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Décision n° 507979
16 septembre 2025
Conseil d'État

N° 507979
ECLI:FR:CEORD:2025:507979.20250916
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SEBAN ET ASSOCIES, avocats


Lecture du mardi 16 septembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par un déféré présenté sur le fondement des dispositions de l'article L. 554-3 du code de justice administrative, le préfet du Val-de-Marne a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, d'une part, de suspendre l'exécution de la décision du maire de la commune de Vitry-sur-Seine d'apposer au fronton de l'hôtel de ville une banderole présentant la forme d'un drapeau palestinien et portant la mention " Pour une paix juste et durable, stop au génocide et reconnaissance de l'État palestinien ", jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de cette décision, et, d'autre part, d'enjoindre à la commune de Vitry-sur-Seine de retirer sans délai la banderole litigieuse. Par une ordonnance n° 2512167 du 29 août 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a, d'une part, suspendu l'exécution de la décision litigieuse et, d'autre part, enjoint au maire de Vitry-sur-Seine de procéder au retrait de la banderole dans un délai de vingt-quatre heures suivant la notification de l'ordonnance.

Par une requête, enregistrée le 6 septembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Vitry-sur-Seine demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 554-3 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance du 29 août 2025 du juge des référés du tribunal administratif de Melun ;

2°) de rejeter le déféré préfectoral introduit par le préfet du Val-de-Marne devant le tribunal administratif de Melun ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- le juge des référés a méconnu son office en prononçant la suspension de la décision litigieuse sans se prononcer sur la gravité de l'atteinte au principe de neutralité ;
- l'apposition de la banderole querellée ne porte pas atteinte à la neutralité des services publics dès lors que son contenu est en adéquation avec la position diplomatique française actuelle et que le seul usage du terme " génocide " ne saurait constituer une telle atteinte, alors qu'elle n'a entendu que manifester la solidarité de la commune et de ses habitants avec les populations civiles de la bande de Gaza dans un but exclusivement humanitaire.


Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.



Considérant ce qui suit :

1. En application du premier alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. Aux termes du troisième alinéa de cet article, reproduit à l'article L. 554-1 du code de justice administrative : " Le représentant de l'Etat peut assortir son recours d'une demande de suspension (...) ". Aux termes du cinquième alinéa de ce même article, repris à l'article L. 554-3 du code de justice administrative : " Lorsque l'acte attaqué est de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle, ou à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics, le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué à cet effet en prononce la suspension dans les quarante-huit heures. La décision relative à la suspension est susceptible d'appel devant le Conseil d'Etat dans la quinzaine de la notification. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Par une ordonnance du 29 août 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a, sur déféré du préfet du Val-de-Marne introduit sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 554-3 du code de justice administrative, suspendu l'exécution de la décision du maire de Vitry-sur-Seine d'apposer au fronton de l'hôtel de ville une banderole présentant la forme d'un drapeau palestinien et portant la mention " Pour une paix juste et durable, stop au génocide et reconnaissance de l'État palestinien ". La commune de Vitry-sur-Seine relève appel de cette ordonnance.

3. Le principe de neutralité des services publics s'oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d'opinions politiques, religieuses ou philosophiques.


4. Si la commune de Vitry-sur-Seine soutient que l'affichage de la banderole en litige se bornait à manifester la solidarité de la commune et de ses habitants avec les populations civiles de la bande de Gaza dans un but exclusivement humanitaire, il résulte des termes mêmes inscrits sur cette banderole que la commune a entendu exprimer, au moyen de cet outil de communication, une prise de position de nature politique au sujet d'un conflit en cours. Le principe de neutralité des services publics s'oppose, ainsi qu'il est dit au point précédent, à ce qu'une telle prise de position puisse s'exprimer par un affichage sur un bâtiment public.

5. Une telle atteinte grave à la neutralité des services publics étant de nature à justifier la suspension de l'exécution de la décision en litige du maire de Vitry-sur-Seine, la commune n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par l'ordonnance qu'elle attaque, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a prononcé la suspension de l'exécution de cette décision.

6. Il résulte de ce qui précède que l'appel de la commune de Vitry-sur-Seine doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la commune de Vitry-sur-Seine et rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Vitry-sur-Seine.
Copie en sera adressée au préfet du Val-de-Marne.
Fait à Paris, 16 septembre 2025
Signé : Laurence Helmlinger