Conseil d'État
N° 494985
ECLI:FR:CECHR:2025:494985.20250926
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Vincent Mahé, rapporteur
SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX, avocats
Lecture du vendredi 26 septembre 2025
Vu la procédure suivante :
1°) Sous le numéro n° 494985, la société Sidel Blowing et Services a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer, d'une part, le rétablissement de son résultat fiscal au titre de l'exercice clos en 2014, en prenant en compte la déductibilité de l'indemnité de huit millions d'euros versée à la société Sidel SpA, et d'autre part, de prononcer la décharge des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, de taxe additionnelle à cette cotisation et de frais de gestion correspondants auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2014. Par un jugement n° 2101346/1 du 12 mai 2022, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 22PA03549 du 10 avril 2024, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Sidel Blowing et Services contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 juin et 29 août 2024 et le 19 mai 2025 au secrétariat du Conseil d'Etat, la société Sidel Blowing et Services demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2°) Sous le n° 494987, la société Sidel Holding a demandé au tribunal administratif de Montreuil, en sa qualité de mère d'un groupe fiscalement intégré, de prononcer le rétablissement du déficit d'ensemble du groupe qu'elle avait déclaré au titre de l'exercice clos en 2014, en prenant en compte la déductibilité de l'indemnité de huit millions d'euros versée par sa filiale Sidel Blowing et Services à la société Sidel SpA remise en cause par l'administration. Par un jugement n° 2101937/1 du 20 février 2023, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 22PA01623 du 10 avril 2024, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Sidel Holding contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 juin et 29 août 2024 et le 19 mai 2025 au secrétariat du Conseil d'Etat, la société Sidel Holding demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Charles-Emmanuel Airy, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de la société Sidel Holding et de la société Sidel Blowing et Services ;
Considérant ce qui suit :
1. Les pourvois des sociétés Sidel Blowing et Services et Sidel Holding présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que, dans le cadre d'une restructuration interne du groupe économique Sidel, un accord a été conclu en octobre 2014 entre la société française Sidel Blowing et Services et la société italienne Sidel SpA, par lequel ces sociétés sont notamment convenues, d'une part, que la société Sidel Blowing et Services, qui auparavant passait par l'entremise de la société Sidel SpA, s'approvisionnerait désormais directement en pièces détachées auprès des fournisseurs du groupe sans passer par la société italienne, et d'autre part, que la société Sidel Blowing et Services, qui n'était auparavant en charge pour le groupe que de la vente des services de maintenance et de la distribution des pièces détachées, serait désormais seule en charge, pour les clients établis en dehors d'Italie, de la fonction de vente aux clients de l'ensemble des produits et services du groupe, notamment la vente de machines et équipement auparavant commercialisés par la société Sidel SpA. Cet accord a prévu que la société Sidel Blowing et Services verserait à la société Sidel SpA une indemnité de huit millions d'euros, calculée par différence entre le potentiel de profits, évalué selon la méthode des flux futurs de trésorerie actualisés, pouvant être escompté par la société Sidel SpA de ses activités avant et après la restructuration. A la suite d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2010 à 2014 de la Société Sidel Blowing et Services, l'administration fiscale a remis en cause la déduction en charges de cette somme, estimant qu'elle avait eu pour contrepartie l'acquisition d'un actif incorporel accroissant l'actif immobilisé de la société Sidel Blowing et Services au titre de l'exercice de 2014. L'administration a en conséquence réintégré cette somme au résultat individuel de la société Sidel Blowing et Services, majoré d'autant le résultat déficitaire du groupe fiscalement intégré dont fait partie la société Sidel Blowing et Services et dont la société Sidel Holding est la mère, et réclamé à la société Sidel Blowing et Services, en application des articles 1586 quinquies et 1586 sexies du code général des impôts, des suppléments de cotisation de la valeur ajoutée des entreprises, de taxe additionnelle à cette cotisation et de frais de gestion. Par deux jugements du 12 mai 2022 et du 20 février 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté respectivement la demande de la société Sidel Blowing et Services tendant au rétablissement de son résultat déficitaire et à la décharge des impositions supplémentaires auxquelles elle a été assujettie par suite de ce redressement, et la demande de la société Sidel Holding, en sa qualité de mère du groupe fiscalement intégré, tendant au rétablissement du résultat déficitaire d'ensemble du groupe. Les sociétés Sidel Blowing et Services et Sidel Holding se pourvoient en cassation contre les arrêts du 10 avril 2024 par lesquels la cour administrative d'appel de Paris a rejeté les appels qu'elles ont formés contre ces jugements.
3. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts : " ...2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés ". Aux termes de l'article 38 quater de l'annexe III au même code : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt ". Aux termes du 1. du I de l'article 1586 quinquies du même code: " Sous réserve des 2, 3 et 4, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est déterminée en fonction du chiffre d'affaires réalisé et de la valeur ajoutée produite au cours de l'année au titre de laquelle l'imposition est établie ou au cours du dernier exercice de douze mois clos au cours de cette même année lorsque cet exercice ne coïncide pas avec l'année civile ". Aux termes du I. de l'article 1586 sexies du même code : " Pour la généralité des entreprises, à l'exception des entreprises visées aux II à VI : / 1. Le chiffre d'affaires est égal à la somme : / - des ventes de produits fabriqués, prestations de services et marchandises ; / (...) / 4. La valeur ajoutée est égale à la différence entre : / a) D'une part, le chiffre d'affaires tel qu'il est défini au 1 (...) / b) Et, d'autre part : / - les achats stockés de matières premières et autres approvisionnements, les achats d'études et prestations de services, les achats de matériel, équipements et travaux, les achats non stockés de matières et fournitures, les achats de marchandises et les frais accessoires d'achat ; (... ) - les autres charges de gestion courante, autres que les quotes-parts de résultat sur opérations faites en commun ; (...) ".
4. L'article 211-1 du plan comptable général, dans sa version applicable au litige, définit un actif comme " un élément identifiable du patrimoine ayant une valeur économique positive pour l'entité, c'est-à-dire un élément générant une ressource que l'entité contrôle du fait d'évènements passés et dont elle attend des avantages économiques futurs ". Selon l'article 211-5 de ce plan, " une immobilisation incorporelle est identifiable : / - si elle est séparable des activités de l'entité, c'est-à-dire susceptible d'être vendue, transférée, louée ou échangée de manière isolée ou avec un contrat, un autre actif ou passif ; / - ou si elle résulte d'un droit légal ou contractuel même si ce droit n'est pas transférable ou séparable de l'entité ou des autres droits et obligations ".
5. Le seul constat qu'une somme compense, pour la partie qui la reçoit, la disparition d'une source pérenne de profits ne saurait suffire à caractériser, du point de vue de la partie versante, l'acquisition d'un nouvel élément d'actif. En conséquence, la seule circonstance qu'une société escompte, dans le cadre d'une réorganisation des fonctions au sein d'un groupe, améliorer la profitabilité de son activité en s'approvisionnant directement auprès de fournisseurs qui ne lui vendaient auparavant leurs produits que par l'intermédiaire d'une autre société du groupe, ne saurait suffire à considérer que toute indemnité versée dans le cadre de cette réorganisation aurait pour contrepartie, pour la partie versante, l'acquisition d'un élément d'actif incorporel, c'est-à-dire un élément identifiable ayant une valeur économique positive pour cette entité.
6. En l'espèce, après avoir relevé que l'indemnité en litige avait été versée dans le cadre d'un accord de restructuration interne prévoyant notamment que la société Sidel Blowing et Services intégrerait dans son activité existante d'achat et de revente de pièces détachées la fonction d'approvisionnement de ces pièces auparavant exercée par son fournisseur italien, la société Sidel SpA, dont elle était sur ce secteur l'unique client, la cour administrative d'appel de Paris a jugé que, dès lors que cette activité d'approvisionnement était bénéficiaire pour la société Sidel SpA, et quand bien même elle n'apportait à la société Sidel Blowing et Services aucune clientèle nouvelle, l'indemnité ainsi versée, qu'elle a analysée pour la totalité de son montant comme le prix net du transfert de cette seule activité, après prise en compte du caractère déficitaire des autres activités transférées, devait être regardée comme porteuse d'avantages économiques futurs pour la société Sidel Blowing et Services et ne pouvait, dès lors, être déduite en charge ni pour le calcul de son résultat de l'exercice 2014, ni pour le calcul de sa valeur ajoutée. En statuant ainsi et en retenant pour ces motifs l'acquisition, à raison de l'activité d'approvisionnement en pièces détachées de la société Sidel SpA, d'un élément ayant eu pour effet d'accroître la valeur de l'actif incorporel de l'entreprise, alors que ces seules constatations étaient insuffisantes pour caractériser l'acquisition par la société Sidel Blowing et Services d'un élément de patrimoine, d'une part, ayant une valeur économique positive pour elle et, d'autre part, identifiable, la cour a commis une erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois, que les sociétés Sidel Blowing et Services et Sidel Holding sont fondées à demander l'annulation des arrêts qu'elles attaquent.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Sidel Blowing et Services et à la société Sidel Holding d'une somme de 2 000 euros chacune au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les arrêts n°s 22PA03549 et 22PA01623 du 10 avril 2024 de la cour administrative d'appel de Paris sont annulés.
Article 2 : Les affaires sont renvoyées à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera à la société Sidel Blowing et Services et à la société Sidel Holding une somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Sidel Holding, à la société Sidel Blowing et Services et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 22 septembre 2025 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 26 septembre 2025.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mahé
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle
N° 494985
ECLI:FR:CECHR:2025:494985.20250926
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Vincent Mahé, rapporteur
SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX, avocats
Lecture du vendredi 26 septembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
1°) Sous le numéro n° 494985, la société Sidel Blowing et Services a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer, d'une part, le rétablissement de son résultat fiscal au titre de l'exercice clos en 2014, en prenant en compte la déductibilité de l'indemnité de huit millions d'euros versée à la société Sidel SpA, et d'autre part, de prononcer la décharge des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, de taxe additionnelle à cette cotisation et de frais de gestion correspondants auxquels elle a été assujettie au titre de l'année 2014. Par un jugement n° 2101346/1 du 12 mai 2022, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 22PA03549 du 10 avril 2024, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Sidel Blowing et Services contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 juin et 29 août 2024 et le 19 mai 2025 au secrétariat du Conseil d'Etat, la société Sidel Blowing et Services demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2°) Sous le n° 494987, la société Sidel Holding a demandé au tribunal administratif de Montreuil, en sa qualité de mère d'un groupe fiscalement intégré, de prononcer le rétablissement du déficit d'ensemble du groupe qu'elle avait déclaré au titre de l'exercice clos en 2014, en prenant en compte la déductibilité de l'indemnité de huit millions d'euros versée par sa filiale Sidel Blowing et Services à la société Sidel SpA remise en cause par l'administration. Par un jugement n° 2101937/1 du 20 février 2023, ce tribunal a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 22PA01623 du 10 avril 2024, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Sidel Holding contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 juin et 29 août 2024 et le 19 mai 2025 au secrétariat du Conseil d'Etat, la société Sidel Holding demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Charles-Emmanuel Airy, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de la société Sidel Holding et de la société Sidel Blowing et Services ;
Considérant ce qui suit :
1. Les pourvois des sociétés Sidel Blowing et Services et Sidel Holding présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Il ressort des pièces des dossiers soumis aux juges du fond que, dans le cadre d'une restructuration interne du groupe économique Sidel, un accord a été conclu en octobre 2014 entre la société française Sidel Blowing et Services et la société italienne Sidel SpA, par lequel ces sociétés sont notamment convenues, d'une part, que la société Sidel Blowing et Services, qui auparavant passait par l'entremise de la société Sidel SpA, s'approvisionnerait désormais directement en pièces détachées auprès des fournisseurs du groupe sans passer par la société italienne, et d'autre part, que la société Sidel Blowing et Services, qui n'était auparavant en charge pour le groupe que de la vente des services de maintenance et de la distribution des pièces détachées, serait désormais seule en charge, pour les clients établis en dehors d'Italie, de la fonction de vente aux clients de l'ensemble des produits et services du groupe, notamment la vente de machines et équipement auparavant commercialisés par la société Sidel SpA. Cet accord a prévu que la société Sidel Blowing et Services verserait à la société Sidel SpA une indemnité de huit millions d'euros, calculée par différence entre le potentiel de profits, évalué selon la méthode des flux futurs de trésorerie actualisés, pouvant être escompté par la société Sidel SpA de ses activités avant et après la restructuration. A la suite d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2010 à 2014 de la Société Sidel Blowing et Services, l'administration fiscale a remis en cause la déduction en charges de cette somme, estimant qu'elle avait eu pour contrepartie l'acquisition d'un actif incorporel accroissant l'actif immobilisé de la société Sidel Blowing et Services au titre de l'exercice de 2014. L'administration a en conséquence réintégré cette somme au résultat individuel de la société Sidel Blowing et Services, majoré d'autant le résultat déficitaire du groupe fiscalement intégré dont fait partie la société Sidel Blowing et Services et dont la société Sidel Holding est la mère, et réclamé à la société Sidel Blowing et Services, en application des articles 1586 quinquies et 1586 sexies du code général des impôts, des suppléments de cotisation de la valeur ajoutée des entreprises, de taxe additionnelle à cette cotisation et de frais de gestion. Par deux jugements du 12 mai 2022 et du 20 février 2023, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté respectivement la demande de la société Sidel Blowing et Services tendant au rétablissement de son résultat déficitaire et à la décharge des impositions supplémentaires auxquelles elle a été assujettie par suite de ce redressement, et la demande de la société Sidel Holding, en sa qualité de mère du groupe fiscalement intégré, tendant au rétablissement du résultat déficitaire d'ensemble du groupe. Les sociétés Sidel Blowing et Services et Sidel Holding se pourvoient en cassation contre les arrêts du 10 avril 2024 par lesquels la cour administrative d'appel de Paris a rejeté les appels qu'elles ont formés contre ces jugements.
3. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts : " ...2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés ". Aux termes de l'article 38 quater de l'annexe III au même code : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt ". Aux termes du 1. du I de l'article 1586 quinquies du même code: " Sous réserve des 2, 3 et 4, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est déterminée en fonction du chiffre d'affaires réalisé et de la valeur ajoutée produite au cours de l'année au titre de laquelle l'imposition est établie ou au cours du dernier exercice de douze mois clos au cours de cette même année lorsque cet exercice ne coïncide pas avec l'année civile ". Aux termes du I. de l'article 1586 sexies du même code : " Pour la généralité des entreprises, à l'exception des entreprises visées aux II à VI : / 1. Le chiffre d'affaires est égal à la somme : / - des ventes de produits fabriqués, prestations de services et marchandises ; / (...) / 4. La valeur ajoutée est égale à la différence entre : / a) D'une part, le chiffre d'affaires tel qu'il est défini au 1 (...) / b) Et, d'autre part : / - les achats stockés de matières premières et autres approvisionnements, les achats d'études et prestations de services, les achats de matériel, équipements et travaux, les achats non stockés de matières et fournitures, les achats de marchandises et les frais accessoires d'achat ; (... ) - les autres charges de gestion courante, autres que les quotes-parts de résultat sur opérations faites en commun ; (...) ".
4. L'article 211-1 du plan comptable général, dans sa version applicable au litige, définit un actif comme " un élément identifiable du patrimoine ayant une valeur économique positive pour l'entité, c'est-à-dire un élément générant une ressource que l'entité contrôle du fait d'évènements passés et dont elle attend des avantages économiques futurs ". Selon l'article 211-5 de ce plan, " une immobilisation incorporelle est identifiable : / - si elle est séparable des activités de l'entité, c'est-à-dire susceptible d'être vendue, transférée, louée ou échangée de manière isolée ou avec un contrat, un autre actif ou passif ; / - ou si elle résulte d'un droit légal ou contractuel même si ce droit n'est pas transférable ou séparable de l'entité ou des autres droits et obligations ".
5. Le seul constat qu'une somme compense, pour la partie qui la reçoit, la disparition d'une source pérenne de profits ne saurait suffire à caractériser, du point de vue de la partie versante, l'acquisition d'un nouvel élément d'actif. En conséquence, la seule circonstance qu'une société escompte, dans le cadre d'une réorganisation des fonctions au sein d'un groupe, améliorer la profitabilité de son activité en s'approvisionnant directement auprès de fournisseurs qui ne lui vendaient auparavant leurs produits que par l'intermédiaire d'une autre société du groupe, ne saurait suffire à considérer que toute indemnité versée dans le cadre de cette réorganisation aurait pour contrepartie, pour la partie versante, l'acquisition d'un élément d'actif incorporel, c'est-à-dire un élément identifiable ayant une valeur économique positive pour cette entité.
6. En l'espèce, après avoir relevé que l'indemnité en litige avait été versée dans le cadre d'un accord de restructuration interne prévoyant notamment que la société Sidel Blowing et Services intégrerait dans son activité existante d'achat et de revente de pièces détachées la fonction d'approvisionnement de ces pièces auparavant exercée par son fournisseur italien, la société Sidel SpA, dont elle était sur ce secteur l'unique client, la cour administrative d'appel de Paris a jugé que, dès lors que cette activité d'approvisionnement était bénéficiaire pour la société Sidel SpA, et quand bien même elle n'apportait à la société Sidel Blowing et Services aucune clientèle nouvelle, l'indemnité ainsi versée, qu'elle a analysée pour la totalité de son montant comme le prix net du transfert de cette seule activité, après prise en compte du caractère déficitaire des autres activités transférées, devait être regardée comme porteuse d'avantages économiques futurs pour la société Sidel Blowing et Services et ne pouvait, dès lors, être déduite en charge ni pour le calcul de son résultat de l'exercice 2014, ni pour le calcul de sa valeur ajoutée. En statuant ainsi et en retenant pour ces motifs l'acquisition, à raison de l'activité d'approvisionnement en pièces détachées de la société Sidel SpA, d'un élément ayant eu pour effet d'accroître la valeur de l'actif incorporel de l'entreprise, alors que ces seules constatations étaient insuffisantes pour caractériser l'acquisition par la société Sidel Blowing et Services d'un élément de patrimoine, d'une part, ayant une valeur économique positive pour elle et, d'autre part, identifiable, la cour a commis une erreur de droit.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois, que les sociétés Sidel Blowing et Services et Sidel Holding sont fondées à demander l'annulation des arrêts qu'elles attaquent.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Sidel Blowing et Services et à la société Sidel Holding d'une somme de 2 000 euros chacune au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les arrêts n°s 22PA03549 et 22PA01623 du 10 avril 2024 de la cour administrative d'appel de Paris sont annulés.
Article 2 : Les affaires sont renvoyées à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera à la société Sidel Blowing et Services et à la société Sidel Holding une somme de 2 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Sidel Holding, à la société Sidel Blowing et Services et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 22 septembre 2025 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et M. Vincent Mahé, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 26 septembre 2025.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
Le rapporteur :
Signé : M. Vincent Mahé
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle