Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 475489, lecture du 24 juillet 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:475489.20250724

Décision n° 475489
24 juillet 2025
Conseil d'État

N° 475489
ECLI:FR:CECHR:2025:475489.20250724
Inédit au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Nicolas Jau, rapporteur
SCP PIWNICA & MOLINIE, avocats


Lecture du jeudi 24 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 juin et 28 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, MM. D... B..., C... E... et A... F... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 27 décembre 2022 relatif à l'obligation d'emport d'équipements du système de surveillance des navires embarqués à bord de navires de pêche de moins de douze mètres sous pavillon français, ainsi que la décision implicite de rejet née du silence gardé par le secrétaire d'Etat chargé de la mer sur leur recours gracieux du 28 février 2023 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le règlement (CE) n° 1224/2009 du Conseil du 20 novembre 2009 ;
- le règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Jau, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. D... B..., de M. C... E... et de M. A... F... ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 27 décembre 2022 relatif à l'obligation d'emport d'équipements du système de surveillance des navires embarqués à bord de navires de pêche de moins de douze mètres sous pavillon français, publié au Journal officiel de la République française du 31 décembre 2022 : " Tout navire de pêche de six mètres et plus évoluant dans le golfe de Gascogne et détenant à bord des filets et/ou des chaluts doit être équipé d'une balise VMS ou, le cas échéant, d'une balise VMS petits-côtiers, pleinement opérationnelle et paramétrée pour émettre une position en temps réel toutes les heures à compter du départ du port./ (...) / Une fois les équipements visés installés, leur emport et le respect des fréquences d'émission règlementaires est définitif, quels que soit l'engin utilisé ultérieurement ou la zone de pêche concernée par la suite. Un changement de propriétaire n'emporte pas l'extinction de cette obligation ". M. B... et autres demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté, ainsi que la décision implicite de rejet née du silence gardé par le secrétaire d'Etat chargé de la mer sur leur recours gracieux.

2. Aux termes de l'article 2 du règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche (PCP), qui en fixe les objectifs, cette dernière, notamment, d'une part, " applique l'approche de précaution en matière de gestion des pêches et vise à faire en sorte que l'exploitation des ressources biologiques vivantes de la mer rétablisse et maintienne les populations des espèces exploitées au-dessus des niveaux qui permettent d'obtenir le rendement maximal durable ", d'autre part, " met en oeuvre l'approche écosystémique de la gestion des pêches afin de faire en sorte que les incidences négatives des activités de pêche sur l'écosystème marin soient réduites au minimum ". Aux termes de l'article 9, intitulé " Système de surveillance des navires ", du règlement (CE) n° 1224/2009 du Conseil du 20 novembre 2009 instituant un régime de contrôle afin d'assurer le respect des règles de la politique commune de la pêche : " 1. Les États membres utilisent un système de surveillance des navires par satellite afin de contrôler efficacement les activités de pêche exercées par les navires de pêche battant leur pavillon où qu'ils soient, ainsi que les activités de pêche menées dans leurs eaux. / 2. Sans préjudice des dispositions spécifiques contenues dans les plans pluriannuels, un navire de pêche d'une longueur hors tout de 12 mètres au moins est équipé d'un dispositif pleinement opérationnel lui permettant d'être automatiquement localisé et identifié par le système de surveillance des navires grâce à la transmission de données de position à intervalles réguliers. En sens inverse, ce dispositif permet également au centre de surveillance des pêches de l'État membre du pavillon de se procurer des informations sur le navire de pêche. Pour les navires de pêche d'une longueur hors tout comprise entre 12 et 15 mètres, le présent article s'applique à compter du 1er janvier 2012. / (...) / 5. Un État membre peut dispenser les navires de pêche de l'Union d'une longueur hors tout inférieure à 15 mètres battant son pavillon de l'obligation d'être équipés d'un système de surveillance des navires s'ils : a) opèrent exclusivement dans les eaux territoriales de l'État membre du pavillon ; ou b) ne passent jamais plus de vingt-quatre heures en mer, calculées entre le moment du départ et celui du retour au port. / (...) / 9. Un État membre peut contraindre ou autoriser les navires de pêche battant son pavillon à s'équiper d'un système de surveillance des navires. / (...) ".

3. En premier lieu, les dispositions de l'arrêté litigieux citées au point 1 ont un caractère réglementaire. Par suite, elles ne relèvent pas des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, relatives à la motivation des décisions administratives individuelles défavorables. En conséquence, les requérants ne peuvent utilement soutenir qu'elles seraient insuffisamment motivées.

4. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que l'obligation d'emport d'un système de surveillance des navires prévue par l'arrêté attaqué, y compris pour les navires de moins de douze mètres ou pour ceux ayant pu bénéficier de la dispense prévue au point 5 de l'article 9 du règlement (CE) n° 1224/2009 du Conseil du 20 novembre 2009 cité au point 2, a pour objectif d'améliorer le suivi de l'activité de pêche afin de mettre en oeuvre des mesures visant notamment à réduire les captures accidentelles de petits cétacés, en particulier dans le golfe de Gascogne. Il résulte des dispositions citées au point 2 que la réduction au minimum des incidences négatives des activités de pêche sur l'écosystème marin, telles que les captures accidentelles de petits cétacés, constitue l'un des objectifs de la politique commune de la pêche et que la surveillance des navires de pêche, indispensable au bon fonctionnement de celle-ci, poursuit ainsi un objectif d'intérêt général.

5. D'une part, si les requérants soutiennent que les données ainsi recueillies ne permettent pas d'établir un lien de causalité entre les opérations de pêche menées dans une zone et d'éventuelles morts accidentelles de petits cétacés et que d'autres activités maritimes, telles que la plaisance, peuvent également causer de tels dommages sans être soumises à la même obligation, ils ne contestent ni que les activités de pêche au chalut ou au filet présentent des risques de captures accidentelles justifiant la mise en oeuvre de mesures de protection spécifiques, ni qu'un suivi renforcé de ces activités est nécessaire pour garantir leur bonne mise en oeuvre. S'ils soutiennent par ailleurs que la consommation énergétique des balisesVMS pourrait se faire au détriment des équipements de sécurité du navire et mettrait ainsi en danger les pêcheurs concernés, ils n'apportent aucun élément au soutien de cette affirmation. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'obligation d'emport d'un système de surveillance ne serait pas adaptée, nécessaire et proportionnée au regard de l'objectif d'intérêt général poursuivi, rappelé au point 4, et qu'elle porterait ainsi une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté d'aller et de venir des exploitants des navires concernés.

6. D'autre part, si les requérants soutiennent que l'arrêté attaqué méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques en mettant à la charge des exploitants des navires de pêche concernés les coûts d'acquisition et d'utilisation des balises VMS, alors que celles-ci ont pour objet, étranger à leur activité de pêche, de concourir à la recherche scientifique et à l'information des autorités compétentes, ce moyen doit, en tout état de cause, être écarté dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que cette obligation, fondée sur des critères objectifs et rationnels au regard de l'objectif d'intérêt général poursuivi, et qui s'applique également à tous les navires concernés, entraînerait pour les exploitants concernés une charge excessive se traduisant par une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêté attaqué. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
--------------

Article 1er : La requête de MM. B... et autres est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à MM. D... B..., C... E... et A... F... et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Délibéré à l'issue de la séance du 11 juillet 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Pierre Boussaroque, M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, conseillers d'Etat et M. Nicolas Jau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 24 juillet 2025.


Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :
Signé : M. Nicolas Jau

La secrétaire :
Signé : Mme Elisabeth Ravanne