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Décision n° 499946
30 septembre 2025
Conseil d'État

N° 499946
ECLI:FR:CECHS:2025:499946.20250930
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre
Mme Isabelle Tison, rapporteure
YAHIA AVOCATS, avocats


Lecture du mardi 30 septembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés le 23 décembre 2024 et les 12 mai et 14 juin 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'organisation nationale syndicale des sages-femmes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 18 juin 2024 modifiant l'arrêté du 1er juin 2015 déterminant les recommandations de bonnes pratiques relatives aux modalités d'accès, de prise en charge des femmes enceintes et des couples, d'organisation et de fonctionnement des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal en matière de diagnostic prénatal et de diagnostic préimplantatoire ainsi que la décision implicite du 24 octobre 2024 de la ministre du travail, de la santé et des solidarités rejetant son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761 1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Isabelle Tison, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes de l'article L. 2131-1 du code de la santé publique : " I.- La médecine foetale s'entend des pratiques médicales, notamment cliniques, biologiques et d'imagerie, ayant pour but le diagnostic et l'évaluation pronostique ainsi que, le cas échéant, le traitement, y compris chirurgical, d'une affection d'une particulière gravité ou susceptible d'avoir un impact sur le devenir du foetus ou de l'enfant à naître. / (...) III. (...) En cas de risque avéré, la femme enceinte et, si elle le souhaite, l'autre membre du couple, lorsque la femme vit en couple, sont pris en charge par un médecin et orientés, si la femme enceinte ou le médecin en fait la demande, vers un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal. (...) / VIII.- La création de centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal, mentionnés au III, dans des organismes et établissements de santé publics et privés d'intérêt collectif est autorisée par l'Agence de la biomédecine (...) ". L'article L. 2131-1-1 du même code dispose que : " Le ministre chargé de la santé détermine : / 1° Par arrêté pris sur proposition de l'Agence de la biomédecine, les recommandations de bonnes pratiques relatives aux modalités d'accès, de prise en charge des femmes enceintes et des couples, d'organisation et de fonctionnement des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal mentionnés au VIII de l'article L. 2131-1 (...) ". Aux termes de l'article L. 2131-5 de ce code : " Sauf disposition contraire, les modalités d'application du présent chapitre sont déterminées par décret en Conseil d'Etat et notamment : / 1° Les missions, le rôle auprès des autres intervenants en matière de diagnostic prénatal et les conditions de création et d'autorisation des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal prévus à l'article L. 2131-1 (...). "

2. D'autre part, l'article R. 2131-1 du code de la santé publique dispose que : " (...) III. - L'échographie obstétricale et foetale s'entend des examens d'imagerie par ultrasons à des fins médicales effectués dans le cadre de la grossesse. / Pour l'application du présent chapitre, l'échographie obstétricale et foetale comprend, en fonction des indications et du contenu de l'examen : / 1° L'échographie obstétricale et foetale qui permet d'évaluer le risque que l'embryon ou le foetus présente une affection susceptible de modifier le déroulement ou la surveillance de la grossesse ; / 2° L'échographie obstétricale et foetale à visée diagnostique effectuée en raison d'un risque avéré d'anomalie foetale, y compris l'échographie obstétricale et foetale limitée à une partie de l'anatomie ou de la biométrie du foetus et de ses annexes. / (...) VI. - Les échographies obstétricales et foetales prévues au III ne peuvent être réalisées que par des médecins et des sages femmes disposant de compétences reconnues par un diplôme en attestant ou un titre de formation équivalent les autorisant à pratiquer ces actes dans un Etat membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen. Un arrêté du ministre chargé de la santé précise les qualifications requises ". Aux termes de l'article R. 2131-10-1 de ce code : " Les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal ont pour mission : / 1° De favoriser l'accès des patients à l'ensemble des activités de médecine foetale et d'assurer leur mise en oeuvre en constituant un pôle de compétences cliniques, biologiques et d'imagerie au service des patients et des praticiens (... ) ".

3. Pour l'application des dispositions de l'article L. 2131-1-1 du code de la santé publique citées au point 1, la ministre du travail, de la santé et des solidarités a, par un arrêté du 18 juin 2024, modifié les recommandations de bonnes pratiques relatives aux modalités d'accès, de prise en charge des femmes enceintes et des couples, d'organisation et de fonctionnement des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal en matière de diagnostic prénatal et de diagnostic préimplantatoire édictées le 1er juin 2015. L'organisation syndicale requérante demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.

Sur la légalité externe :

4. En premier lieu, d'une part le principe de l'autorisation préalable des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal par l'Agence de la biomédecine est prévu par le VIII de l'article L. 2131-1 du code de la santé publique, l'obligation que l'organisme d'accueil dispose d'une unité d'obstétrique par l'article R. 2131-11 de ce code, les modalités de constitution de l'équipe pluridisciplinaire par l'article R. 2131-12 du même code tandis que les réseaux de santé ont été supprimés par l'article 23 de la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé. Dès lors, le point C. I. de l'annexe de l'arrêté attaqué, intitulé " Conditions de création ", en rappelant que la création du centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal est subordonnée à une autorisation préalable, que le centre doit être créé sur un site disposant d'une unité d'obstétrique, qu'il doit se doter d'un règlement intérieur et qu'il doit passer une convention avec un réseau de santé en périnatalité et en fixant les modalités de constitution de l'équipe pluridisciplinaire, ne fait que reprendre les conditions déjà fixées par des dispositions législatives ou réglementaires et n'est pas entaché d'incompétence. D'autre part, les autres indications figurant à ce point C telles que les obligations des chefs d'établissement, titulaires de l'autorisation, qui consistent à faire respecter la réglementation concernant les activités du centre et à lui donner les moyens financiers, techniques et en personnel nécessaires à ces activités, les temps dédiés de certains personnels afin d'assurer le bon fonctionnement du centre et l'obligation pour le centre d'être doté des moyens informatiques nécessaires à son fonctionnement et notamment d'un système d'information partagé et d'un dispositif de visioconférence relèvent des conditions d'organisation et de fonctionnement des centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal que le ministre pouvait compétemment arrêter en vertu des dispositions de l'article L. 2131-1-1 du code de la santé publique cité au point 1. Par suite, l'organisation syndicale requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté méconnaîtrait à l'article L. 2131-5 du code de la santé publique et ajouterait incompétemment aux dispositions réglementaires en vigueur résultant de décret en Conseil d'Etat.

5. En second lieu, l'article L. 1418-3 du code de la santé publique relatif à l'Agence de la biomédecine prévoit que : " (...) Le directeur général émet les avis et recommandations qui relèvent de la compétence de l'agence ". Il ressort des pièces du dossier que la proposition de l'Agence de la biomédecine, au vu de laquelle l'arrêté attaqué a été pris, a été signée par sa directrice générale. Par suite, le moyen tiré de ce que la proposition n'aurait pas été émise dans les conditions prévues par les dispositions de l'article L. 1418-3 du code de la santé publique manque en fait.

Sur la légalité interne :

6. En premier lieu, l'article L. 2212-2 du code de la santé publique qualifie la profession de sage-femme de " profession médicale à part entière ". L'article L. 4151-1 du même code prévoit que : " L'exercice de la profession de sage-femme comporte la pratique des actes nécessaires au diagnostic, à la surveillance de la grossesse (...) ". Le point C. I. 2 de l'annexe de l'arrêté attaqué prévoit que : " (...) le temps dédié de secrétaire et de sage-femme doit permettre d'assurer le bon fonctionnement du centre. En cas de secrétaire ou de sage-femme unique, il est recommandé de prévoir leur remplacement durant les périodes où elles sont absentes par une ou plusieurs secrétaires ou sage-femmes formées aux spécificités de la fonction en CPDPN (...) ". Si cette rédaction traite dans un unique paragraphe du temps dédié des sages-femmes et des secrétaires médicales, elle a pour objet de fixer, de manière distincte, les règles permettant d'assurer le bon fonctionnement du centre en termes de présence, d'une part, de secrétaires et, d'autre part, de sages-femmes, au titre de leurs fonctions respectives et n'ont donc ni pour objet ni pour effet de méconnaître les compétences médicales des sages-femmes.

7. En deuxième lieu, le point E. III. de l'annexe de l'arrêté attaqué se borne à reprendre les termes de l'article L. 2131-1 du code de la santé publique en prévoyant que la saisine du centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal peut se faire soit directement par la femme enceinte, soit, si elle y consent, par le médecin. Par suite, l'organisation syndicale requérante ne peut utilement soutenir que ces dispositions méconnaissent le principe de libre choix du praticien et de l'établissement de santé garanti par l'article L. 1110-8 du code de la santé publique, non plus que les compétences reconnues par la loi aux sages-femmes, ni qu'elles portent une atteinte disproportionnée aux droits des femmes d'accéder à la prévention en santé.

8. En troisième lieu, s'il résulte des dispositions de l'article L. 4151-1 du code de la santé publique citées au point 6 que les sages-femmes ont compétence pour pratiquer les actes nécessaires au diagnostic et à la surveillance de la grossesse, l'article L. 4161-1 du même code réserve au seul médecin " l'établissement d'un diagnostic (...) de maladies " et l'article L. 4151-3 de ce code prévoit qu'en cas de pathologie maternelle, foetale ou néonatale pendant la grossesse, l'accouchement ou les suites de couches et en cas d'accouchement dystocique, la sage-femme doit faire appel à un médecin. Le I de l'article R. 4127-318 du code de la santé publique prévoit que : " (...) La sage-femme est autorisée à pratiquer l'ensemble des actes cliniques et techniques nécessaires au suivi et à la surveillance des situations non pathologiques et au dépistage de pathologie, concernant : (...) b) Les femmes pendant la grossesse, l'accouchement et durant la période postnatale ; c) Le foetus ; (...) " et le III du même article que : " Dans le cadre des dispositions de l'article L. 4151-3, la sage-femme est autorisée à réaliser les examens cliniques et techniques prescrits par un médecin en cas de pathologie maternelle ou foetale identifiée ".

9. Il résulte des dispositions du code de la santé publique citées au point précédent que les sages-femmes ne peuvent poser elles-mêmes le diagnostic d'une pathologie maternelle ou foetale pendant la grossesse mais doivent faire appel à un médecin dans un tel cas. Or, les échographies à visée diagnostique ont vocation à permettre de poser le diagnostic d'une pathologie susceptible d'affecter la mère ou le foetus pendant la grossesse. Par suite, les paragraphes C. I. 1, D. I. et E. II. de l'annexe de l'arrêté attaqué, qui contrairement à ce que soutient l'organisation syndicale requérante, ne réservent pas aux seuls médecins la réalisation des échographies du foetus mais seulement celle des échographies à visée diagnostique, dont le point D.I indique d'ailleurs qu'elles doivent être réalisées par des médecins très expérimentés, dans les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal qui ont vocation à intervenir en cas de risque avéré que l'embryon ou le foetus présente une affection, ne méconnaissent pas les articles L. 2131-1 et L. 4151-1 du code de la santé publique. Pour les mêmes raisons, l'organisation syndicale requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que ces dispositions méconnaîtraient un " principe d'égalité " entre sages-femmes et médecins.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par l'organisation nationale syndicale des sages-femmes doivent être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'organisation nationale syndicale des sages-femmes est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'organisation nationale syndicale des sages-femmes et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré à l'issue de la séance du 4 septembre 2025 où siégeaient : M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat, présidant ; M. Edouard Geffray, conseiller d'Etat et Mme Isabelle Tison, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 30 septembre 2025.


Le président :
Signé : M. Jean-Luc Nevache
La rapporteure :
Signé : Mme Isabelle Tison
La secrétaire :
Signé : Mme Paule Troly