Conseil d'État
N° 497093
ECLI:FR:CECHS:2025:497093.20250729
Inédit au recueil Lebon
10ème chambre
M. Olivier Yeznikian, président
M. Emmanuel Weicheldinger, rapporteur
Mme Esther de Moustier, rapporteure publique
Lecture du mardi 29 juillet 2025
Vu la procédure suivante :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision par laquelle la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a refusé de lui communiquer le rapport établi par l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) à la suite du décès accidentel d'un étudiant de la faculté de médecine Henri Warembourg de l'université de Lille après une soirée d'intégration le 8 juillet 2021, ainsi que d'enjoindre à la ministre de le lui communiquer et de le publier en ligne. Par un jugement n° 2225902 du 28 juin 2024, le tribunal a annulé cette décision, enjoint à la ministre de communiquer, dans un délai d'un mois à compter de la notification de son jugement, le rapport après occultation des noms, prénoms et initiales de l'étudiant décédé, de ses parents et des étudiants entendus dans le cadre de l'enquête administrative, ainsi que des messages et photographies publiés sur les réseaux sociaux figurant en annexe du rapport, et rejeté le surplus des conclusions.
1° Sous le n° 497093, par un pourvoi, enregistré le 20 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de Mme B... ;
2° Sous le n° 497096, par une requête, enregistrée le 20 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche demande au Conseil d'Etat d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.
La requête a été communiquée à Mme B..., qui n'a pas produit de mémoire.
Par une ordonnance du 11 avril 2025, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 avril 2025.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Emmanuel Weicheldinger, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Le pourvoi et la requête de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche sont dirigés contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B..., journaliste, a demandé à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche de lui communiquer le rapport établi par l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) à la suite du décès accidentel d'un étudiant de la faculté de médecine Henri Warembourg de Lille, survenu après une soirée d'intégration, le 8 juillet 2021. La ministre se pourvoit en cassation contre le jugement du 28 juin 2024 par lequel le tribunal administratif de Paris, sur la demande de Mme B..., après avoir ordonné avant-dire droit la production devant lui de ce rapport, sans que Mme B... ait eu le droit d'en prendre connaissance, a annulé la décision de refus qu'elle a opposée à cette demande de communication et lui a enjoint de communiquer ce rapport, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, après occultation des noms, prénoms et initiales de l'étudiant décédé, de ses parents et des étudiants entendus dans le cadre de l'enquête administrative, ainsi que des messages et photographies publiés sur les réseaux sociaux figurant en annexe du rapport.
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, (...). Constituent de tels documents notamment les (...), rapports, (...) ". Aux termes de l'article L. 311-1 du même code : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues (...) de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Aux termes de l'article L. 311-6 du même code : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée (...) ; / 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. / (...) ". Aux termes de l'article L. 311-7 du même code : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ". Il résulte de ces dispositions que les documents administratifs qui comportent des mentions relevant des secrets protégés par l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration ne sont communicables aux tiers qu'après occultation ou disjonction desdites mentions.
4. Les rapports produits par l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche sont des documents administratifs au sens de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration et, dès lors, ne sont communicables aux tiers qui en font la demande qu'après occultation ou disjonction des mentions relevant des secrets protégés, en particulier, par les dispositions de l'article L. 311-6 du même code citée au point précédent. Lorsque, saisi d'un recours né du refus de communication d'un tel rapport, le juge du fond décide d'annuler ce refus et d'enjoindre la communication du document au tiers qui l'a sollicitée, il lui appartient d'ordonner l'occultation ou la disjonction, en particulier, de toutes les mentions, relevant des mêmes dispositions de l'article L. 311-6, figurant dans ce rapport, qui concernent des personnes qui y sont identifiées ou identifiables, même indirectement, sous réserve que la communication du rapport conserve un intérêt pour le tiers qui l'a sollicitée malgré cette occultation ou disjonction.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le rapport de l'IGESR dont la communication a été demandée par Mme B..., qui n'est pas au nombre des personnes intéressées au sens de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, comporte à différents emplacements des mentions relatives, comme l'a relevé le tribunal dans le jugement attaqué, à l'identité de l'étudiant décédé, de ses parents et des étudiants entendus dans le cadre de l'enquête administrative qui sont de nature à porter atteinte à la protection de leur vie privée, comportent à leur égard un jugement de valeur ou sont de nature à faire apparaître leur comportement, dont la divulgation pourrait leur porter préjudice, au sens des dispositions des 1°, 2° et 3° de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Toutefois, il ressort également des mêmes pièces que ce rapport et ses annexes comportent des mentions se rapportant à des responsables de l'université et de la faculté de médecine, aisément identifiables à l'époque des faits, pouvant faire apparaître un jugement de valeur à leur égard ou leur comportement, dont la divulgation pourrait leur porter préjudice, au sens des dispositions des 2° et 3° de l'article L. 311-6 précité. Par suite, en jugeant que le rapport était communicable après l'occultation des seules mentions relatives à l'identité de l'étudiant décédé, de ses parents et des étudiants entendus dans le cadre de l'enquête administrative, sans rechercher si d'autres mentions se rapportant à d'autres personnes identifiées ou identifiables dans le rapport et ses annexes pouvaient relever des secrets protégés par l'article L. 311-6, le tribunal administratif a entaché son jugement d'une erreur de droit. Dès lors, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche est fondée à demander l'annulation des articles 1er et 2 de ce jugement.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, dans la mesure de l'annulation prononcée au point 5, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. Dans l'hypothèse d'un règlement au fond du litige, la 10ème chambre de la Section du contentieux a demandé, par une mesure supplémentaire d'instruction, que lui soit communiqué le rapport, selon les modalités prévues par l'article R. 412-2-1 du code de justice administrative. Ce rapport comporte 23 pages, des annexes numérotées de 1 à 9 ainsi qu'en annexes, les observations formulées par le président de l'université et par le doyen de l'UFR Sciences de santé et du sport, à titre contradictoire, sur le pré-rapport de l'IGESR. Il résulte, tout d'abord, de l'examen des différentes parties de ce document que doivent être occultées les mentions relatives à l'étudiant décédé, à son père et aux autres étudiants dès lors qu'elles sont de nature à porter atteinte à la protection de leur vie privée, comportent à leur égard un jugement de valeur ou sont de nature à faire apparaître leur comportement, dont la divulgation pourrait leur porter préjudice, au sens des dispositions respectivement des 1°, 2° et 3° de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Il ressort, ensuite, de l'examen du rapport que les mentions qui se rapportent à des responsables de l'université, de l'UFR Sciences de santé et du sport et de la faculté de médecine permettent également de les identifier aisément et font apparaître un jugement de valeur à leur égard ou leur comportement, dont la divulgation pourrait leur porter préjudice, au sens des dispositions respectivement des 2° et 3° de l'article L. 311-6 précité. Il résulte enfin de l'examen du rapport que l'ensemble de ces occultations est de nature à rendre inintelligibles plusieurs de ses parties ou de ses annexes et, dès lors, à faire perdre tout intérêt à leur communication. Sont ainsi concernés la synthèse du rapport en page 1, les points 1.1 et 1.2 du rapport aux pages 4 à 10, la conclusion du rapport aux pages 22 et 23, l'annexe 2 correspondant à la liste des personnes entendues dans le cadre de la mission d'inspection, les annexes 6 et 7 constituées des courriels du doyen de l'UFR et du directeur de cabinet du président de l'université à la mission de l'IGESR ainsi que les observations formulées par le président de l'université et par le doyen de l'UFR sur le pré-rapport de l'IGESR.
8. En revanche, d'une part, sous réserve de l'occultation de quelques mentions permettant d'identifier l'une des catégories de personnes précitées, pour les mêmes motifs, les autres parties du rapport, soit le sommaire, la liste des recommandations, l'introduction en page 4, ainsi que les développements à caractère général sur le contexte universitaire, les dispositifs de prévention et de formation et les activités d'intégration organisées par les groupes étudiants, sont communicables. D'autre part, sont également intégralement communicables l'annexe 1 qui comporte la lettre de saisine de l'IGESR, l'annexe 3 relative au document d'un groupe d'étudiants diffusé sur un réseau social, l'annexe 4 correspondant à l'invitation à la soirée d'intégration, l'annexe 5 comportant un courrier du doyen de l'UFR Sciences de santé et du sport aux étudiants de deuxième et troisième années de médecine ainsi, enfin, que les annexes 8 et 9 relatives aux dessins et captures d'écran issus des réseaux sociaux relatifs aux activités d'intégration des groupes étudiants dès lors qu'elles ne permettent pas de procéder à des ré-identifications d'étudiants.
9. L'absence de communication des informations contenues dans les parties et annexes du rapport, mentionnées au point 7, qui ne peuvent être communiquées pour les raisons précisées au même point, et l'occultation de certaines mentions dans les autres parties du rapport qui sont communicables dans les conditions rappelées au point 8, sont fondées sur les dispositions de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, lesquelles poursuivent, ainsi que cela résulte du point 4, un but légitime tenant à la protection de la réputation ou des droits d'autrui. En outre, l'accès aux informations occultées ne présente pas, au cas d'espèce, un caractère déterminant pour l'exercice du droit à la liberté d'expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, eu égard notamment au but poursuivi par Mme B... et à son rôle dans la réception et la communication au public d'informations. Dans ces conditions, l'absence de communication de l'intégralité du rapport et de ses annexes, en application de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, doit être regardée, contrairement à ce que soutient Mme B..., comme une ingérence nécessaire et proportionnée dans l'exercice du droit à la liberté d'expression, tel que garanti par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. Il s'ensuit qu'il y a lieu d'annuler la décision par laquelle la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a refusé de communiquer à Mme B... le rapport établi par l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) à la suite du décès accidentel d'un étudiant de la faculté de médecine et d'enjoindre à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, de le lui communiquer, sous réserve de l'occultation des parties et des mentions indiquées aux points 7 et 8, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.
11. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que les conclusions de la requête de la ministre tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement qu'elle attaque sont devenues sans objet. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Paris du 28 juin 2024 sont annulés.
Article 2 : La décision par laquelle la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a refusé à Mme B... la communication du rapport de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche qu'elle a sollicitée est annulée.
Article 3 : Il est enjoint à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, de communiquer le rapport à Mme B..., dans les conditions précisées au point 10 de la présente décision, dans un délai d'un mois à compter de sa notification.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement attaqué.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, et à Mme A... B....
Délibéré à l'issue de la séance du 11 juin 2025 où siégeaient : M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat et M. Emmanuel Weicheldinger, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 29 juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Olivier Yeznikian
Le rapporteur :
Signé : M. Emmanuel Weicheldinger
La secrétaire :
Signé : Mme Sylvie Leporcq
N° 497093
ECLI:FR:CECHS:2025:497093.20250729
Inédit au recueil Lebon
10ème chambre
M. Olivier Yeznikian, président
M. Emmanuel Weicheldinger, rapporteur
Mme Esther de Moustier, rapporteure publique
Lecture du mardi 29 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision par laquelle la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a refusé de lui communiquer le rapport établi par l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) à la suite du décès accidentel d'un étudiant de la faculté de médecine Henri Warembourg de l'université de Lille après une soirée d'intégration le 8 juillet 2021, ainsi que d'enjoindre à la ministre de le lui communiquer et de le publier en ligne. Par un jugement n° 2225902 du 28 juin 2024, le tribunal a annulé cette décision, enjoint à la ministre de communiquer, dans un délai d'un mois à compter de la notification de son jugement, le rapport après occultation des noms, prénoms et initiales de l'étudiant décédé, de ses parents et des étudiants entendus dans le cadre de l'enquête administrative, ainsi que des messages et photographies publiés sur les réseaux sociaux figurant en annexe du rapport, et rejeté le surplus des conclusions.
1° Sous le n° 497093, par un pourvoi, enregistré le 20 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de Mme B... ;
2° Sous le n° 497096, par une requête, enregistrée le 20 août 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche demande au Conseil d'Etat d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.
La requête a été communiquée à Mme B..., qui n'a pas produit de mémoire.
Par une ordonnance du 11 avril 2025, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 avril 2025.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Emmanuel Weicheldinger, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Le pourvoi et la requête de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche sont dirigés contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B..., journaliste, a demandé à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche de lui communiquer le rapport établi par l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) à la suite du décès accidentel d'un étudiant de la faculté de médecine Henri Warembourg de Lille, survenu après une soirée d'intégration, le 8 juillet 2021. La ministre se pourvoit en cassation contre le jugement du 28 juin 2024 par lequel le tribunal administratif de Paris, sur la demande de Mme B..., après avoir ordonné avant-dire droit la production devant lui de ce rapport, sans que Mme B... ait eu le droit d'en prendre connaissance, a annulé la décision de refus qu'elle a opposée à cette demande de communication et lui a enjoint de communiquer ce rapport, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, après occultation des noms, prénoms et initiales de l'étudiant décédé, de ses parents et des étudiants entendus dans le cadre de l'enquête administrative, ainsi que des messages et photographies publiés sur les réseaux sociaux figurant en annexe du rapport.
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, (...). Constituent de tels documents notamment les (...), rapports, (...) ". Aux termes de l'article L. 311-1 du même code : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues (...) de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ". Aux termes de l'article L. 311-6 du même code : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée (...) ; / 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. / (...) ". Aux termes de l'article L. 311-7 du même code : " Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions ". Il résulte de ces dispositions que les documents administratifs qui comportent des mentions relevant des secrets protégés par l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration ne sont communicables aux tiers qu'après occultation ou disjonction desdites mentions.
4. Les rapports produits par l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche sont des documents administratifs au sens de l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration et, dès lors, ne sont communicables aux tiers qui en font la demande qu'après occultation ou disjonction des mentions relevant des secrets protégés, en particulier, par les dispositions de l'article L. 311-6 du même code citée au point précédent. Lorsque, saisi d'un recours né du refus de communication d'un tel rapport, le juge du fond décide d'annuler ce refus et d'enjoindre la communication du document au tiers qui l'a sollicitée, il lui appartient d'ordonner l'occultation ou la disjonction, en particulier, de toutes les mentions, relevant des mêmes dispositions de l'article L. 311-6, figurant dans ce rapport, qui concernent des personnes qui y sont identifiées ou identifiables, même indirectement, sous réserve que la communication du rapport conserve un intérêt pour le tiers qui l'a sollicitée malgré cette occultation ou disjonction.
5. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que le rapport de l'IGESR dont la communication a été demandée par Mme B..., qui n'est pas au nombre des personnes intéressées au sens de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, comporte à différents emplacements des mentions relatives, comme l'a relevé le tribunal dans le jugement attaqué, à l'identité de l'étudiant décédé, de ses parents et des étudiants entendus dans le cadre de l'enquête administrative qui sont de nature à porter atteinte à la protection de leur vie privée, comportent à leur égard un jugement de valeur ou sont de nature à faire apparaître leur comportement, dont la divulgation pourrait leur porter préjudice, au sens des dispositions des 1°, 2° et 3° de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Toutefois, il ressort également des mêmes pièces que ce rapport et ses annexes comportent des mentions se rapportant à des responsables de l'université et de la faculté de médecine, aisément identifiables à l'époque des faits, pouvant faire apparaître un jugement de valeur à leur égard ou leur comportement, dont la divulgation pourrait leur porter préjudice, au sens des dispositions des 2° et 3° de l'article L. 311-6 précité. Par suite, en jugeant que le rapport était communicable après l'occultation des seules mentions relatives à l'identité de l'étudiant décédé, de ses parents et des étudiants entendus dans le cadre de l'enquête administrative, sans rechercher si d'autres mentions se rapportant à d'autres personnes identifiées ou identifiables dans le rapport et ses annexes pouvaient relever des secrets protégés par l'article L. 311-6, le tribunal administratif a entaché son jugement d'une erreur de droit. Dès lors, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche est fondée à demander l'annulation des articles 1er et 2 de ce jugement.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, dans la mesure de l'annulation prononcée au point 5, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
7. Dans l'hypothèse d'un règlement au fond du litige, la 10ème chambre de la Section du contentieux a demandé, par une mesure supplémentaire d'instruction, que lui soit communiqué le rapport, selon les modalités prévues par l'article R. 412-2-1 du code de justice administrative. Ce rapport comporte 23 pages, des annexes numérotées de 1 à 9 ainsi qu'en annexes, les observations formulées par le président de l'université et par le doyen de l'UFR Sciences de santé et du sport, à titre contradictoire, sur le pré-rapport de l'IGESR. Il résulte, tout d'abord, de l'examen des différentes parties de ce document que doivent être occultées les mentions relatives à l'étudiant décédé, à son père et aux autres étudiants dès lors qu'elles sont de nature à porter atteinte à la protection de leur vie privée, comportent à leur égard un jugement de valeur ou sont de nature à faire apparaître leur comportement, dont la divulgation pourrait leur porter préjudice, au sens des dispositions respectivement des 1°, 2° et 3° de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Il ressort, ensuite, de l'examen du rapport que les mentions qui se rapportent à des responsables de l'université, de l'UFR Sciences de santé et du sport et de la faculté de médecine permettent également de les identifier aisément et font apparaître un jugement de valeur à leur égard ou leur comportement, dont la divulgation pourrait leur porter préjudice, au sens des dispositions respectivement des 2° et 3° de l'article L. 311-6 précité. Il résulte enfin de l'examen du rapport que l'ensemble de ces occultations est de nature à rendre inintelligibles plusieurs de ses parties ou de ses annexes et, dès lors, à faire perdre tout intérêt à leur communication. Sont ainsi concernés la synthèse du rapport en page 1, les points 1.1 et 1.2 du rapport aux pages 4 à 10, la conclusion du rapport aux pages 22 et 23, l'annexe 2 correspondant à la liste des personnes entendues dans le cadre de la mission d'inspection, les annexes 6 et 7 constituées des courriels du doyen de l'UFR et du directeur de cabinet du président de l'université à la mission de l'IGESR ainsi que les observations formulées par le président de l'université et par le doyen de l'UFR sur le pré-rapport de l'IGESR.
8. En revanche, d'une part, sous réserve de l'occultation de quelques mentions permettant d'identifier l'une des catégories de personnes précitées, pour les mêmes motifs, les autres parties du rapport, soit le sommaire, la liste des recommandations, l'introduction en page 4, ainsi que les développements à caractère général sur le contexte universitaire, les dispositifs de prévention et de formation et les activités d'intégration organisées par les groupes étudiants, sont communicables. D'autre part, sont également intégralement communicables l'annexe 1 qui comporte la lettre de saisine de l'IGESR, l'annexe 3 relative au document d'un groupe d'étudiants diffusé sur un réseau social, l'annexe 4 correspondant à l'invitation à la soirée d'intégration, l'annexe 5 comportant un courrier du doyen de l'UFR Sciences de santé et du sport aux étudiants de deuxième et troisième années de médecine ainsi, enfin, que les annexes 8 et 9 relatives aux dessins et captures d'écran issus des réseaux sociaux relatifs aux activités d'intégration des groupes étudiants dès lors qu'elles ne permettent pas de procéder à des ré-identifications d'étudiants.
9. L'absence de communication des informations contenues dans les parties et annexes du rapport, mentionnées au point 7, qui ne peuvent être communiquées pour les raisons précisées au même point, et l'occultation de certaines mentions dans les autres parties du rapport qui sont communicables dans les conditions rappelées au point 8, sont fondées sur les dispositions de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, lesquelles poursuivent, ainsi que cela résulte du point 4, un but légitime tenant à la protection de la réputation ou des droits d'autrui. En outre, l'accès aux informations occultées ne présente pas, au cas d'espèce, un caractère déterminant pour l'exercice du droit à la liberté d'expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, eu égard notamment au but poursuivi par Mme B... et à son rôle dans la réception et la communication au public d'informations. Dans ces conditions, l'absence de communication de l'intégralité du rapport et de ses annexes, en application de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, doit être regardée, contrairement à ce que soutient Mme B..., comme une ingérence nécessaire et proportionnée dans l'exercice du droit à la liberté d'expression, tel que garanti par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
10. Il s'ensuit qu'il y a lieu d'annuler la décision par laquelle la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a refusé de communiquer à Mme B... le rapport établi par l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) à la suite du décès accidentel d'un étudiant de la faculté de médecine et d'enjoindre à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, de le lui communiquer, sous réserve de l'occultation des parties et des mentions indiquées aux points 7 et 8, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision.
11. Il résulte de ce qui a été dit au point 5 que les conclusions de la requête de la ministre tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement qu'elle attaque sont devenues sans objet. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer.
D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Paris du 28 juin 2024 sont annulés.
Article 2 : La décision par laquelle la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a refusé à Mme B... la communication du rapport de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche qu'elle a sollicitée est annulée.
Article 3 : Il est enjoint à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, de communiquer le rapport à Mme B..., dans les conditions précisées au point 10 de la présente décision, dans un délai d'un mois à compter de sa notification.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête de la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement attaqué.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, et à Mme A... B....
Délibéré à l'issue de la séance du 11 juin 2025 où siégeaient : M. Olivier Yeznikian, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat et M. Emmanuel Weicheldinger, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 29 juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Olivier Yeznikian
Le rapporteur :
Signé : M. Emmanuel Weicheldinger
La secrétaire :
Signé : Mme Sylvie Leporcq