Conseil d'État
N° 497567
ECLI:FR:CECHR:2025:497567.20250930
Publié au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Cédric Fraisseix, rapporteur
CATRY, avocats
Lecture du mardi 30 septembre 2025
Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 5 septembre 2024 et les 25 avril et 9 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Préservons la forêt des Colettes ", l'association " Stop mines 03 ", M. BH... AH..., Mme S... AI..., Mme N... AJ..., M. AA... AZ..., Mme T... BA..., Mme AW... BB..., M. C... AM..., M. AC... BC..., Mme BP... BC..., M. AB... BD..., M. G... AL..., Mme AK... AL..., Mme BE... W..., Mme AG... BR..., M. I... Y..., M. V... AS..., M. AR... J..., Mme AY... BV..., Mme AQ... AO..., M. L... BT..., Mme BU... BT..., M. D... K..., Mme BI... K..., M. A... K..., Mme AT... K..., M. H... Z..., Mme AX... Z..., M. AN... M..., Mme BJ... BK..., M. AE... BL..., Mme BG... BL..., Mme BX... N... BW..., Mme BP... BS..., M. AP... AU..., Mme BF... AU..., M. AE... BY... AD..., M. P... E..., Mme U... O..., Mme F... BO..., Mme AW... B..., Mme AF... AV..., CA... BZ..., M. R... Q..., Mme BN... Q..., M. X... BQ... et Mme BM... BQ... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2024-740 du 5 juillet 2024 qualifiant de projet d'intérêt national majeur l'extraction et la transformation de lithium par la société Imerys dans l'Allier ;
2°) de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice de l'Union européenne deux questions préjudicielles portant, d'une part, sur la possibilité, au regard de l'article 16, paragraphe 1, de la directive 92/43/CEE, pour une législation nationale de reconnaître par décret qu'un projet répond à une raison impérative d'intérêt public majeur et, d'autre part, sur la nécessité, au regard des articles 3 et 4 de la directive 2001/42/CE et des articles 5, 6 et 9 de la directive 2011/92/UE, lus à la lumière du principe de précaution consacré par l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qu'une telle reconnaissance fasse l'objet au préalable d'une évaluation environnementale et d'une consultation du public ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Imerys la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) 2024/1252 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 ;
- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 ;
- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 ;
- la décision n° 2024-1126 QPC du 5 mars 2025 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l'association " Préservons la forêt des Colettes " et autres et à la SCP Spinosi, avocat de la société Imerys ;
Considérant ce qui suit :
1. D'une part, aux termes du I de l'article L. 300-6-2 du code de l'urbanisme, issu de l'article 19 de la loi du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte : " Un projet industriel qui revêt, eu égard à son objet et à son envergure, notamment en termes d'investissement et d'emploi, une importance particulière pour la transition écologique ou la souveraineté nationale, peut être qualifié par décret de projet d'intérêt national majeur ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 411-2-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction résultant du même article 19 : " Le décret, prévu au I de l'article L. 300-6-2 du code de l'urbanisme, qualifiant un projet industriel de projet d'intérêt national majeur pour la transition écologique ou la souveraineté nationale peut lui reconnaître le caractère de projet répondant à une raison impérative d'intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l'article L. 411-2 du présent code. Cette reconnaissance ne peut être contestée qu'à l'occasion d'un recours dirigé contre le décret, dont elle est divisible. Elle ne peut être contestée à l'appui d'un recours dirigé contre l'acte accordant la dérogation prévue au même c ".
2. D'autre part, le I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement comporte un ensemble d'interdictions visant à assurer la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats. Sont ainsi interdits, aux termes du 1° du I de cet article : " La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ". Sont également interdits, aux termes du 2° du I du même article : " La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ". Sont enfin interdits, aux termes du 3° du I du même article : " La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ". Toutefois, le 4° du I de l'article L. 411-2 du même code permet à l'autorité administrative de délivrer des dérogations à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant à l'absence de solution alternative satisfaisante, à la condition de ne pas nuire " au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle " et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs qu'il énumère limitativement, dont celui énoncé au c, qui mentionne " l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ", " d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique " et " les motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ".
3. L'association " Préservons la forêt des Colettes " et autres demandent l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 5 juillet 2024 qui, sur le fondement des dispositions précitées du I de l'article L. 300-6-2 du code de l'urbanisme et de l'article L. 411-2-1 du code de l'environnement, d'une part, qualifie de projet d'intérêt national majeur l'extraction et la transformation de lithium par la société Imerys sur le territoire de plusieurs communes dans le département de l'Allier et, d'autre part, reconnaît que ce projet répond à une raison impérative d'intérêt public majeur.
Sur la légalité externe du décret attaqué :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-3 du code des relations entre le public et l'administration : " Doivent (...) être motivées les décisions administratives individuelles qui dérogent aux règles générales fixées par la loi ou le règlement ". Le décret attaqué, qui qualifie le projet litigieux de projet d'intérêt national majeur et reconnaît qu'il répond à une raison impérative d'intérêt public majeur, fait application des dispositions citées au point 1 et n'a pas pour objet, par lui-même, d'accorder une dérogation, en particulier celle prévue au c du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement. Il ne peut être regardé comme une décision administrative individuelle, dérogeant aux règles générales, qui devrait être motivée en application de l'article L. 211-3 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, il ne peut être utilement soutenu que le décret attaqué serait illégal comme méconnaissant, faute d'être suffisamment motivé, les dispositions de cet article.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 2 de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement, on entend par " a) plans et programmes : les plans et programmes (...) ainsi que leurs modifications : / - élaborés et/ou adoptés par une autorité au niveau national, régional ou local (...) et / - exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette directive : " 1. Une évaluation environnementale est effectuée (...) pour les plans et programmes visés aux paragraphes 2, 3 et 4 susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement. / 2. (...) une évaluation environnementale est effectuée pour tous les plans et programmes : / a) qui sont élaborés pour les secteurs (...) de l'énergie, de l'industrie, (...) et qui définissent le cadre dans lequel la mise en oeuvre des projets énumérés aux annexes I et II de la directive 85/337/CEE pourra être autorisée à l'avenir ; ou / b) pour lesquels, étant donné les incidences qu'ils sont susceptibles d'avoir sur des sites, une évaluation est requise en vertu des articles 6 et 7 de la directive 92/43/CEE. / (...) 4. Pour les plans et programmes, autres que ceux visés au paragraphe 2, qui définissent le cadre dans lequel la mise en oeuvre des projets pourra être autorisée à l'avenir, les Etats membres déterminent s'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement. (...) ". Ces dispositions ont été transposées à l'article L. 122-4 du code de l'environnement, aux termes duquel : " (...) II. - Font l'objet d'une évaluation environnementale systématique : / 1° Les plans et programmes qui sont élaborés dans les domaines (...) de l'énergie, de l'industrie (...) et qui définissent le cadre dans lequel les projets mentionnés à l'article L. 122-1 pourront être autorisés ; / (...) III. - Font l'objet d'une évaluation environnementale systématique ou après examen au cas par cas par l'autorité environnementale (...) / 2° Les plans et programmes, autres que ceux mentionnés au II, qui définissent le cadre dans lequel la mise en oeuvre de projets pourra être autorisée si ces plans sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement (...) ". Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment ses arrêts des 27 octobre 2016, D'Oultremont e.a. (C-290/15), 7 juin 2018, Inter-Environnement Bruxelles e.a. (C-671/16), 12 juin 2019, Terre Wallonne (C-321/18) et 25 juin 2020, A. e.a (Éoliennes à Aalter et à Nevele) (C-24/19), la notion de " plans et programmes " soumis à évaluation environnementale en application de l'article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/42/CE se rapporte à tout acte qui établit, en définissant des règles et des procédures, un ensemble significatif de critères et de modalités pour l'autorisation et la mise en oeuvre d'un ou de plusieurs projets, mentionnés par la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011, susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement. Sont également soumis à évaluation environnementale les plans et programmes mentionnés à l'article 3, paragraphe 4, qui définissent le cadre dans lequel la mise en oeuvre d'autres projets pourra être autorisée à l'avenir, lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement.
6. Le décret attaqué, en ce qu'il se borne à qualifier le projet de la société Imerys de projet d'intérêt national majeur et à reconnaître qu'il répond à une raison impérative d'intérêt public majeur, ne peut être regardé comme établissant un ensemble significatif de critères et de modalités au respect desquels serait subordonnée l'autorisation d'un ou de plusieurs projets, ni comme définissant un cadre au sens et pour l'application de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué, faute d'avoir été précédé d'une évaluation environnementale, aurait méconnu les objectifs de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 et l'article L. 122-4 du code de l'environnement doit être écarté.
7. En troisième lieu, l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement définit, en son I, " les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable aux décisions individuelles des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement qui n'appartiennent pas à une catégorie de décisions pour lesquelles des dispositions législatives particulières ont prévu les cas et conditions dans lesquels elles doivent, le cas échéant en fonction de seuils et critères, être soumises à participation du public. / (...) Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l'environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif (...) ".
8. D'une part, il résulte des dispositions de l'article L. 300-6-2 du code de l'urbanisme que la qualification d'un projet d'intérêt national majeur n'a pas pour objet de dispenser, si elle est requise, d'une procédure de mise en compatibilité des documents d'urbanisme et de planification. D'autre part, comme l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2024-1126 QPC du 5 mars 2025, la reconnaissance de la raison impérative d'intérêt public majeur, lorsqu'elle intervient dès l'édiction du décret qualifiant le projet d'intérêt national majeur, n'a ni pour objet ni pour effet de modifier les conditions de fond auxquelles est subordonnée la délivrance d'une dérogation à la réglementation relative aux espèces protégées. Ainsi, il appartient ensuite à l'autorité administrative compétente, lors de la délivrance de la dérogation, de s'assurer qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.
9. Il en résulte que le décret attaqué, qui n'a pas non plus pour objet ou pour effet de dispenser, le cas échéant, les travaux et opérations susceptibles d'être réalisés dans ce cadre de l'obligation d'être soumis à une évaluation environnementale ou à la participation du public, n'est pas, par lui-même, susceptible d'avoir une incidence directe et significative sur l'environnement. Par suite, il ne peut être utilement soutenu qu'il aurait dû être soumis à la participation du public prévue à l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement.
Sur la légalité interne du décret attaqué :
10. En premier lieu, par sa décision n° 2024-1126 QPC du 5 mars 2025, le Conseil constitutionnel a déclaré le second alinéa de l'article L. 411-2-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction résultant de la loi du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte, conforme à la Constitution. Par suite, le moyen tiré, par voie d'exception, de la méconnaissance, par ces dispositions législatives, des droits et libertés que la Constitution garantit ne peut qu'être écarté.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article 16 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages : " 1. À condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les États membres peuvent déroger aux dispositions des articles 12, 13, 14 et de l'article 15 points a) et b) : / (...) c) dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques, ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique (...) ". Cet article, qui définit les conditions dans lesquelles les Etats membres peuvent prévoir des dérogations à l'interdiction de destruction des espèces protégées ou de leurs habitats, ne fait pas obstacle à ce que le législateur prévoie que le Premier ministre puisse reconnaître qu'un projet répond à une raison impérative d'intérêt public majeur en la justifiant, au cas par cas, au regard de son objet et de son importance et sous le contrôle du juge, à l'occasion de l'intervention du décret donnant au projet le caractère de projet d'intérêt national majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique, une telle qualification ne dispensant pas le projet concerné, ainsi qu'il a été dit précédemment, du respect des autres conditions prévues à l'article L. 411-2 du code de l'environnement pour la délivrance d'une dérogation. Par suite, les requérants ne sont fondés à soutenir ni que les dispositions de l'article L. 411-2-1 du code de l'environnement seraient incompatibles avec les objectifs de la directive 92/43/CEE, ni que le décret qu'elles attaquent serait, pour ce motif, privé de base légale.
12. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet en litige consiste en l'extraction de minerai et en l'exploitation d'une mine de lithium sur le site de Beauvoir, dans le département de l'Allier, qui constitue, selon l'atlas des substances critiques et stratégiques du bureau de recherches géologiques et minières, le principal gîte de ce minerai en France. Ce projet est destiné à permettre la production d'hydroxyde de lithium, pour un volume estimé à 34 000 tonnes pendant une période minimale de vingt-cinq ans. Il devrait ainsi contribuer à atteindre les objectifs nationaux visant à sécuriser l'approvisionnement de la France en lithium, à réduire les importations depuis des pays tiers et à développer la fabrication de batteries électriques nécessaires à la fabrication de produits à forte valeur ajoutée, tels que des ordinateurs portables, des téléphones mobiles ou des véhicules électriques. Il ressort en outre des pièces du dossier que ce projet a vocation à contribuer à la mise en oeuvre des politiques de l'Union européenne en matière énergétique et industrielle, la Commission européenne l'ayant notamment reconnu parmi les quarante-sept projets stratégiques qu'elle a retenus pour l'application du règlement (UE) 2024/1252 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 établissant un cadre visant à garantir un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le projet en litige ne répondrait pas, au regard des articles L. 411-1, L. 411-2 et L. 411-2-1 du code de l'environnement et de l'article L. 300-6-2 du code de l'urbanisme, à une raison impérative d'intérêt public majeur ni, par voie de conséquence, qu'il méconnaîtrait, pour ce motif, les articles 1er, 2, 5 et 6 de la Charte de l'environnement ou les objectifs de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992.
13. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions tendant à l'annulation du décret du 5 juillet 2024 doivent être rejetées, sans qu'il y ait lieu, pour les motifs exposés aux points 6, 9, 11 et 12, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat et de la société Imerys, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association " Préservons la forêt des Colettes " et autres la somme globale de 3 000 euros à verser à la société Imerys, au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de l'association " Préservons la forêt des Colettes " et autres est rejetée.
Article 2 : L'association " Préservons la forêt des Colettes " et autres verseront à la société Imerys une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association " Préservons la forêt des Colettes ", représentante unique, pour l'ensemble des requérants, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et à la société Imerys.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 septembre 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, M. Christophe Pourreau, conseillers d'Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 30 septembre 2025.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Cédric Fraisseix
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain
N° 497567
ECLI:FR:CECHR:2025:497567.20250930
Publié au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Cédric Fraisseix, rapporteur
CATRY, avocats
Lecture du mardi 30 septembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 5 septembre 2024 et les 25 avril et 9 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Préservons la forêt des Colettes ", l'association " Stop mines 03 ", M. BH... AH..., Mme S... AI..., Mme N... AJ..., M. AA... AZ..., Mme T... BA..., Mme AW... BB..., M. C... AM..., M. AC... BC..., Mme BP... BC..., M. AB... BD..., M. G... AL..., Mme AK... AL..., Mme BE... W..., Mme AG... BR..., M. I... Y..., M. V... AS..., M. AR... J..., Mme AY... BV..., Mme AQ... AO..., M. L... BT..., Mme BU... BT..., M. D... K..., Mme BI... K..., M. A... K..., Mme AT... K..., M. H... Z..., Mme AX... Z..., M. AN... M..., Mme BJ... BK..., M. AE... BL..., Mme BG... BL..., Mme BX... N... BW..., Mme BP... BS..., M. AP... AU..., Mme BF... AU..., M. AE... BY... AD..., M. P... E..., Mme U... O..., Mme F... BO..., Mme AW... B..., Mme AF... AV..., CA... BZ..., M. R... Q..., Mme BN... Q..., M. X... BQ... et Mme BM... BQ... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2024-740 du 5 juillet 2024 qualifiant de projet d'intérêt national majeur l'extraction et la transformation de lithium par la société Imerys dans l'Allier ;
2°) de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice de l'Union européenne deux questions préjudicielles portant, d'une part, sur la possibilité, au regard de l'article 16, paragraphe 1, de la directive 92/43/CEE, pour une législation nationale de reconnaître par décret qu'un projet répond à une raison impérative d'intérêt public majeur et, d'autre part, sur la nécessité, au regard des articles 3 et 4 de la directive 2001/42/CE et des articles 5, 6 et 9 de la directive 2011/92/UE, lus à la lumière du principe de précaution consacré par l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qu'une telle reconnaissance fasse l'objet au préalable d'une évaluation environnementale et d'une consultation du public ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Imerys la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) 2024/1252 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 ;
- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 ;
- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ;
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 ;
- la décision n° 2024-1126 QPC du 5 mars 2025 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de l'association " Préservons la forêt des Colettes " et autres et à la SCP Spinosi, avocat de la société Imerys ;
Considérant ce qui suit :
1. D'une part, aux termes du I de l'article L. 300-6-2 du code de l'urbanisme, issu de l'article 19 de la loi du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte : " Un projet industriel qui revêt, eu égard à son objet et à son envergure, notamment en termes d'investissement et d'emploi, une importance particulière pour la transition écologique ou la souveraineté nationale, peut être qualifié par décret de projet d'intérêt national majeur ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 411-2-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction résultant du même article 19 : " Le décret, prévu au I de l'article L. 300-6-2 du code de l'urbanisme, qualifiant un projet industriel de projet d'intérêt national majeur pour la transition écologique ou la souveraineté nationale peut lui reconnaître le caractère de projet répondant à une raison impérative d'intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l'article L. 411-2 du présent code. Cette reconnaissance ne peut être contestée qu'à l'occasion d'un recours dirigé contre le décret, dont elle est divisible. Elle ne peut être contestée à l'appui d'un recours dirigé contre l'acte accordant la dérogation prévue au même c ".
2. D'autre part, le I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement comporte un ensemble d'interdictions visant à assurer la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats. Sont ainsi interdits, aux termes du 1° du I de cet article : " La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ". Sont également interdits, aux termes du 2° du I du même article : " La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, de leurs fructifications ou de toute autre forme prise par ces espèces au cours de leur cycle biologique, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, la détention de spécimens prélevés dans le milieu naturel ". Sont enfin interdits, aux termes du 3° du I du même article : " La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ". Toutefois, le 4° du I de l'article L. 411-2 du même code permet à l'autorité administrative de délivrer des dérogations à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant à l'absence de solution alternative satisfaisante, à la condition de ne pas nuire " au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle " et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs qu'il énumère limitativement, dont celui énoncé au c, qui mentionne " l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ", " d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique " et " les motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ".
3. L'association " Préservons la forêt des Colettes " et autres demandent l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 5 juillet 2024 qui, sur le fondement des dispositions précitées du I de l'article L. 300-6-2 du code de l'urbanisme et de l'article L. 411-2-1 du code de l'environnement, d'une part, qualifie de projet d'intérêt national majeur l'extraction et la transformation de lithium par la société Imerys sur le territoire de plusieurs communes dans le département de l'Allier et, d'autre part, reconnaît que ce projet répond à une raison impérative d'intérêt public majeur.
Sur la légalité externe du décret attaqué :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-3 du code des relations entre le public et l'administration : " Doivent (...) être motivées les décisions administratives individuelles qui dérogent aux règles générales fixées par la loi ou le règlement ". Le décret attaqué, qui qualifie le projet litigieux de projet d'intérêt national majeur et reconnaît qu'il répond à une raison impérative d'intérêt public majeur, fait application des dispositions citées au point 1 et n'a pas pour objet, par lui-même, d'accorder une dérogation, en particulier celle prévue au c du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement. Il ne peut être regardé comme une décision administrative individuelle, dérogeant aux règles générales, qui devrait être motivée en application de l'article L. 211-3 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, il ne peut être utilement soutenu que le décret attaqué serait illégal comme méconnaissant, faute d'être suffisamment motivé, les dispositions de cet article.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 2 de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement, on entend par " a) plans et programmes : les plans et programmes (...) ainsi que leurs modifications : / - élaborés et/ou adoptés par une autorité au niveau national, régional ou local (...) et / - exigés par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives (...) ". Aux termes de l'article 3 de cette directive : " 1. Une évaluation environnementale est effectuée (...) pour les plans et programmes visés aux paragraphes 2, 3 et 4 susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement. / 2. (...) une évaluation environnementale est effectuée pour tous les plans et programmes : / a) qui sont élaborés pour les secteurs (...) de l'énergie, de l'industrie, (...) et qui définissent le cadre dans lequel la mise en oeuvre des projets énumérés aux annexes I et II de la directive 85/337/CEE pourra être autorisée à l'avenir ; ou / b) pour lesquels, étant donné les incidences qu'ils sont susceptibles d'avoir sur des sites, une évaluation est requise en vertu des articles 6 et 7 de la directive 92/43/CEE. / (...) 4. Pour les plans et programmes, autres que ceux visés au paragraphe 2, qui définissent le cadre dans lequel la mise en oeuvre des projets pourra être autorisée à l'avenir, les Etats membres déterminent s'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement. (...) ". Ces dispositions ont été transposées à l'article L. 122-4 du code de l'environnement, aux termes duquel : " (...) II. - Font l'objet d'une évaluation environnementale systématique : / 1° Les plans et programmes qui sont élaborés dans les domaines (...) de l'énergie, de l'industrie (...) et qui définissent le cadre dans lequel les projets mentionnés à l'article L. 122-1 pourront être autorisés ; / (...) III. - Font l'objet d'une évaluation environnementale systématique ou après examen au cas par cas par l'autorité environnementale (...) / 2° Les plans et programmes, autres que ceux mentionnés au II, qui définissent le cadre dans lequel la mise en oeuvre de projets pourra être autorisée si ces plans sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement (...) ". Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment ses arrêts des 27 octobre 2016, D'Oultremont e.a. (C-290/15), 7 juin 2018, Inter-Environnement Bruxelles e.a. (C-671/16), 12 juin 2019, Terre Wallonne (C-321/18) et 25 juin 2020, A. e.a (Éoliennes à Aalter et à Nevele) (C-24/19), la notion de " plans et programmes " soumis à évaluation environnementale en application de l'article 3, paragraphe 2, de la directive 2001/42/CE se rapporte à tout acte qui établit, en définissant des règles et des procédures, un ensemble significatif de critères et de modalités pour l'autorisation et la mise en oeuvre d'un ou de plusieurs projets, mentionnés par la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011, susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement. Sont également soumis à évaluation environnementale les plans et programmes mentionnés à l'article 3, paragraphe 4, qui définissent le cadre dans lequel la mise en oeuvre d'autres projets pourra être autorisée à l'avenir, lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement.
6. Le décret attaqué, en ce qu'il se borne à qualifier le projet de la société Imerys de projet d'intérêt national majeur et à reconnaître qu'il répond à une raison impérative d'intérêt public majeur, ne peut être regardé comme établissant un ensemble significatif de critères et de modalités au respect desquels serait subordonnée l'autorisation d'un ou de plusieurs projets, ni comme définissant un cadre au sens et pour l'application de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué, faute d'avoir été précédé d'une évaluation environnementale, aurait méconnu les objectifs de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 et l'article L. 122-4 du code de l'environnement doit être écarté.
7. En troisième lieu, l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement définit, en son I, " les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement est applicable aux décisions individuelles des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement qui n'appartiennent pas à une catégorie de décisions pour lesquelles des dispositions législatives particulières ont prévu les cas et conditions dans lesquels elles doivent, le cas échéant en fonction de seuils et critères, être soumises à participation du public. / (...) Ne sont pas regardées comme ayant une incidence sur l'environnement les décisions qui ont sur ce dernier un effet indirect ou non significatif (...) ".
8. D'une part, il résulte des dispositions de l'article L. 300-6-2 du code de l'urbanisme que la qualification d'un projet d'intérêt national majeur n'a pas pour objet de dispenser, si elle est requise, d'une procédure de mise en compatibilité des documents d'urbanisme et de planification. D'autre part, comme l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2024-1126 QPC du 5 mars 2025, la reconnaissance de la raison impérative d'intérêt public majeur, lorsqu'elle intervient dès l'édiction du décret qualifiant le projet d'intérêt national majeur, n'a ni pour objet ni pour effet de modifier les conditions de fond auxquelles est subordonnée la délivrance d'une dérogation à la réglementation relative aux espèces protégées. Ainsi, il appartient ensuite à l'autorité administrative compétente, lors de la délivrance de la dérogation, de s'assurer qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.
9. Il en résulte que le décret attaqué, qui n'a pas non plus pour objet ou pour effet de dispenser, le cas échéant, les travaux et opérations susceptibles d'être réalisés dans ce cadre de l'obligation d'être soumis à une évaluation environnementale ou à la participation du public, n'est pas, par lui-même, susceptible d'avoir une incidence directe et significative sur l'environnement. Par suite, il ne peut être utilement soutenu qu'il aurait dû être soumis à la participation du public prévue à l'article L. 123-19-2 du code de l'environnement.
Sur la légalité interne du décret attaqué :
10. En premier lieu, par sa décision n° 2024-1126 QPC du 5 mars 2025, le Conseil constitutionnel a déclaré le second alinéa de l'article L. 411-2-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction résultant de la loi du 23 octobre 2023 relative à l'industrie verte, conforme à la Constitution. Par suite, le moyen tiré, par voie d'exception, de la méconnaissance, par ces dispositions législatives, des droits et libertés que la Constitution garantit ne peut qu'être écarté.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article 16 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages : " 1. À condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les États membres peuvent déroger aux dispositions des articles 12, 13, 14 et de l'article 15 points a) et b) : / (...) c) dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques, ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique (...) ". Cet article, qui définit les conditions dans lesquelles les Etats membres peuvent prévoir des dérogations à l'interdiction de destruction des espèces protégées ou de leurs habitats, ne fait pas obstacle à ce que le législateur prévoie que le Premier ministre puisse reconnaître qu'un projet répond à une raison impérative d'intérêt public majeur en la justifiant, au cas par cas, au regard de son objet et de son importance et sous le contrôle du juge, à l'occasion de l'intervention du décret donnant au projet le caractère de projet d'intérêt national majeur pour la souveraineté nationale ou la transition écologique, une telle qualification ne dispensant pas le projet concerné, ainsi qu'il a été dit précédemment, du respect des autres conditions prévues à l'article L. 411-2 du code de l'environnement pour la délivrance d'une dérogation. Par suite, les requérants ne sont fondés à soutenir ni que les dispositions de l'article L. 411-2-1 du code de l'environnement seraient incompatibles avec les objectifs de la directive 92/43/CEE, ni que le décret qu'elles attaquent serait, pour ce motif, privé de base légale.
12. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le projet en litige consiste en l'extraction de minerai et en l'exploitation d'une mine de lithium sur le site de Beauvoir, dans le département de l'Allier, qui constitue, selon l'atlas des substances critiques et stratégiques du bureau de recherches géologiques et minières, le principal gîte de ce minerai en France. Ce projet est destiné à permettre la production d'hydroxyde de lithium, pour un volume estimé à 34 000 tonnes pendant une période minimale de vingt-cinq ans. Il devrait ainsi contribuer à atteindre les objectifs nationaux visant à sécuriser l'approvisionnement de la France en lithium, à réduire les importations depuis des pays tiers et à développer la fabrication de batteries électriques nécessaires à la fabrication de produits à forte valeur ajoutée, tels que des ordinateurs portables, des téléphones mobiles ou des véhicules électriques. Il ressort en outre des pièces du dossier que ce projet a vocation à contribuer à la mise en oeuvre des politiques de l'Union européenne en matière énergétique et industrielle, la Commission européenne l'ayant notamment reconnu parmi les quarante-sept projets stratégiques qu'elle a retenus pour l'application du règlement (UE) 2024/1252 du Parlement européen et du Conseil du 11 avril 2024 établissant un cadre visant à garantir un approvisionnement sûr et durable en matières premières critiques. Dans ces conditions, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le projet en litige ne répondrait pas, au regard des articles L. 411-1, L. 411-2 et L. 411-2-1 du code de l'environnement et de l'article L. 300-6-2 du code de l'urbanisme, à une raison impérative d'intérêt public majeur ni, par voie de conséquence, qu'il méconnaîtrait, pour ce motif, les articles 1er, 2, 5 et 6 de la Charte de l'environnement ou les objectifs de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992.
13. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions tendant à l'annulation du décret du 5 juillet 2024 doivent être rejetées, sans qu'il y ait lieu, pour les motifs exposés aux points 6, 9, 11 et 12, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat et de la société Imerys, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association " Préservons la forêt des Colettes " et autres la somme globale de 3 000 euros à verser à la société Imerys, au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association " Préservons la forêt des Colettes " et autres est rejetée.
Article 2 : L'association " Préservons la forêt des Colettes " et autres verseront à la société Imerys une somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association " Préservons la forêt des Colettes ", représentante unique, pour l'ensemble des requérants, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et à la société Imerys.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 septembre 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, M. Christophe Pourreau, conseillers d'Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.
Rendu le 30 septembre 2025.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Cédric Fraisseix
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain