Conseil d'État
N° 489962
ECLI:FR:CECHR:2025:489962.20251016
Inédit au recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
Mme Ariane Piana-Rogez , rapporteure
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats
Lecture du jeudi 16 octobre 2025
Vu la procédure suivante :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 150 000 euros en réparation des préjudices résultant de la contamination de son père, M. C... D..., par le virus SARS-CoV2. Par un jugement n° 2115329 du 28 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 22PA03879 du 6 octobre 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par Mme B... contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 6 décembre 2023, 6 mars 2024 et 19 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code de la défense ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. C... D..., âgé de quatre-vingt-treize ans et vivant à son domicile, a été hospitalisé le 31 mars 2020 à l'hôpital Saint-Antoine à Paris pour une " suspicion d'infection à covid-19 ". Il y est décédé le 6 avril 2020 des suites d'une détresse respiratoire sur pneumonie à covid-19. Sa fille, Mme A... B..., a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 150 000 euros, en réparation des préjudices résultant de la contamination de son père par le virus SARS-CoV2, responsable de cette maladie. Par un jugement du 28 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par un arrêt du 6 octobre 2023 contre lequel elle se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par Mme B... contre ce jugement.
Sur le cadre juridique :
2. Aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation " garantit à tous (...) la protection de la santé ". Aux termes de l'article L. 1411-1 du code de la santé publique : " La Nation définit sa politique de santé afin de garantir le droit à la protection de la santé de chacun. / La politique de santé relève de la responsabilité de l'Etat. (...) / La politique de santé comprend : / (...) 7° La préparation et la réponse aux alertes et aux crises sanitaires (...) ". Aux termes de l'article L. 1142-8 du code de la défense : " Le ministre chargé de la santé est responsable de l'organisation et de la préparation du système de santé et des moyens sanitaires nécessaires à la connaissance des menaces sanitaires graves, à leur prévention, à la protection de la population contre ces dernières, ainsi qu'à la prise en charge des victimes. / Il contribue à la planification interministérielle en matière de défense et de sécurité nationale en ce qui concerne son volet sanitaire ". En vertu du 2° de l'article L. 1411-1 du code de la santé publique, le Haut Conseil de la santé publique a notamment pour missions de " fournir aux pouvoirs publics, en liaison avec les agences sanitaires et la Haute Autorité de santé, l'expertise nécessaire à la gestion des risques sanitaires ainsi qu'à la conception et à l'évaluation des politiques et stratégies de prévention et de sécurité sanitaire ". En vertu de l'article L. 1413-1 du même code, l'Agence nationale de santé publique, établissement public de l'Etat à caractère administratif, placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé et que l'article R. 1413-1 autorise à employer l'appellation " Santé Publique France ", a pour missions " (...) 2° La veille sur les risques sanitaires menaçant les populations ; (...) / 5° La préparation et la réponse aux menaces, alertes et crises sanitaires ; / 6° Le lancement de l'alerte sanitaire. / (...) Elle assure, pour le compte de l'Etat, la gestion administrative, financière et logistique de la réserve sanitaire et de stocks de produits, équipements et matériels ainsi que de services nécessaires à la protection des populations face aux menaces sanitaires graves (...) ".
3. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions qu'il incombe à l'Etat, conformément à l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, d'une part, d'assurer une veille sur les risques sanitaires graves susceptibles de menacer la population et, afin de prévenir et limiter les effets sur la santé des différentes menaces possibles, de définir, en l'état des connaissances et au regard des moyens dont il dispose ou auxquels il peut faire appel, les mesures destinées à s'y préparer, d'autre part, en cas d'alerte ou de crise sanitaire, de prendre les mesures appropriées aux circonstances de temps et de lieux pour la protection de la population et la prise en charge des victimes.
4. Une faute commise dans la mise en oeuvre par l'Etat de sa mission de préparation ou de réponse aux alertes et crises sanitaires est de nature à engager sa responsabilité s'il en résulte pour celui qui s'en plaint un préjudice direct et certain. Dans le cas d'une crise sanitaire liée à l'émergence d'un agent pathogène contagieux, le préjudice susceptible de résulter directement d'une faute commise par l'Etat dans la mise en oeuvre de cette mission est la contamination par cet agent pathogène.
Sur le pourvoi :
5. En premier lieu, s'agissant de la gestion de la pénurie de masques, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, d'une part, que des mesures ont été prises dès le mois de février 2020 pour renforcer la production nationale de masques, que des commandes massives ont été passées à l'étranger en vue d'importations depuis les principaux pays fournisseurs, les commandes au 30 mars 2020 s'élevant à 1,5 milliards de masques anti-projections, dits chirurgicaux, et 503 millions de masques de protection respiratoire individuelle, de type FFP2, et que ces commandes ont été complétées par la réquisition, entre le 3 mars et le 31 mai 2020, des masques disponibles auprès des personnes morales de droit public et privé, et, d'autre part, que la décision d'assurer en priorité, dans un contexte de forte tension sur le marché international, la fourniture des masques commandés ou réquisitionnés aux personnels soignants et aux patients était conforme aux recommandations du Haut conseil de la santé publique dans un avis du 10 mars 2020. En en déduisant que l'Etat n'avait pas commis de faute dans la gestion de la pénurie de masques, la cour, qui n'a pas entaché son arrêt de contradiction de motifs en jugeant par ailleurs que l'Etat avait commis une faute, distincte, en s'abstenant de maintenir à un niveau suffisant un stock de masques permettant de lutter contre une pandémie liée à un agent respiratoire hautement pathogène, n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.
6. En deuxième lieu, s'agissant de la stratégie de dépistage, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, d'une part, que l'Institut Pasteur, centre national de référence saisi par Santé Publique France, avait mis au point un test de dépistage utilisant la technique " RT-PCR " dès le 22 janvier 2020 et que cette technique avait, dans un premier temps, été déployée auprès des établissements de santé de référence, puis, dans un deuxième temps, étendue aux laboratoires hospitaliers de deuxième ligne et, d'autre part, que, compte tenu des difficultés d'approvisionnement en réactifs, la stratégie de dépistage avait consisté, dans un premier temps, conformément aux recommandations du Haut Conseil de la santé publique, dans son avis provisoire du 10 mars 2020, du centre européen de prévention et de contrôle des maladies, dans son évaluation rapide des risques du 12 mars 2020, de la Commission européenne, dans ses recommandations du 18 mars 2020 et de l'Organisation mondiale de la santé, dans ses recommandations du 21 mars 2020, à cibler les personnes à risque. En en déduisant que l'Etat n'avait pas commis de faute dans l'anticipation et la montée en charge de la capacité de tests et dans le choix de ne pas procéder, dès mars 2020, au dépistage de toutes les personnes présentant des symptômes de la maladie dite covid-19, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.
7. En troisième lieu, s'agissant de la décision de confiner la population à compter du 16 mars 2020, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a d'abord constaté que la propagation du virus sur le territoire national avait conduit le ministre des solidarités et de la santé, sur le fondement de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion, telles que l'interdiction, par deux arrêtés des 4 et 9 mars 2020, des rassemblements de plus de 5 000 puis de 1 000 personnes, puis, par un arrêté du 14 mars 2020, la fermeture d'un grand nombre d'établissements recevant du public, l'interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes et la suspension de l'accueil des enfants, élèves et étudiants dans les établissements les recevant. La cour a ensuite relevé que si le Premier ministre pouvait, avant l'entrée en vigueur de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, en vertu de ses pouvoirs propres, édicter des mesures de police applicables à l'ensemble du territoire, en particulier en cas d'épidémie, ainsi qu'il l'avait fait par le décret du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19, il ne résultait pas de l'instruction que la situation constatée en France avant le 16 mars 2020, au regard du nombre de contaminations et du nombre de patients pris en charge par les établissements de santé, ait rendu nécessaire de prendre une mesure aussi restrictive de la liberté d'aller et venir, afin de prévenir la propagation du virus, la circonstance que l'Organisation mondiale de la santé ait déclaré le 30 janvier 2020 l'existence d'une urgence de santé publique de portée internationale ne pouvant justifier, à elle seule, la mise en oeuvre d'une telle mesure. En déduisant de ces différentes constatations que l'Etat n'avait pas commis de faute en ne décidant pas le confinement généralisé de la population dès le 30 janvier 2020, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.
8. En quatrième lieu, s'agissant du préjudice, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour rejeter l'appel de Mme B..., la cour, après avoir retenu une faute de l'Etat à s'être abstenu de maintenir un stock de masques à un niveau suffisant et à avoir communiqué au début de l'épidémie sur l'inutilité du port du masque en population générale pour lutter contre le virus, a jugé qu'eu égard à la multiplicité des sources de contamination possibles et à l'impossibilité de rapporter la preuve certaine de l'origine de la contamination par le virus, ces fautes ne pouvaient être regardées comme étant directement à l'origine de la contamination d'un individu donné mais que le préjudice qui en résultait directement, pour les personnes établissant avoir été particulièrement exposées au virus, notamment du fait de leur profession, n'était pas la contamination mais la perte de chance d'échapper à cette contamination. Après avoir estimé que les conditions d'existence de M. D..., personne âgée vivant seule à son domicile, ne l'exposaient pas particulièrement à un risque de contamination par le virus, la cour a jugé que Mme B... ne pouvait se prévaloir d'une perte de chance, pour son père, d'éviter la contamination par le virus.
9. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que le préjudice susceptible de résulter directement d'une éventuelle faute commise dans la mise en oeuvre par l'Etat de sa mission de préparation ou de réponse aux alertes et crises sanitaires n'est pas la perte de chance d'échapper à la contamination par le virus SARS-CoV2 mais cette contamination elle-même. Ce motif, qui n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, justifie sur ce point le dispositif de l'arrêt attaqué dès lors que la cour a jugé, sans que son arrêt soit contesté sur ce point, que les fautes qu'elle a estimé avoir été commises par l'Etat ne pouvaient être regardées comme étant directement à l'origine de la contamination d'un individu donné par le virus. Il y a lieu de le substituer aux motifs retenus par l'arrêt attaqué, à l'encontre desquels les moyens soulevés par la requérante sont donc inopérants.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de Mme B... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et à la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées.
Délibéré à l'issue de la séance du 24 septembre 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Édouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, M. Vincent Mahé, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Ariane Piana-Rogez, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 16 octobre 2025.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Ariane Piana-Rogez
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber
N° 489962
ECLI:FR:CECHR:2025:489962.20251016
Inédit au recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
Mme Ariane Piana-Rogez , rapporteure
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats
Lecture du jeudi 16 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 150 000 euros en réparation des préjudices résultant de la contamination de son père, M. C... D..., par le virus SARS-CoV2. Par un jugement n° 2115329 du 28 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 22PA03879 du 6 octobre 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par Mme B... contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 6 décembre 2023, 6 mars 2024 et 19 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code de la défense ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ariane Piana-Rogez, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de Mme B... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. C... D..., âgé de quatre-vingt-treize ans et vivant à son domicile, a été hospitalisé le 31 mars 2020 à l'hôpital Saint-Antoine à Paris pour une " suspicion d'infection à covid-19 ". Il y est décédé le 6 avril 2020 des suites d'une détresse respiratoire sur pneumonie à covid-19. Sa fille, Mme A... B..., a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à lui verser la somme de 150 000 euros, en réparation des préjudices résultant de la contamination de son père par le virus SARS-CoV2, responsable de cette maladie. Par un jugement du 28 juin 2022, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par un arrêt du 6 octobre 2023 contre lequel elle se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par Mme B... contre ce jugement.
Sur le cadre juridique :
2. Aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation " garantit à tous (...) la protection de la santé ". Aux termes de l'article L. 1411-1 du code de la santé publique : " La Nation définit sa politique de santé afin de garantir le droit à la protection de la santé de chacun. / La politique de santé relève de la responsabilité de l'Etat. (...) / La politique de santé comprend : / (...) 7° La préparation et la réponse aux alertes et aux crises sanitaires (...) ". Aux termes de l'article L. 1142-8 du code de la défense : " Le ministre chargé de la santé est responsable de l'organisation et de la préparation du système de santé et des moyens sanitaires nécessaires à la connaissance des menaces sanitaires graves, à leur prévention, à la protection de la population contre ces dernières, ainsi qu'à la prise en charge des victimes. / Il contribue à la planification interministérielle en matière de défense et de sécurité nationale en ce qui concerne son volet sanitaire ". En vertu du 2° de l'article L. 1411-1 du code de la santé publique, le Haut Conseil de la santé publique a notamment pour missions de " fournir aux pouvoirs publics, en liaison avec les agences sanitaires et la Haute Autorité de santé, l'expertise nécessaire à la gestion des risques sanitaires ainsi qu'à la conception et à l'évaluation des politiques et stratégies de prévention et de sécurité sanitaire ". En vertu de l'article L. 1413-1 du même code, l'Agence nationale de santé publique, établissement public de l'Etat à caractère administratif, placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé et que l'article R. 1413-1 autorise à employer l'appellation " Santé Publique France ", a pour missions " (...) 2° La veille sur les risques sanitaires menaçant les populations ; (...) / 5° La préparation et la réponse aux menaces, alertes et crises sanitaires ; / 6° Le lancement de l'alerte sanitaire. / (...) Elle assure, pour le compte de l'Etat, la gestion administrative, financière et logistique de la réserve sanitaire et de stocks de produits, équipements et matériels ainsi que de services nécessaires à la protection des populations face aux menaces sanitaires graves (...) ".
3. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions qu'il incombe à l'Etat, conformément à l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, d'une part, d'assurer une veille sur les risques sanitaires graves susceptibles de menacer la population et, afin de prévenir et limiter les effets sur la santé des différentes menaces possibles, de définir, en l'état des connaissances et au regard des moyens dont il dispose ou auxquels il peut faire appel, les mesures destinées à s'y préparer, d'autre part, en cas d'alerte ou de crise sanitaire, de prendre les mesures appropriées aux circonstances de temps et de lieux pour la protection de la population et la prise en charge des victimes.
4. Une faute commise dans la mise en oeuvre par l'Etat de sa mission de préparation ou de réponse aux alertes et crises sanitaires est de nature à engager sa responsabilité s'il en résulte pour celui qui s'en plaint un préjudice direct et certain. Dans le cas d'une crise sanitaire liée à l'émergence d'un agent pathogène contagieux, le préjudice susceptible de résulter directement d'une faute commise par l'Etat dans la mise en oeuvre de cette mission est la contamination par cet agent pathogène.
Sur le pourvoi :
5. En premier lieu, s'agissant de la gestion de la pénurie de masques, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, d'une part, que des mesures ont été prises dès le mois de février 2020 pour renforcer la production nationale de masques, que des commandes massives ont été passées à l'étranger en vue d'importations depuis les principaux pays fournisseurs, les commandes au 30 mars 2020 s'élevant à 1,5 milliards de masques anti-projections, dits chirurgicaux, et 503 millions de masques de protection respiratoire individuelle, de type FFP2, et que ces commandes ont été complétées par la réquisition, entre le 3 mars et le 31 mai 2020, des masques disponibles auprès des personnes morales de droit public et privé, et, d'autre part, que la décision d'assurer en priorité, dans un contexte de forte tension sur le marché international, la fourniture des masques commandés ou réquisitionnés aux personnels soignants et aux patients était conforme aux recommandations du Haut conseil de la santé publique dans un avis du 10 mars 2020. En en déduisant que l'Etat n'avait pas commis de faute dans la gestion de la pénurie de masques, la cour, qui n'a pas entaché son arrêt de contradiction de motifs en jugeant par ailleurs que l'Etat avait commis une faute, distincte, en s'abstenant de maintenir à un niveau suffisant un stock de masques permettant de lutter contre une pandémie liée à un agent respiratoire hautement pathogène, n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.
6. En deuxième lieu, s'agissant de la stratégie de dépistage, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, d'une part, que l'Institut Pasteur, centre national de référence saisi par Santé Publique France, avait mis au point un test de dépistage utilisant la technique " RT-PCR " dès le 22 janvier 2020 et que cette technique avait, dans un premier temps, été déployée auprès des établissements de santé de référence, puis, dans un deuxième temps, étendue aux laboratoires hospitaliers de deuxième ligne et, d'autre part, que, compte tenu des difficultés d'approvisionnement en réactifs, la stratégie de dépistage avait consisté, dans un premier temps, conformément aux recommandations du Haut Conseil de la santé publique, dans son avis provisoire du 10 mars 2020, du centre européen de prévention et de contrôle des maladies, dans son évaluation rapide des risques du 12 mars 2020, de la Commission européenne, dans ses recommandations du 18 mars 2020 et de l'Organisation mondiale de la santé, dans ses recommandations du 21 mars 2020, à cibler les personnes à risque. En en déduisant que l'Etat n'avait pas commis de faute dans l'anticipation et la montée en charge de la capacité de tests et dans le choix de ne pas procéder, dès mars 2020, au dépistage de toutes les personnes présentant des symptômes de la maladie dite covid-19, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.
7. En troisième lieu, s'agissant de la décision de confiner la population à compter du 16 mars 2020, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a d'abord constaté que la propagation du virus sur le territoire national avait conduit le ministre des solidarités et de la santé, sur le fondement de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique, à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion, telles que l'interdiction, par deux arrêtés des 4 et 9 mars 2020, des rassemblements de plus de 5 000 puis de 1 000 personnes, puis, par un arrêté du 14 mars 2020, la fermeture d'un grand nombre d'établissements recevant du public, l'interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes et la suspension de l'accueil des enfants, élèves et étudiants dans les établissements les recevant. La cour a ensuite relevé que si le Premier ministre pouvait, avant l'entrée en vigueur de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, en vertu de ses pouvoirs propres, édicter des mesures de police applicables à l'ensemble du territoire, en particulier en cas d'épidémie, ainsi qu'il l'avait fait par le décret du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19, il ne résultait pas de l'instruction que la situation constatée en France avant le 16 mars 2020, au regard du nombre de contaminations et du nombre de patients pris en charge par les établissements de santé, ait rendu nécessaire de prendre une mesure aussi restrictive de la liberté d'aller et venir, afin de prévenir la propagation du virus, la circonstance que l'Organisation mondiale de la santé ait déclaré le 30 janvier 2020 l'existence d'une urgence de santé publique de portée internationale ne pouvant justifier, à elle seule, la mise en oeuvre d'une telle mesure. En déduisant de ces différentes constatations que l'Etat n'avait pas commis de faute en ne décidant pas le confinement généralisé de la population dès le 30 janvier 2020, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.
8. En quatrième lieu, s'agissant du préjudice, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour rejeter l'appel de Mme B..., la cour, après avoir retenu une faute de l'Etat à s'être abstenu de maintenir un stock de masques à un niveau suffisant et à avoir communiqué au début de l'épidémie sur l'inutilité du port du masque en population générale pour lutter contre le virus, a jugé qu'eu égard à la multiplicité des sources de contamination possibles et à l'impossibilité de rapporter la preuve certaine de l'origine de la contamination par le virus, ces fautes ne pouvaient être regardées comme étant directement à l'origine de la contamination d'un individu donné mais que le préjudice qui en résultait directement, pour les personnes établissant avoir été particulièrement exposées au virus, notamment du fait de leur profession, n'était pas la contamination mais la perte de chance d'échapper à cette contamination. Après avoir estimé que les conditions d'existence de M. D..., personne âgée vivant seule à son domicile, ne l'exposaient pas particulièrement à un risque de contamination par le virus, la cour a jugé que Mme B... ne pouvait se prévaloir d'une perte de chance, pour son père, d'éviter la contamination par le virus.
9. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que le préjudice susceptible de résulter directement d'une éventuelle faute commise dans la mise en oeuvre par l'Etat de sa mission de préparation ou de réponse aux alertes et crises sanitaires n'est pas la perte de chance d'échapper à la contamination par le virus SARS-CoV2 mais cette contamination elle-même. Ce motif, qui n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, justifie sur ce point le dispositif de l'arrêt attaqué dès lors que la cour a jugé, sans que son arrêt soit contesté sur ce point, que les fautes qu'elle a estimé avoir été commises par l'Etat ne pouvaient être regardées comme étant directement à l'origine de la contamination d'un individu donné par le virus. Il y a lieu de le substituer aux motifs retenus par l'arrêt attaqué, à l'encontre desquels les moyens soulevés par la requérante sont donc inopérants.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de Mme B... est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et à la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées.
Délibéré à l'issue de la séance du 24 septembre 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Édouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, M. Vincent Mahé, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Ariane Piana-Rogez, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 16 octobre 2025.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
La rapporteure :
Signé : Mme Ariane Piana-Rogez
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber