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Décision n° 507949
16 septembre 2025
Conseil d'État

N° 507949
ECLI:FR:CEORD:2025:507949.20250916
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du mardi 16 septembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :
Par un déféré présenté sur le fondement des dispositions de l'article L. 554-3 du code de justice administrative, le préfet du Val-de-Marne a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision par laquelle le maire de la commune d'Ivry-sur-Seine a décidé d'apposer sur le fronton de l'hôtel de ville une banderole portant la mention " Stop au génocide ! A l'annexion des territoires palestiniens et à tous les crimes de guerre. Ivry-sur-Seine, ville messagère de paix réclame un cessez-le-feu, la reconnaissance de l'Etat palestinien et le retour des otages ", jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de cette décision, et, d'autre part, d'enjoindre à la commune d'Ivry-sur-Seine de retirer sans délai la banderole litigieuse. Par une ordonnance n° 2511499 du 21 août 2025, la juge des référés du tribunal administratif de Melun a, d'une part, suspendu l'exécution de la décision contestée et, d'autre part, enjoint au maire de retirer la banderole dans un délai de vingt-quatre heures.

Par une requête sommaire et un mémoire ampliatif, enregistrés les 5 et 12 septembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune d'Ivry-sur-Seine demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 554-3 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter les conclusions du déféré introduit par le préfet du Val-de-Marne devant le tribunal administratif de Melun ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- le retrait de la banderole litigieuse ne prive pas d'objet le présent recours ;
- l'ordonnance attaquée a inexactement qualifié les pièces du dossier ou, à tout le moins, les a dénaturées en retenant que l'apposition d'une banderole en faveur de la paix constitue une " prise de position politique " et non une expression symbolique de solidarité ;
- l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle considère que le contenu du message affiché sur la banderole ne se rapportait à aucune de ses compétences, alors que, d'une part, elle est en droit d'afficher un message humanitaire et symbolique relatif à la situation internationale et, d'autre part, ce message n'interfère pas avec les relations internationales de la France.


Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.



Considérant ce qui suit :

1. En application du premier alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. Aux termes du troisième alinéa de cet article, reproduit à l'article L. 554-1 du code de justice administrative : " Le représentant de l'Etat peut assortir son recours d'une demande de suspension (...) ". Aux termes du cinquième alinéa de ce même article, repris à l'article L. 554-3 du code de justice administrative : " Lorsque l'acte attaqué est de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle, ou à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics, le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué à cet effet en prononce la suspension dans les quarante-huit heures. La décision relative à la suspension est susceptible d'appel devant le Conseil d'Etat dans la quinzaine de la notification (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Par une ordonnance du 21 août 2025, la juge des référés du tribunal administratif de Melun a, sur déféré du préfet du Val-de-Marne introduit sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 554-3 du code de justice administrative, suspendu l'exécution de la décision du maire d'Ivry-sur-Seine d'apposer au fronton de l'hôtel de ville une banderole portant la mention " Stop au génocide ! A l'annexion des territoires palestiniens et à tous les crimes de guerre. Ivry-sur-Seine, ville messagère de paix réclame un cessez-le-feu, la reconnaissance de l'Etat palestinien et le retour des otages ". La commune d'Ivry-sur-Seine relève appel de cette ordonnance.

3. Le principe de neutralité des services publics s'oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d'opinions politiques, religieuses ou philosophiques.

4. Si la commune d'Ivry-sur-Seine soutient que l'affichage de la banderole en litige se bornait à afficher un message humanitaire de solidarité et de paix, il résulte des termes mêmes inscrits sur cette banderole que la commune a entendu exprimer, au moyen de cet outil de communication, une prise de position de nature politique au sujet d'un conflit en cours. Le principe de neutralité des services public s'oppose, ainsi qu'il est dit au point précédent, à ce qu'une telle prise de position puisse s'exprimer par un affichage sur un bâtiment public.

5. En conséquence, la commune n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance qu'elle attaque, la juge des référés du tribunal administratif de Melun, après avoir ainsi constaté une atteinte grave à la neutralité des services publics, a prononcé la suspension de l'exécution de la décision de son maire d'apposer cette banderole sur le fronton de l'hôtel de ville.

6. Il résulte de ce qui précède que l'appel de la commune d'Ivry-sur-Seine doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la commune d'Ivry-sur-Seine est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune d'Ivry-sur-Seine.
Copie en sera adressée au préfet du Val-de-Marne.
Fait à Paris, le 16 septembre 2025
Signé : Laurence Helmlinger