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Ariane Web: Conseil d'État 506083, lecture du 17 septembre 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:506083.20250917

Décision n° 506083
17 septembre 2025
Conseil d'État

N° 506083
ECLI:FR:CECHR:2025:506083.20250917
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
Mme Marie Prévot, rapporteure
BEAUTHIER DE MONTALEMBERT, avocats


Lecture du mercredi 17 septembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

La société en nom collectif (SNC) United France 2021 Propco SNC, à l'appui de sa demande tendant à la réduction des cotisations de taxe foncière auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2024 dans les rôles de la commune de Palaiseau (Essonne) a produit un mémoire, enregistré le 23 mai 2025 au greffe du tribunal administratif de Versailles, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article 63 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025.

Par une ordonnance du 10 juillet 2025, enregistrée le 11 juillet 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Versailles a transmis cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat en application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958.

Par la question prioritaire de constitutionnalité transmise et deux nouveaux mémoires, enregistrés le 30 juillet et le 19 août 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société United France 2021 Propco SNC soutient que :
- ces dispositions, qui valident rétroactivement une règle d'application des dispositions du III de l'article 1518 A quinquies du code général des impôts contraire à la lettre de ce texte, telle qu'elle avait été confirmée par le Conseil d'Etat statuant au contentieux dans sa décision n°s 474735, 474736 et 474757 du 13 novembre 2023, mettent en cause le principe d'égalité et le principe de sécurité juridique, ne sont justifiées par aucun motif impérieux d'intérêt général et méconnaissent en conséquence les exigences de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
- la date du 10 octobre 2024 adoptée par le législateur comme date d'effet de la rétroactivité est arbitraire et méconnaît les mêmes exigences.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de la société United France 2021 Propco Snc ;



Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Le législateur a institué, au III de l'article 1518 A quinquies du code général des impôts, un mécanisme destiné à atténuer temporairement les effets de la réforme du mode de détermination des valeurs locatives des locaux professionnels entrée en vigueur au 1er janvier 2017, consistant selon les cas en une minoration ou, à l'inverse, une majoration de la moitié de sa valeur, de la différence observée entre la valeur locative non révisée et la valeur locative révisée de ces locaux pour l'établissement des cotisations d'impositions directes locales qu'elles mentionnent dues au titre des années 2017 à 2025. Dans sa version en vigueur du 1er janvier 2017 au 15 février 2025, cet article prévoyait, comme l'a jugé le Conseil d'Etat par sa décision n°s 474735, 474736 et 474757 du 13 novembre 2023, que la valeur locative retenue pour déterminer, par comparaison avec la valeur locative non révisée au 1er janvier 2017, cette majoration ou minoration de valeur locative est celle mentionnée au I de l'article 1498 du même code, déterminée selon les modalités prévues à cet article, corrigée par le coefficient de neutralisation prévu par le I de l'article 1518 A quinquies de ce code, et non la valeur locative, déterminée selon ces modalités, retenue pour l'établissement des impositions dues au titre de la seule année 2017.

3. Par le I de l'article 63 de la loi de finances pour 2025, le législateur a modifié ces dispositions pour substituer à la valeur locative de l'année d'imposition concernée, comme second terme de la différence utilisée pour déterminer la minoration ou la majoration de valeur locative instituée au III de l'article 1518 A quinquies du code général des impôts, la valeur locative révisée au 1er janvier 2017.

4. Aux termes du II de l'article 63 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025 : " Sous réserve des réclamations introduites auprès de l'administration des impôts avant le 10 octobre 2024, sont validées les impositions directes locales et les taxes perçues sur les mêmes bases dues au titre des années 2023 et 2024 en tant que leur légalité serait contestée au motif que la valeur locative des locaux évalués en application du II de l'article 1498 du code général des impôts devant être retenue pour l'application du dispositif de majoration ou de minoration de valeur locative prévue au III de l'article 1518 A quinquies du même code est celle retenue en vue de l'établissement des impositions dues au titre de chacune des années concernées, le cas échéant, corrigée par le coefficient de neutralisation prévu au I du même article 1518 A quinquies, et non la valeur locative retenue pour l'établissement des impositions dues au titre de la seule année 2017 ".

5. A l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité par laquelle elle met en cause la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du II de cet article 63, la société United France 2021 Propco SNC soutient que, dès lors qu'elles ne sont justifiées par aucun motif impérieux d'intérêt général, les dispositions qu'elle conteste, qui ont pour effet de valider des impositions établies contrairement aux règles d'assiette en vigueur au titre des années concernées, sont contraires à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

6. Il résulte des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 que si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c'est à la condition que cette modification ou cette validation respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions et que l'atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général. En outre, l'acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d'intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle. Enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie.

7. Les dispositions du II de l'article 63 de la loi de finances pour 2025, qui valident, sous réserve des réclamations contentieuses introduites avant le 10 octobre 2024, date d'adoption du projet de loi en conseil des ministres, les décisions établissant les impositions directes locales et les taxes perçues sur les mêmes bases dues au titre des années 2023 et 2024 en tant que leur légalité serait contestée au motif que la valeur locative révisée des locaux évalués devant être retenue pour l'application du mécanisme atténuateur institué à l'article 1518 A quinquies du code général des impôts est celle de l'année au titre de laquelle l'imposition est due, conformément aux dispositions alors en vigueur de cet article, sont applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision rendue par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce que les dispositions de validation en litige porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, faute d'être justifiées par un motif impérieux d'intérêt général, soulève une question présentant un caractère sérieux.

8. Il y a lieu, dès lors, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.


D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions du II de l'article 63 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025 est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SNC United France 2021 Propco SNC et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au tribunal administratif de Versailles.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 septembre 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et Mme Marie Prévot, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 17 septembre 2025.

Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Marie Prévot
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle