Conseil d'État
N° 505354
ECLI:FR:CECHR:2025:505354.20251121
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Emile Blondet, rapporteur
CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocats
Lecture du vendredi 21 novembre 2025
Vu la procédure suivante :
Par une requête et quatre mémoires en réplique, enregistrés les 18 juin, 28 juillet, 16 septembre, 19 septembre et 30 octobre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur sa demande du 5 mars 2025 tendant au retrait du paragraphe n° 90 des commentaires administratifs publiés le 22 juin 2022 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-BIC-PVMV-40-20-30-20 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Emile Blondet, auditeur,
- les conclusions de M. Charles-Emmanuel Airy, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 5 novembre 2025, présentée par M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 151 octies du code général des impôts : " I. Les plus-values soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 quindecies et réalisées par une personne physique à l'occasion de l'apport à une société soumise à un régime réel d'imposition d'une entreprise individuelle ou d'une branche complète d'activité peuvent bénéficier des dispositions suivantes : / a. L'imposition des plus-values afférentes aux immobilisations non amortissables fait l'objet d'un report jusqu'à la date de la cession, du rachat ou de l'annulation des droits sociaux reçus en rémunération de l'apport de l'entreprise ou jusqu'à la cession de ces immobilisations par la société si elle est antérieure. (...) ". Aux termes de l'article 39 duodecies du même code : " 1. Par dérogation aux dispositions de l'article 38, les plus-values provenant de la cession d'éléments de l'actif immobilisé sont soumises à des régimes distincts suivant qu'elles sont réalisées à court ou à long terme. (...) ". Aux termes des deuxièmes alinéas des articles 39 quaterdecies et 39 quindecies du même code, relatifs à la détermination du montant net des plus-values professionnelles de court et de long terme, celui-ci s'entend de l'excédent de ces plus-values sur les moins-values de même nature respectivement " subies " ou " constatées " au cours du même exercice. Par ailleurs, l'article 150-0 A du même code dispose que " I. - 1. Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement, par personne interposée ou par l'intermédiaire d'une fiducie, de valeurs mobilières, de droits sociaux (...), de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu (...) ". Aux termes de l'article 150-0 D du même code : " 1. Les gains nets mentionnés au I de l'article 150-0 A sont constitués par la différence entre le prix effectif de cession des titres ou droits, net des frais et taxes acquittés par le cédant, et leur prix effectif d'acquisition par celui-ci (...) / 11. Les moins-values subies au cours d'une année sont imputées exclusivement sur les plus-values de même nature, retenues pour leur montant brut avant application, le cas échéant, des abattements mentionnés aux 1 ter ou 1 quater du présent article ou à l'article 150-0 D ter, imposables au titre de la même année / En cas de solde positif, les plus-values subsistantes sont réduites, le cas échéant, des moins-values de même nature subies au titre des années antérieures jusqu'à la dixième inclusivement, puis des abattements mentionnés au premier alinéa du présent 11. / En cas de solde négatif, l'excédent de moins-values mentionnées au même premier alinéa non imputé est reporté et est imputé dans les mêmes conditions au titre des années suivantes jusqu'à la dixième inclusivement. (...) ".
2. Il résulte, d'une part, des dispositions précitées des articles 39 quaterdecies et 39 quindecies du code général des impôts que, lorsqu'un contribuable réalise une moins-value à l'occasion de la cession des parts d'une société de personnes à laquelle il avait apporté une entreprise individuelle dans des conditions lui permettant de bénéficier du régime de report d'imposition de la plus-value d'apport prévu par l'article 151 octies du code général des impôts, et que cette moins-value relève elle-même du régime des moins-values professionnelles de court ou de long terme, cette moins-value est imputable sur la plus-value professionnelle respectivement de court ou de long terme qui avait été constatée à l'occasion de l'apport de cette entreprise individuelle et dont le report d'imposition a pris fin du fait de la cession de ces parts. Il résulte, d'autre part, des dispositions précitées de l'article 150-0 D du code général des impôts que, lorsqu'un contribuable réalise une moins-value lors de la cession des titres d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés qu'il avait reçus en contrepartie de l'apport à cette société d'une entreprise individuelle, cette moins-value, qui relève du régime des plus-values des particuliers défini aux articles 150-0 A et suivants de ce code, ne peut, faute d'être de même nature que la plus-value, placée en report, qu'il avait constatée à l'occasion de cet apport et qui relève du régime des plus-values professionnelles, être imputée sur cette dernière.
3. Faisant état des termes de la réponse ministérielle, publiée au Journal officiel des débats de l'Assemblée nationale le 5 juillet 2011, apportée à la question écrite n° 81949 de M. C... A..., député, le quatrième alinéa du paragraphe n° 90 des commentaires administratifs publiés le 22 juin 2022 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-BIC-PVMV-40-20-30-20 et portant sur l'application des dispositions de l'article 151 octies du code général des impôts, énonce que, par cette réponse : " il a été admis qu'en cas d'apport d'une entreprise individuelle à une société de personnes soumise à l'impôt sur le revenu, la plus-value d'apport dont l'imposition a été placée en report et devenant imposable lors de la cession des titres puisse se compenser avec la moins-value réalisée lors de la cession des titres, dans la mesure où cette dernière relève également du régime des plus-values professionnelles. En revanche, tel n'est pas le cas lorsque l'apport de l'entreprise individuelle a été effectué à une société soumise à l'impôt sur les sociétés. Dans cette situation, la plus-value d'apport dont l'imposition est reportée relève du régime des plus-values professionnelles alors que la plus ou moins-value de cession relève du régime des plus-values des particuliers. Cette différence de nature fiscale entre plus-values et moins-values ne permet pas l'imputation de l'éventuelle moins-value réalisée lors de la cession des titres de la société soumise à l'impôt sur les sociétés sur la plus-value d'apport professionnelle dont l'imposition est placée en report, puisque chaque catégorie de revenu est déterminée selon des règles d'assiette qui lui sont propres. (...) ".
4. Eu égard à l'argumentation qu'il soulève, M. B... doit être regardé comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur sa demande tendant à l'abrogation des deuxième à quatrième phrases du quatrième alinéa, cité au point 3, du paragraphe n° 90 de ces commentaires.
5. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 2 qu'en énonçant que la moins-value née de la cession de titres d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés à laquelle avait été apportée une entreprise individuelle, qui relève du régime des plus-values des particuliers, n'est pas imputable sur la plus-value qui avait été réalisée à l'occasion de cet apport et placée en report d'imposition en application des dispositions de l'article 151 octies du code général des impôts, laquelle relève du régime des plus-values professionnelles, les commentaires administratifs contestés exposent, sans la méconnaître, la portée des dispositions précitées du 11 de l'article 150-0 D du code général des impôts, auxquelles l'article 151 octies du même code n'a ni pour objet ni pour effet de déroger. Par suite, les moyens tirés de ce que ces commentaires méconnaitraient les dispositions ou la finalité de ce dernier article ne peuvent qu'être écartés.
6. En deuxième lieu, M. B... soutient qu'en énonçant qu'en cas d'apport d'une entreprise individuelle à une société soumise à l'impôt sur les sociétés, la plus-value résultant de cet apport, dont l'imposition a été placée en report en application de l'article 151 octies du code général des impôts, ne peut être minorée par imputation de la moins-value réalisée ultérieurement lors de la cession des titres reçus en contrepartie de cet apport, tout en autorisant une telle imputation dans d'autres cas d'apports, les commentaires administratifs attaqués réitèreraient des dispositions législatives instaurant une discrimination contraire aux stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.
7. Toutefois, le régime des plus-values et moins-values professionnelles des articles 39 duodecies et suivants du code général des impôts s'applique aux plus-values et moins-values provenant de la cession d'éléments de l'actif immobilisé utilisés pour les besoins de l'activité professionnelle qu'exercent des contribuables imposés à l'impôt sur le revenu sur les bénéfices tirés de celle-ci, lorsqu'elle est individuelle, ou, lorsqu'elle est exercée dans le cadre d'une société relevant de l'article 8 du code général des impôts, sur leur quote-part des bénéfices de cette société, dans laquelle ils assument par ailleurs, en règle générale, eu égard aux spécificités des sociétés de personnes, une responsabilité illimitée au regard des pertes sociales. Le régime des plus-values et moins-values des particuliers s'applique, quant à lui, aux plus-values et moins-values de cession de valeurs mobilières ou de droits sociaux réalisées par les personnes physiques dans le cadre de la gestion de leur patrimoine privé, notamment aux plus-values et moins-values réalisées par des personnes physiques lors de la cession de titres de sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés, dont les bénéfices ne sont, du fait de ce régime fiscal, pas imposés entre les mains de ces personnes. Ces deux régimes présentent ainsi, au regard de l'économie générale du système fiscal français et des conditions dans lesquelles sont déployées et imposées les activités à l'origine de ces différentes plus-values ou moins-values, des différences de nature, se traduisant notamment par l'application de règles d'assiette distinctes.
8. Dès lors, les contribuables ayant fait le choix d'apporter leur entreprise individuelle à une société soumise à l'impôt sur les sociétés ne sont pas, pour ce qui concerne la faculté d'imputer sur la plus-value professionnelle résultant de cet apport l'éventuelle moins-value, relevant des articles 150-0 A et suivants du code général des impôts, réalisée lors de la cession ultérieure des titres reçus en contrepartie de celui-ci, dans une situation comparable à celle de contribuables qui, ayant décidé d'apporter une entreprise individuelle à une société soumise au régime fiscal des sociétés de personnes dans le cadre de laquelle ils ont continué d'exercer leur activité professionnelle, n'ont enregistré que des plus-values ou moins professionnelles, et ne se trouvent pas davantage dans une situation comparable à celle de contribuables qui, ayant apporté des titres d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés à une autre société soumise à ce même impôt, n'ont enregistré que des plus-values ou moins-values relevant des articles 150-0 A et suivants du code général des impôts. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que les dispositions législatives que les commentaires attaqués réitèrent instaureraient une discrimination contraire aux stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.
9. En troisième lieu, il résulte des termes mêmes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que le droit au respect de ses biens reconnu à toute personne physique ou morale ne porte pas atteinte au droit de chaque Etat partie à ce protocole additionnel de mettre en oeuvre les lois qu'il juge nécessaires pour assurer le paiement des impôts et taxes. L'imposition ou taxation d'une personne ne saurait être regardée comme portant par elle-même atteinte au respect des biens au sens de l'article 1er de ce protocole. Toutefois, l'obligation financière née du prélèvement d'un impôt ou d'une taxe peut porter une telle atteinte si elle revêt un caractère confiscatoire ou si elle impose une charge manifestement disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi.
10. Contrairement à ce que soutient M. B..., la seule circonstance qu'un contribuable qui constate, à raison de la cession de titres d'une société, une moins-value relevant du régime des articles 150-0 A et suivants du code général des impôts ne puisse imputer cette moins-value que sur des plus-values relevant du même régime des plus-values des particuliers et non sur la plus-value professionnelle qu'il avait constatée antérieurement, à raison de l'apport à cette société d'une entreprise individuelle, et dont il lui avait été permis, pour en faciliter le paiement, de reporter l'imposition jusqu'à la cession des titres reçus en rémunération de cet apport, ne saurait suffire à faire regarder comme revêtant un caractère confiscatoire l'imposition correspondante, assise sur une plus-value effectivement réalisée par le contribuable et définitivement constatée, selon la législation alors en vigueur, à l'occasion de la mutation qu'a constituée l'apport. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, par suite, être écarté. Au demeurant, le 11 de l'article 150-0 D du code général des impôts prévoit que l'excédent de moins-values non imputé peut être reporté et imputé au titre des années suivantes jusqu'à la dixième inclusivement sur une plus-value relevant du même régime.
11. En dernier lieu, la conformité de dispositions législatives à des principes ou dispositions constitutionnels ne saurait être contestée devant le Conseil d'Etat, statuant au contentieux en dehors de la procédure prévue à l'article 61-1 de la Constitution. Par suite, M. B... ne saurait utilement se prévaloir, sans soulever une question prioritaire de constitutionnalité, d'une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques par les commentaires administratifs en cause, qui ne font, comme il a été dit ci-dessus, qu'exposer, sans la méconnaître, la portée des dispositions législatives qu'ils commentent.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. B... doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. D... B..., et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique et à la ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 novembre 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et M. Emile Blondet, auditeur-rapporteur.
Rendu le 21 novembre 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Emile Blondet
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle
N° 505354
ECLI:FR:CECHR:2025:505354.20251121
Inédit au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Emile Blondet, rapporteur
CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocats
Lecture du vendredi 21 novembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et quatre mémoires en réplique, enregistrés les 18 juin, 28 juillet, 16 septembre, 19 septembre et 30 octobre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur sa demande du 5 mars 2025 tendant au retrait du paragraphe n° 90 des commentaires administratifs publiés le 22 juin 2022 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-BIC-PVMV-40-20-30-20 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Emile Blondet, auditeur,
- les conclusions de M. Charles-Emmanuel Airy, rapporteur public ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 5 novembre 2025, présentée par M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 151 octies du code général des impôts : " I. Les plus-values soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 quindecies et réalisées par une personne physique à l'occasion de l'apport à une société soumise à un régime réel d'imposition d'une entreprise individuelle ou d'une branche complète d'activité peuvent bénéficier des dispositions suivantes : / a. L'imposition des plus-values afférentes aux immobilisations non amortissables fait l'objet d'un report jusqu'à la date de la cession, du rachat ou de l'annulation des droits sociaux reçus en rémunération de l'apport de l'entreprise ou jusqu'à la cession de ces immobilisations par la société si elle est antérieure. (...) ". Aux termes de l'article 39 duodecies du même code : " 1. Par dérogation aux dispositions de l'article 38, les plus-values provenant de la cession d'éléments de l'actif immobilisé sont soumises à des régimes distincts suivant qu'elles sont réalisées à court ou à long terme. (...) ". Aux termes des deuxièmes alinéas des articles 39 quaterdecies et 39 quindecies du même code, relatifs à la détermination du montant net des plus-values professionnelles de court et de long terme, celui-ci s'entend de l'excédent de ces plus-values sur les moins-values de même nature respectivement " subies " ou " constatées " au cours du même exercice. Par ailleurs, l'article 150-0 A du même code dispose que " I. - 1. Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement, par personne interposée ou par l'intermédiaire d'une fiducie, de valeurs mobilières, de droits sociaux (...), de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu (...) ". Aux termes de l'article 150-0 D du même code : " 1. Les gains nets mentionnés au I de l'article 150-0 A sont constitués par la différence entre le prix effectif de cession des titres ou droits, net des frais et taxes acquittés par le cédant, et leur prix effectif d'acquisition par celui-ci (...) / 11. Les moins-values subies au cours d'une année sont imputées exclusivement sur les plus-values de même nature, retenues pour leur montant brut avant application, le cas échéant, des abattements mentionnés aux 1 ter ou 1 quater du présent article ou à l'article 150-0 D ter, imposables au titre de la même année / En cas de solde positif, les plus-values subsistantes sont réduites, le cas échéant, des moins-values de même nature subies au titre des années antérieures jusqu'à la dixième inclusivement, puis des abattements mentionnés au premier alinéa du présent 11. / En cas de solde négatif, l'excédent de moins-values mentionnées au même premier alinéa non imputé est reporté et est imputé dans les mêmes conditions au titre des années suivantes jusqu'à la dixième inclusivement. (...) ".
2. Il résulte, d'une part, des dispositions précitées des articles 39 quaterdecies et 39 quindecies du code général des impôts que, lorsqu'un contribuable réalise une moins-value à l'occasion de la cession des parts d'une société de personnes à laquelle il avait apporté une entreprise individuelle dans des conditions lui permettant de bénéficier du régime de report d'imposition de la plus-value d'apport prévu par l'article 151 octies du code général des impôts, et que cette moins-value relève elle-même du régime des moins-values professionnelles de court ou de long terme, cette moins-value est imputable sur la plus-value professionnelle respectivement de court ou de long terme qui avait été constatée à l'occasion de l'apport de cette entreprise individuelle et dont le report d'imposition a pris fin du fait de la cession de ces parts. Il résulte, d'autre part, des dispositions précitées de l'article 150-0 D du code général des impôts que, lorsqu'un contribuable réalise une moins-value lors de la cession des titres d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés qu'il avait reçus en contrepartie de l'apport à cette société d'une entreprise individuelle, cette moins-value, qui relève du régime des plus-values des particuliers défini aux articles 150-0 A et suivants de ce code, ne peut, faute d'être de même nature que la plus-value, placée en report, qu'il avait constatée à l'occasion de cet apport et qui relève du régime des plus-values professionnelles, être imputée sur cette dernière.
3. Faisant état des termes de la réponse ministérielle, publiée au Journal officiel des débats de l'Assemblée nationale le 5 juillet 2011, apportée à la question écrite n° 81949 de M. C... A..., député, le quatrième alinéa du paragraphe n° 90 des commentaires administratifs publiés le 22 juin 2022 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-BIC-PVMV-40-20-30-20 et portant sur l'application des dispositions de l'article 151 octies du code général des impôts, énonce que, par cette réponse : " il a été admis qu'en cas d'apport d'une entreprise individuelle à une société de personnes soumise à l'impôt sur le revenu, la plus-value d'apport dont l'imposition a été placée en report et devenant imposable lors de la cession des titres puisse se compenser avec la moins-value réalisée lors de la cession des titres, dans la mesure où cette dernière relève également du régime des plus-values professionnelles. En revanche, tel n'est pas le cas lorsque l'apport de l'entreprise individuelle a été effectué à une société soumise à l'impôt sur les sociétés. Dans cette situation, la plus-value d'apport dont l'imposition est reportée relève du régime des plus-values professionnelles alors que la plus ou moins-value de cession relève du régime des plus-values des particuliers. Cette différence de nature fiscale entre plus-values et moins-values ne permet pas l'imputation de l'éventuelle moins-value réalisée lors de la cession des titres de la société soumise à l'impôt sur les sociétés sur la plus-value d'apport professionnelle dont l'imposition est placée en report, puisque chaque catégorie de revenu est déterminée selon des règles d'assiette qui lui sont propres. (...) ".
4. Eu égard à l'argumentation qu'il soulève, M. B... doit être regardé comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur sa demande tendant à l'abrogation des deuxième à quatrième phrases du quatrième alinéa, cité au point 3, du paragraphe n° 90 de ces commentaires.
5. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 2 qu'en énonçant que la moins-value née de la cession de titres d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés à laquelle avait été apportée une entreprise individuelle, qui relève du régime des plus-values des particuliers, n'est pas imputable sur la plus-value qui avait été réalisée à l'occasion de cet apport et placée en report d'imposition en application des dispositions de l'article 151 octies du code général des impôts, laquelle relève du régime des plus-values professionnelles, les commentaires administratifs contestés exposent, sans la méconnaître, la portée des dispositions précitées du 11 de l'article 150-0 D du code général des impôts, auxquelles l'article 151 octies du même code n'a ni pour objet ni pour effet de déroger. Par suite, les moyens tirés de ce que ces commentaires méconnaitraient les dispositions ou la finalité de ce dernier article ne peuvent qu'être écartés.
6. En deuxième lieu, M. B... soutient qu'en énonçant qu'en cas d'apport d'une entreprise individuelle à une société soumise à l'impôt sur les sociétés, la plus-value résultant de cet apport, dont l'imposition a été placée en report en application de l'article 151 octies du code général des impôts, ne peut être minorée par imputation de la moins-value réalisée ultérieurement lors de la cession des titres reçus en contrepartie de cet apport, tout en autorisant une telle imputation dans d'autres cas d'apports, les commentaires administratifs attaqués réitèreraient des dispositions législatives instaurant une discrimination contraire aux stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.
7. Toutefois, le régime des plus-values et moins-values professionnelles des articles 39 duodecies et suivants du code général des impôts s'applique aux plus-values et moins-values provenant de la cession d'éléments de l'actif immobilisé utilisés pour les besoins de l'activité professionnelle qu'exercent des contribuables imposés à l'impôt sur le revenu sur les bénéfices tirés de celle-ci, lorsqu'elle est individuelle, ou, lorsqu'elle est exercée dans le cadre d'une société relevant de l'article 8 du code général des impôts, sur leur quote-part des bénéfices de cette société, dans laquelle ils assument par ailleurs, en règle générale, eu égard aux spécificités des sociétés de personnes, une responsabilité illimitée au regard des pertes sociales. Le régime des plus-values et moins-values des particuliers s'applique, quant à lui, aux plus-values et moins-values de cession de valeurs mobilières ou de droits sociaux réalisées par les personnes physiques dans le cadre de la gestion de leur patrimoine privé, notamment aux plus-values et moins-values réalisées par des personnes physiques lors de la cession de titres de sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés, dont les bénéfices ne sont, du fait de ce régime fiscal, pas imposés entre les mains de ces personnes. Ces deux régimes présentent ainsi, au regard de l'économie générale du système fiscal français et des conditions dans lesquelles sont déployées et imposées les activités à l'origine de ces différentes plus-values ou moins-values, des différences de nature, se traduisant notamment par l'application de règles d'assiette distinctes.
8. Dès lors, les contribuables ayant fait le choix d'apporter leur entreprise individuelle à une société soumise à l'impôt sur les sociétés ne sont pas, pour ce qui concerne la faculté d'imputer sur la plus-value professionnelle résultant de cet apport l'éventuelle moins-value, relevant des articles 150-0 A et suivants du code général des impôts, réalisée lors de la cession ultérieure des titres reçus en contrepartie de celui-ci, dans une situation comparable à celle de contribuables qui, ayant décidé d'apporter une entreprise individuelle à une société soumise au régime fiscal des sociétés de personnes dans le cadre de laquelle ils ont continué d'exercer leur activité professionnelle, n'ont enregistré que des plus-values ou moins professionnelles, et ne se trouvent pas davantage dans une situation comparable à celle de contribuables qui, ayant apporté des titres d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés à une autre société soumise à ce même impôt, n'ont enregistré que des plus-values ou moins-values relevant des articles 150-0 A et suivants du code général des impôts. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que les dispositions législatives que les commentaires attaqués réitèrent instaureraient une discrimination contraire aux stipulations combinées de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.
9. En troisième lieu, il résulte des termes mêmes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que le droit au respect de ses biens reconnu à toute personne physique ou morale ne porte pas atteinte au droit de chaque Etat partie à ce protocole additionnel de mettre en oeuvre les lois qu'il juge nécessaires pour assurer le paiement des impôts et taxes. L'imposition ou taxation d'une personne ne saurait être regardée comme portant par elle-même atteinte au respect des biens au sens de l'article 1er de ce protocole. Toutefois, l'obligation financière née du prélèvement d'un impôt ou d'une taxe peut porter une telle atteinte si elle revêt un caractère confiscatoire ou si elle impose une charge manifestement disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi.
10. Contrairement à ce que soutient M. B..., la seule circonstance qu'un contribuable qui constate, à raison de la cession de titres d'une société, une moins-value relevant du régime des articles 150-0 A et suivants du code général des impôts ne puisse imputer cette moins-value que sur des plus-values relevant du même régime des plus-values des particuliers et non sur la plus-value professionnelle qu'il avait constatée antérieurement, à raison de l'apport à cette société d'une entreprise individuelle, et dont il lui avait été permis, pour en faciliter le paiement, de reporter l'imposition jusqu'à la cession des titres reçus en rémunération de cet apport, ne saurait suffire à faire regarder comme revêtant un caractère confiscatoire l'imposition correspondante, assise sur une plus-value effectivement réalisée par le contribuable et définitivement constatée, selon la législation alors en vigueur, à l'occasion de la mutation qu'a constituée l'apport. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, par suite, être écarté. Au demeurant, le 11 de l'article 150-0 D du code général des impôts prévoit que l'excédent de moins-values non imputé peut être reporté et imputé au titre des années suivantes jusqu'à la dixième inclusivement sur une plus-value relevant du même régime.
11. En dernier lieu, la conformité de dispositions législatives à des principes ou dispositions constitutionnels ne saurait être contestée devant le Conseil d'Etat, statuant au contentieux en dehors de la procédure prévue à l'article 61-1 de la Constitution. Par suite, M. B... ne saurait utilement se prévaloir, sans soulever une question prioritaire de constitutionnalité, d'une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques par les commentaires administratifs en cause, qui ne font, comme il a été dit ci-dessus, qu'exposer, sans la méconnaître, la portée des dispositions législatives qu'ils commentent.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. B... doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. D... B..., et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique et à la ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 novembre 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, Mme Emilie Bokdam-Tognetti, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, Mme Catherine Fischer-Hirtz, conseillers d'Etat et M. Emile Blondet, auditeur-rapporteur.
Rendu le 21 novembre 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Emile Blondet
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Méaulle