Conseil d'État
N° 490793
ECLI:FR:CECHS:2025:490793.20250930
Inédit au recueil Lebon
9ème chambre
M. Lionel Ferreira, rapporteur
SCP BOUZIDI, BOUHANNA, avocats
Lecture du mardi 30 septembre 2025
Vu la procédure suivante :
Par une décision du 29 octobre 2024, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a prononcé l'admission partielle des conclusions du pourvoi de la société Lolie dirigées contre l'arrêt n° 21PA01474 du 8 novembre 2023 de la cour administrative d'appel de Paris en tant qu'il s'est prononcé sur la retenue à la source à laquelle cette société a été assujettie au titre de l'année 2014.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2024, le ministre du budget et des comptes publics conclut au rejet du pourvoi. Il soutient que les moyens soulevés par la société Lolie ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention signée le 16 mars 1973 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Lionel Ferreira, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de la société Lolie ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Lolie, qui exerçait l'activité d'agence de presse jusqu'à sa radiation du registre du commerce et des sociétés en 2022, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale lui a notamment réclamé un rappel de la retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts à raison des sommes payées en 2014 à la société néerlandaise The Continuity Group Numeric Photos BV au titre des droits de reproduction de photographies, qu'elle a contesté devant le tribunal administratif de Paris puis la cour administrative d'appel de Paris. Par décision du 29 octobre 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de la société Lolie dirigées contre l'arrêt du 8 novembre 2023 de cette cour en tant qu'il s'est prononcé sur la retenue à la source en litige.
2. Aux termes de l'article 2 de la convention fiscale franco-néerlandaise du 16 mars 1973, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : " (...) / 3. Les impôts auxquels s'applique la Convention sont : / a) En ce qui concerne les Pays-Bas : - l'impôt sur le revenu (de inkomstenbelasting) ; - l'impôt sur les traitements, salaires, pensions (de loonbelasting) ; - l'impôt des sociétés (de vennootschap-sbelasting) ; - l'impôt sur les dividendes (de dividend-belasting) ; - l'impôt sur la fortune (de vermogens-belasting), (ci-après dénommés : " l'impôt néerlandais"). / b) En ce qui concerne la France : - l'impôt sur le revenu ; - l'impôt sur les sociétés ; - la contribution des patentes en ce qui concerne l'article 8, y compris toutes retenues à la source, tous précomptes ou avances décomptés sur les impôts visés ci-dessus, (ci-après dénommés : "l'impôt français") (...) ". Aux termes de l'article 4 de cette convention : " 1. Au sens de la présente Convention, l'expression "résident de l'un des Etats" désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit Etat, est assujettie à l'impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue (...) ". Aux termes de l'article 12 de la même convention : " 1. Les redevances provenant de l'un des Etats et payées à un résident de l'autre Etat ne sont imposables que dans cet autre Etat. / 2. Le terme " redevances " employé dans le présent article désigne les rémunérations de toute nature payées pour l'usage ou la concession de l'usage d'un droit d'auteur sur une oeuvre littéraire, artistique ou scientifique (...) ".
3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Paris a jugé que la société Lolie ne pouvait invoquer la convention fiscale franco-néerlandaise, au motif qu'en se bornant à produire des attestations de l'administration fiscale néerlandaise indiquant que la société The Continuity Group Numeric Photos BV était résidente fiscale néerlandaise " au sens des stipulations de l'article 4 de la convention fiscale franco-néerlandaise ", elle n'établissait pas que cette société avait été " effectivement " soumise à l'impôt sur les sociétés aux Pays-Bas à raison de son statut ou de son activité au titre de l'année 2014. En statuant ainsi, alors que le caractère effectif de la soumission à l'impôt sur les sociétés aux Pays-Bas était sans incidence pour l'application des stipulations de la convention fiscale franco-néerlandaise du 16 mars 1973, la cour a commis une erreur de droit. La société Lolie est dès lors fondée, pour ce motif, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il s'est prononcé sur la retenue à la source en litige.
4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
5. Il résulte de l'instruction, notamment du certificat de résidence délivré par l'administration fiscale néerlandaise le 8 mars 2017 et produit par la société Lolie, que la société The Continuity Group Numeric Photos BV était, durant l'année 2014, résidente fiscale des Pays-Bas, au sens des stipulations de l'article 4 de la convention fiscale bilatérale citées au point 2. Dès lors, les redevances qui lui ont été payées par la société Lolie n'étaient imposables, conformément au 1 de l'article 12 de cette convention, que dans cet Etat. La société Lolie est par suite fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à obtenir la décharge de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie sur ces sommes.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Lolie au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 8 novembre 2023 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé en tant qu'il s'est prononcé sur la retenue à la source à laquelle la société Lolie a été assujettie au titre de l'année 2014.
Article 2 : La société Lolie est déchargée de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2014.
Article 3 : Le jugement du 20 janvier 2021 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 de la présente décision.
Article 4 : L'Etat versera à la société Lolie la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Lolie et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 11 septembre 2025 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat et M. Lionel Ferreira, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 30 septembre 2025.
La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Lionel Ferreira
Le secrétaire :
Signé : M. Brian Bouquet
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :
N° 490793
ECLI:FR:CECHS:2025:490793.20250930
Inédit au recueil Lebon
9ème chambre
M. Lionel Ferreira, rapporteur
SCP BOUZIDI, BOUHANNA, avocats
Lecture du mardi 30 septembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une décision du 29 octobre 2024, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a prononcé l'admission partielle des conclusions du pourvoi de la société Lolie dirigées contre l'arrêt n° 21PA01474 du 8 novembre 2023 de la cour administrative d'appel de Paris en tant qu'il s'est prononcé sur la retenue à la source à laquelle cette société a été assujettie au titre de l'année 2014.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2024, le ministre du budget et des comptes publics conclut au rejet du pourvoi. Il soutient que les moyens soulevés par la société Lolie ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention signée le 16 mars 1973 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Lionel Ferreira, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Bouzidi, Bouhanna, avocat de la société Lolie ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Lolie, qui exerçait l'activité d'agence de presse jusqu'à sa radiation du registre du commerce et des sociétés en 2022, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale lui a notamment réclamé un rappel de la retenue à la source prévue à l'article 182 B du code général des impôts à raison des sommes payées en 2014 à la société néerlandaise The Continuity Group Numeric Photos BV au titre des droits de reproduction de photographies, qu'elle a contesté devant le tribunal administratif de Paris puis la cour administrative d'appel de Paris. Par décision du 29 octobre 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de la société Lolie dirigées contre l'arrêt du 8 novembre 2023 de cette cour en tant qu'il s'est prononcé sur la retenue à la source en litige.
2. Aux termes de l'article 2 de la convention fiscale franco-néerlandaise du 16 mars 1973, dans sa rédaction applicable à l'année d'imposition en litige : " (...) / 3. Les impôts auxquels s'applique la Convention sont : / a) En ce qui concerne les Pays-Bas : - l'impôt sur le revenu (de inkomstenbelasting) ; - l'impôt sur les traitements, salaires, pensions (de loonbelasting) ; - l'impôt des sociétés (de vennootschap-sbelasting) ; - l'impôt sur les dividendes (de dividend-belasting) ; - l'impôt sur la fortune (de vermogens-belasting), (ci-après dénommés : " l'impôt néerlandais"). / b) En ce qui concerne la France : - l'impôt sur le revenu ; - l'impôt sur les sociétés ; - la contribution des patentes en ce qui concerne l'article 8, y compris toutes retenues à la source, tous précomptes ou avances décomptés sur les impôts visés ci-dessus, (ci-après dénommés : "l'impôt français") (...) ". Aux termes de l'article 4 de cette convention : " 1. Au sens de la présente Convention, l'expression "résident de l'un des Etats" désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit Etat, est assujettie à l'impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue (...) ". Aux termes de l'article 12 de la même convention : " 1. Les redevances provenant de l'un des Etats et payées à un résident de l'autre Etat ne sont imposables que dans cet autre Etat. / 2. Le terme " redevances " employé dans le présent article désigne les rémunérations de toute nature payées pour l'usage ou la concession de l'usage d'un droit d'auteur sur une oeuvre littéraire, artistique ou scientifique (...) ".
3. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel de Paris a jugé que la société Lolie ne pouvait invoquer la convention fiscale franco-néerlandaise, au motif qu'en se bornant à produire des attestations de l'administration fiscale néerlandaise indiquant que la société The Continuity Group Numeric Photos BV était résidente fiscale néerlandaise " au sens des stipulations de l'article 4 de la convention fiscale franco-néerlandaise ", elle n'établissait pas que cette société avait été " effectivement " soumise à l'impôt sur les sociétés aux Pays-Bas à raison de son statut ou de son activité au titre de l'année 2014. En statuant ainsi, alors que le caractère effectif de la soumission à l'impôt sur les sociétés aux Pays-Bas était sans incidence pour l'application des stipulations de la convention fiscale franco-néerlandaise du 16 mars 1973, la cour a commis une erreur de droit. La société Lolie est dès lors fondée, pour ce motif, à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il s'est prononcé sur la retenue à la source en litige.
4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
5. Il résulte de l'instruction, notamment du certificat de résidence délivré par l'administration fiscale néerlandaise le 8 mars 2017 et produit par la société Lolie, que la société The Continuity Group Numeric Photos BV était, durant l'année 2014, résidente fiscale des Pays-Bas, au sens des stipulations de l'article 4 de la convention fiscale bilatérale citées au point 2. Dès lors, les redevances qui lui ont été payées par la société Lolie n'étaient imposables, conformément au 1 de l'article 12 de cette convention, que dans cet Etat. La société Lolie est par suite fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à obtenir la décharge de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie sur ces sommes.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Lolie au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 8 novembre 2023 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé en tant qu'il s'est prononcé sur la retenue à la source à laquelle la société Lolie a été assujettie au titre de l'année 2014.
Article 2 : La société Lolie est déchargée de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2014.
Article 3 : Le jugement du 20 janvier 2021 du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 de la présente décision.
Article 4 : L'Etat versera à la société Lolie la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Lolie et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 11 septembre 2025 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat et M. Lionel Ferreira, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 30 septembre 2025.
La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Lionel Ferreira
Le secrétaire :
Signé : M. Brian Bouquet
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :