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Ariane Web: Conseil d'État 495513, lecture du 24 novembre 2025, ECLI:FR:CECHS:2025:495513.20251124

Décision n° 495513
24 novembre 2025
Conseil d'État

N° 495513
ECLI:FR:CECHS:2025:495513.20251124
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
M. Antoine Berger, rapporteur
SARL CABINET BRIARD, BONICHOT ET ASSOCIES, avocats


Lecture du lundi 24 novembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 27 juin et 16 juillet 2024, 12 et 22 mai et le 14 octobre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Belle Normandie Environnement, l'association Sea Shepherd France, l'association Libre horizon et le Groupement régional des associations de protection de l'environnement demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêté du préfet du Calvados du 28 février 2024, complémentaire à l'arrêté préfectoral du 8 juin 2016, et portant dérogation à l'interdiction stricte de perturbation, destruction et altération d'aires de repos d'espèces animales protégées ;

2°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la société Eoliennes Offshore du Calvados la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté du 19 février 2007 du ministre de l'agriculture et de la pêche et la ministre de l'écologie et du développement durable fixant les conditions de demande et d'instruction des dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement portant sur des espèces de faune et de flore sauvages protégées ;
- l'arrêté du 23 avril 2007 des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;
- l'arrêté du 29 octobre 2009 des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;
- l'arrêté du 1er juillet 2011 des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement du 1er juillet 2011 fixant la liste des mammifères marins protégés sur le territoire national et les modalités de leur protection ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Antoine Berger, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Munier-Apaire, avocat de l'Association Belle Normandie Environnement et autres, et à la SARL cabinet Briard, Bonichot et Associés, avocat de la société Eoliennes Offshore du Calvados ;



Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 8 juin 2016, modifié le 24 décembre 2021 et le 15 février 2024, le préfet du Calvados a délivré à la société Éoliennes offshore du Calvados une autorisation au titre de l'article L. 214-3 du code de l'environnement en vue de la construction et de l'exploitation d'un parc éolien en mer au large de la commune de Courseulles-sur-Mer (Calvados). Par un arrêté du 28 février 2024, le préfet du Calvados a complété cette autorisation environnementale en délivrant une dérogation à l'interdiction stricte de perturbation intentionnelle, de destruction d'individus et d'altération d'aires de repos d'espèces protégées, sur le fondement des dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.

2. Le I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement comporte un ensemble d'interdictions visant à assurer la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats. Sont ainsi interdits : " 1° la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle (...) d'animaux de ces espèces (...) ; / (...) / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Toutefois, le 4° de l'article L. 411-2 du même code permet à l'autorité administrative de délivrer des dérogations à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant à l'absence de solution alternative satisfaisante, à la condition de ne pas nuire " au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle " et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs qu'il énumère limitativement et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.

Sur l'incompétence de l'auteur de la décision :

3. Aux termes de l'article R. 411-6 du code de l'environnement : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 sont accordées par le préfet, sauf dans les cas prévus aux articles R. 411-7 et R. 411-8. (...) Toutefois, lorsque la dérogation est sollicitée pour un projet entrant dans le champ d'application de l'article L. 181-1, l'autorisation environnementale prévue par cet article tient lieu de la dérogation définie par le 4° de l'article L. 411-2. La demande est alors instruite et délivrée dans les conditions prévues par le chapitre unique du titre VIII du livre Ier pour l'autorisation environnementale (...) ". L'article R. 411-8 prévoit que cette dérogation est délivrée par le ministre chargé de la protection de la nature pour certaines opérations concernant des espèces de vertébrés protégés menacés d'extinction, l'article R. 411-9 prévoyant la compétence conjointe des ministres chargés de la protection de la nature et des pêches maritimes lorsque sont concernées des espèces marines. Il résulte de l'article 15 de l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 que les autorisations délivrées au titre de la police de l'eau en application de l'article L. 214-3 du code de l'environnement, antérieurement au 1er mars 2017, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance du 26 janvier 2017, sont considérées, à compter de cette date, comme des autorisations environnementales. Aux termes du premier alinéa des articles R. 181-2 et R. 181-45 du code de l'environnement, l'autorité administrative compétente pour délivrer l'autorisation environnementale et les arrêtés fixant des prescriptions complémentaires est le préfet du département dans lequel est situé le projet. Aux termes de l'article R. 181-28 du même code : " Lorsque l'autorisation environnementale est demandée pour un projet pour lequel elle tient lieu de dérogation aux interdictions édictées en application du 4° de l'article L. 411-2, (...) le préfet saisit pour avis le Conseil national de la protection de la nature, qui se prononce dans le délai de deux mois, dans les cas suivants : / 1° La dérogation dont l'autorisation environnementale tient lieu concerne une espèce figurant sur la liste établie en application de l'article R. 411-8-1. Si l'avis du Conseil national de la protection de la nature est défavorable, le préfet saisit pour avis conforme le ministre chargé de la protection de la nature ainsi que, si la dérogation concerne une espèce marine, le ministre chargé des pêches maritimes (...) ".

4. Il résulte des dispositions citées au point 3 que le préfet est compétent pour délivrer une autorisation environnementale tenant lieu de dérogation à l'interdiction d'atteinte aux espèces protégées, ou un arrêté de prescription complémentaire à une autorisation environnementale portant une telle dérogation, le régime particulier des articles R. 411-8 et R. 411-9 ne trouvant pas à s'appliquer lorsqu'une dérogation est sollicitée pour un projet devant faire l'objet d'une autorisation environnementale. En l'espèce, dès lors que l'autorisation délivrée le 8 juin 2016 est considérée comme une autorisation environnementale, le préfet était compétent pour délivrer l'arrêté du 28 février 2024 complétant cette autorisation et portant dérogation à l'interdiction d'atteinte aux espèces protégées. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'arrêté litigieux est entaché d'incompétence.

Sur l'insuffisance du diagnostic écologique joint à la demande de dérogation :

5. Aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 19 février 2007 fixant les conditions de demande et d'instruction des dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement portant sur des espèces de faune et de flore sauvages protégées : " La demande de dérogation (...) comprend : / (...) La description, en fonction de la nature de l'opération projetée (...) des espèces (nom scientifique et nom commun) concernées ; / du nombre et du sexe des spécimens de chacune des espèces faisant l'objet de la demande ; / de la période ou des dates d'intervention ; des lieux d'intervention ; / s'il y a lieu, des mesures d'atténuation ou de compensation mises en oeuvre, ayant des conséquences bénéfiques pour les espèces concernées ; / de la qualification des personnes amenées à intervenir ; / du protocole des interventions : modalités techniques, modalités d'enregistrement des données obtenues ; / des modalités de compte rendu des interventions ".

6. Il résulte de l'instruction que la demande de dérogation litigieuse est fondée sur un diagnostic écologique comprenant les données de l'étude d'impact initiale du projet de parc éolien datant de 2014, complétées par l'état de référence des chiroptères issu du mât de mesures du futur parc éolien en mer de Fécamp de 2015, ainsi qu'un état de référence de la mégafaune marine et de l'avifaune sur la zone d'implantation du projet à la suite de campagnes de terrain menées en 2021.

7. En premier lieu, s'agissant de l'ichtyofaune et des espèces benthiques, si l'état initial comporte un descriptif fondé sur un échantillonnage réalisé en 2013 et 2014, d'une part, il ne résulte pas de l'instruction que les données utilisées seraient devenues obsolètes et, d'autre part, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'alose feinte, la grande alose, la lamproie de rivière, la lamproie marine et le saumon atlantique ont bien été considérés comme présents sur le site du projet, de même que la dorade grise, l'encornet, la sole, le rouget-barbet, la plie, la limande et la coquille Saint-Jacques.

8. En deuxième lieu, s'agissant des mammifères marins, il résulte de l'instruction, d'une part, que les données les plus anciennes ont été complétées par celles issues d'études récentes, dont les résultats concordent, d'autre part, que si l'échelle des études réalisées en 2011 et 2012 est plus large que la seule emprise du projet, elle n'en reste pas moins pertinente pour identifier toutes les espèces potentiellement présentes sur la zone, enfin, que la méthode utilisée dans le cadre de ces études, de même que les opérations de comptages réalisées en 2021, sont conformes aux recommandations de la communauté scientifique.

9. En troisième lieu, s'agissant des chiroptères, il ne résulte pas de l'instruction que les circonstances auraient changé depuis la réalisation des analyses menées en 2014. Par ailleurs, si le cadre de la baie de Seine propre au projet en litige est différent du linéaire côtier ouvert dans lequel s'insère le parc de Fécamp situé à 75 kilomètres, les données collectées en 2015 à l'aide d'un mât installé sur l'emprise de ce projet ont pu valablement être utilisées, dès lors que la différence de contexte entre les deux projets a été prise en compte pour nuancer ces résultats. En outre, les données issues de la bibliographie la plus récente ont été prises en compte pour identifier les espèces présentes sur le site. Enfin, les couloirs de migrations ont été identifiés et l'impact du projet sur les espèces migratrices a été analysé.

10. En quatrième lieu, s'agissant de l'avifaune, il résulte de l'instruction que si les données issues d'études datant de 2014 ont été prises en compte, celles-ci ont été complétées par des études plus récentes, qu'aucun changement de circonstances n'a eu pour effet de rendre obsolètes. Par ailleurs, la méthodologie suivie dans le cadre des études réalisées en 2021 a été présentée et validée par les comités scientifiques et techniques du parc éolien du Calvados. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, ces études prennent en compte les oiseaux migrateurs et présentent des données collectées par radar qui fournissent des tendances générales concernant la migration dans les aires d'études du projet.

11. En cinquième lieu, il résulte de l'instruction que la méthodologie utilisée pour estimer la mortalité par collision est conforme aux dernières recommandations scientifiques. En outre, la hauteur de pâles du parc a été déterminée en tenant compte de l'état de référence de l'avifaune mentionné au point 6, duquel il ressort que les espèces d'oiseaux présentes sur le site volent soit à des hauteurs inférieures aux pales, soit à des hauteurs très supérieures à celles-ci. L'arrêt des éoliennes est par ailleurs prévu en cas de fortes tempêtes, lesquelles majorent le risque de collision. Les requérantes ne sauraient, par ailleurs, utilement arguer des solutions techniques différentes retenues pour d'autres projets de parcs éoliens. Enfin, l'étude des effets cumulés du projet en litige avec ceux des différents projets de parcs éoliens en mer a été réalisée dans le cadre de l'étude d'impact initiale.

12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 7 à 11 que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le diagnostic écologique joint à la demande de dérogation litigieuse est obsolète et insuffisant.



Sur l'illégalité de la dérogation, en ce qu'elle n'intégrerait pas certaines espèces protégées :

13. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées au point 2 impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".

14. S'agissant du dauphin commun, du dauphin bleu et blanc et du globicéphale noir, le diagnostic écologique conclut à un impact résiduel faible à négligeable pendant la phase de travaux, et un impact résiduel négligeable en phase d'exploitation, notamment pour le dérangement au bruit. Ce niveau d'impact est justifié par la faible présence de ces espèces sur le site et par les mesures de réduction prévues, à savoir l'abandon du battage des pieux au profit de la technique du forage et vibrofonçage, la réduction du nombre d'éoliennes, et la surveillance visuelle et acoustique.

15. S'agissant du fulmar boréal, du guillemot de Troïl et du pingouin torda, il résulte de l'instruction que ces trois espèces ne volent pas à hauteur de pales, de sorte que l'impact résiduel est qualifié de négligeable pour les risques de collision. Cette faible sensibilité aux collisions est confirmée par plusieurs références bibliographiques communiquées par la ministre en défense, en particulier des études scientifiques menées en 2013 et 2014, qui contredisent les conclusions de l'étude du Groupe ornithologique normand citées par les requérantes.

16. S'agissant des passereaux, les impacts du projet en termes de photo-attraction et de collision dépendent de l'intensité des émissions lumineuses et des conditions météorologiques pendant le flux migratoire, dont la trajectoire est au demeurant incertaine en baie de Seine, raison pour laquelle l'impact brut est qualifié de faible. Par ailleurs, la mesure de réduction envisagée consistant à diminuer l'attraction lumineuse, dans la limite de la réglementation applicable, pour l'ensemble des éoliennes du parc, par la réduction du balisage maritime et aérien, aura pour effet de réduire l'impact résiduel de collision par photo-attraction pour les passereaux en migration à un point tel que le risque peut être considéré comme n'étant pas suffisamment caractérisé.

17. S'agissant du goéland argenté, du goéland brun, du goéland cendré, du goéland marin, de la mouette rieuse, de la mouette pygmée et de la mouette tridactyle, il résulte de l'instruction que si ces espèces sont effectivement présentes sur le site, l'impact brut du projet en termes de perte d'habitat, en phase de travaux comme en phase d'exploitation, devrait être nul pour les espèces de goéland concernées et négligeable pour les espèces de mouettes concernées. Le risque pour ces espèces ne peut, dès lors, pas être regardé comme suffisamment caractérisé.

18. S'agissant de la sérotine commune, de la pipistrelle commune, de la pipistrelle de Kuhl et de la pipistrelle pygmée, il résulte de l'instruction que ces espèces se déplacent peu en pleine mer. Par ailleurs, aucun de ces chiroptères n'a été contacté au niveau du mât de mesure de Fécamp mentionné au point 9. En tenant compte de cet état de référence et des connaissances bibliographiques présentées par le pétitionnaire, ainsi que de la réduction des émissions lumineuses et du balisage, les risques résiduels ont été évalués comme au maximum faibles pour ces quatre espèces de chiroptères.

19. Il résulte de ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la dérogation litigieuse serait illégale en ce qu'elle ne porte pas sur la perturbation intentionnelle, l'altération d'aires de repos et la perte d'habitats du dauphin commun, du dauphin bleu et blanc et du globicéphale noir, sur la destruction de spécimens de fulmar boréal, du guillemot de Troïl, du pingouin torda et de passereaux, sur l'altération d'aires de repos et la perte d'habitat du goéland argenté, du goéland brun, du goéland cendré, du goéland marin, de la mouette rieuse, de la mouette pygmée et de la mouette tridactyle, ainsi que sur la destruction et la perturbation intentionnelle de la sérotine commune, de la pipistrelle commune, de la pipistrelle de Kuhl et de la pipistrelle pygmée.

Sur l'illégalité de la dérogation, en ce que les conditions d'octroi ne sont pas réunies :

20. En premier lieu, en ce qui concerne l'absence de solution alternative satisfaisante au sens de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, il résulte de l'instruction que la zone d'implantation du projet litigieux, au large des côtes du Calvados, a été retenue à l'issue d'une phase d'étude et de concertation menée entre 2009 et 2011, en tenant compte des enjeux techniques, réglementaires, socio-économiques et environnementaux, et notamment en l'éloignant des zones Natura 2000 et des zones à enjeux particuliers pour l'avifaune et les mammifères marins. Au sein de cette zone délimitée par l'appel d'offre, la société pétitionnaire a analysé trois variantes, et a proposé un projet de moindre impact environnemental, en maintenant un espace entre les lignes d'éoliennes qui permet aux oiseaux de traverser le parc, en limitant le nombre d'éoliennes, et en ajustant les techniques de construction des fondations afin d'en réduire l'empreinte sonore. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ne résulte pas de l'instruction que le site aurait été choisi sans tenir compte des enjeux environnementaux, indépendamment de la pondération des critères pris en compte pour départager les candidats à l'appel d'offre. Par ailleurs, la circonstance qu'un autre parc éolien en mer ait été autorisé à proximité, au large de Barfleur, ne saurait être utilement invoquée pour démontrer l'existence d'une solution alternative satisfaisante. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet aurait méconnu la condition relative à l'absence d'autre solution satisfaisante doit être écarté.

21. En deuxième lieu, pour apprécier si le projet ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de déterminer, dans un premier temps, l'état de conservation des populations des espèces concernées et, dans un deuxième temps, les impacts géographiques et démographiques que les dérogations envisagées sont susceptibles de produire sur celui-ci.

22. Il résulte de l'instruction que la noctule commune est classée comme vulnérable en France et en Normandie et que la noctule de Leisler est classée quasi menacée sur ces mêmes territoires. Le diagnostic écologique a conclu que le niveau d'impact maximal résiduel du projet sur ces espèces est moyen, mais qu'au regard de leur faible présence sur le site d'implantation du parc éolien, il n'est pas de nature à porter atteinte à leur état de conservation. Les données plus récentes de l'observatoire national des mammifères, si elles font état d'une présence plus abondante de ces deux espèces dans l'estuaire de la Seine, ne suffisent pas à remettre en cause cette analyse. En outre, la mesure compensatoire en faveur de la pipistrelle de Nathusius, qui consiste à acquérir des secteurs forestiers, boisements alluviaux et alignements d'arbres servant de haltes migratoires à cette espèce, profitera aux deux autres espèces de chiroptères qui affectionnent également les gîtes arboricoles. Au demeurant, l'arrêté préfectoral litigieux a imposé des mesures de suivi de l'activité des chiroptères à terre et en mer, dont les bilans pourront conduire l'autorité administrative à prescrire des mesures complémentaires. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de prévoir des mesures compensatoires spécifiques pour la noctule commune et la noctule de Leisler et en considérant que la dérogation accordée ne nuit pas au maintien dans un état de conservation favorable des populations de ces espèces dans leur aire de répartition naturelle.

23. Il résulte de l'instruction que le fou de Bassan est classé comme quasi menacé sur la liste des oiseaux nicheurs de France métropolitaine, que le fulmar boréal est classé comme quasi menacé sur la liste des oiseaux nicheurs de France métropolitaine et en danger sur la liste des oiseaux nicheurs des oiseaux hivernants en Normandie, et que la mouette tridactyle est classée comme vulnérable sur la liste des oiseaux nicheurs de France métropolitaine, en danger sur la liste des oiseaux nicheurs et des oiseaux hivernants en Normandie et en préoccupation mineure sur la liste des oiseaux hivernants en Normandie. Le diagnostic écologique a évalué le niveau d'impact résiduel maximal comme moyen pour ces trois espèces, justifiant le dépôt d'une demande de dérogation. La méthodologie suivie pour modéliser le risque de collision est précisément définie dans le dossier de demande et les requérantes n'apportent pas d'éléments probants de nature à étayer leurs critiques à l'encontre de celle-ci. Comme précisé au point 11, la comparaison du projet en litige avec l'éolienne flottante expérimentale de Floatgen n'est pas pertinente dès lors que ce projet est très différent du projet en litige. S'agissant du fou de Bassan et de la mouette tridactyle, les mortalités par collision modélisées restent inférieures au nombre maximal d'individus pouvant être prélevés, sans que le taux de croissance de la population en soit affecté. Par ailleurs, l'impact moyen du dérangement, de l'effet barrière et de la perte d'habitat du fou de Bassan reste localisé autour de la zone du projet, et donc sur une surface relativement faible par rapport à l'aire de répartition de cette espèce. Ensuite, le fulmar boréal ne vole que très rarement à hauteur de pales et les effectifs nicheurs normands de l'espèce sont localisés à distance du projet. En outre, la mesure de retrait des filets de pêche perdus ou abandonnés prévue pour les alcidés ainsi que la mesure de compensation relative à la réduction des captures accidentelles par la pêche auront également des effets positifs pour le fulmar boréal ou le fou de Bassan pour lesquels l'activité de pêche représente l'une des menaces principales. Au demeurant, l'arrêté préfectoral litigieux a imposé des mesures de suivi de l'avifaune, dont les bilans pourront conduire l'autorité administrative à prescrire des mesures complémentaires. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de prévoir des mesures compensatoires pour le fou de Bassan, le fulmar boréal et la mouette tridactyle et en considérant que la dérogation accordée ne nuit pas au maintien dans un état de conservation favorable des populations de ces espèces dans leur aire de répartition naturelle.

24. S'agissant des goélands, l'arrêté préfectoral litigieux impose une mesure compensatoire consistant en une réouverture de milieu et pâturage d'îlots dans l'archipel de Chausey afin de favoriser la nidification des espèces nicheuses au sol. Cette mesure, est notamment fondée sur des études démontrant que les habitats de nidification des goélands sont menacés en Normandie et, a été élaborée en lien avec le Groupe ornithologique normand, qui suit les colonies de goélands sur l'ensemble de la région. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que cette mesure de compensation serait inadaptée.

25. Enfin, l'arrêté préfectoral impose une mesure compensatoire relative à la diminution des captures accidentelles d'espèces par les arts dormants. Cette mesure consiste notamment en l'installation de diodes électroluminescentes sur les filets afin d'augmenter leur visibilité, et l'équipement de navires volontaires de filets biodégradables. La circonstance que la mise en oeuvre de cette mesure implique l'accord des pêcheurs n'est pas de nature à entacher celle-ci d'illégalité. En tout état de cause, conformément aux dispositions de l'article L. 163-1 du code de l'environnement, le maître d'ouvrage reste seul responsable à l'égard de l'autorité administrative qui a prescrit ces mesures de compensation. A cet égard, l'arrêté litigieux dispose que les mesures compensatoires sont soumises à une obligation de résultat et que, de ce fait, les budgets mentionnés par la société Eoliennes Offshore du Calvados ne sont qu'indicatifs et devront être ajustés pour atteindre les objectifs assignés. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que cette mesure compensatoire, reposant notamment sur la participation des pêcheurs ne serait pas réalisée.

26. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par l'association Belle Normandie Environnement et autres doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de leur requête. Leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

27. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Eoliennes Offshore Calvados, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association Belle Normandie Environnement et autres est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Eoliennes Offshore Calvados au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Belle Normandie Environnement, première dénommée pour l'ensemble des requérants, à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité et des négociations internationales sur le climat et la nature et à la société Eoliennes Offshore du Calvados.
Délibéré à l'issue de la séance du 23 octobre 2025 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Christophe Pourreau, conseiller d'Etat et M. Antoine Berger, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 24 novembre 2025.


La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
Le rapporteur :
Signé : M. Antoine Berger
La secrétaire :
Signé : Mme Angélique Rajaonarivelo