a pas dénaturé les pièces du dossier. En jugeant que, par suite, l'administration ne pouvait être regardée comme ayant pris, au regard du texte fiscal, une position formelle sur une situation de fait au sens et pour l'application de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, en ce qui concerne le bien-fondé de l'exercice du droit de reprise décennal prévu à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales lorsqu'elle met à jour une activité occulte, elle n'a pas non plus inexactement qualifié les faits soumis à son appréciation.

Sur la double imposition alléguée des revenus de source hongkongaise :

10. Aux termes de l'article 7 de l'accord conclu le 21 octobre 2010 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'une Partie contractante ne sont imposables que dans cette Partie, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Partie contractante par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Partie mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable ". En outre, aux termes de l'article 16 du même accord : " 1. Nonobstant les dispositions des articles 7 et 14, les revenus qu'un résident d'une Partie contractante tire de ses activités personnelles exercées dans l'autre Partie contractante en tant (...) que sportif, sont imposables dans cette autre
Partie ". Enfin, aux termes de l'article 22 de cet accord : " 1. En ce qui concerne la France, les doubles impositions sont éliminées de la manière suivante : / a) Nonobstant toute autre disposition du présent Accord, les revenus qui sont imposables ou ne sont imposables que dans la Région administrative spéciale de Hong Kong conformément aux dispositions de l'Accord sont pris en compte pour le calcul de l'impôt français lorsqu'ils ne sont pas exemptés de l'impôt sur les sociétés en application de la législation française. Dans ce cas, l'impôt de la Région administrative spéciale de Hong Kong n'est pas déductible de ces revenus, mais le résident de France qui en est le bénéficiaire effectif a droit, sous réserve des conditions et limites prévues aux sous paragraphes i) et ii), à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français. (...) ".

11. En premier lieu, pour écarter le moyen tiré de ce que M. A... était fondé à se prévaloir, en application des stipulations du a du 1 de l'article 22 de cette convention citées au point précédent, de crédits d'impôt imputables sur les impositions en litige, correspondant aux montants des retenues à la source auxquelles avaient été soumis les revenus qu'il avait perçus à Hong Kong au cours des années en cause, la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que les documents versés à l'instruction n'étaient pas de nature à permettre de tenir pour avérée la situation de double imposition alléguée, dans la mesure où aucune correspondance certaine ne pouvait être établie entre ces revenus et ceux figurant sur les propositions de rectification qui lui avaient été notifiées par l'administration fiscale française. Dès lors que seul le requérant était en mesure d'apporter les justificatifs permettant d'établir cette correspondance, la cour administrative d'appel n'a pas, contrairement à ce qui est soutenu, méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve.

12. En second lieu, compte tenu de ce qui a été dit au point 11, le moyen tiré de ce que la cour aurait méconnu les stipulations conventionnelles citées au point 10 en jugeant par ailleurs que le requérant ne pouvait faire valoir, dans le cadre d'une demande tendant à la décharge d'impositions supplémentaires, l'existence de crédits d'impôt à imputer, se rapporte à un motif surabondant et ne peut, par suite, qu'être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Son pourvoi doit par suite être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de M. A... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 19 juin 2025 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Vincent Daumas, conseiller d'Etat et M. Julien Barel, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 16 juillet 2025.


La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Julien Barel
Le secrétaire :
Signé : M. Gilles Ho
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :