Base de jurisprudence


Décision n° C4345
7 juillet 2025
Tribunal des conflits

N° C4345
Mentionné au tables du recueil Lebon

M. Philippe Mollard, président
M. Ancel, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public


Lecture du lundi 7 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu, enregistrée à son secrétariat le 18 mars 2025, l'expédition de la décision du 7 mars 2025 par laquelle le Conseil d’Etat, saisi par Mme E... D... d’un pourvoi contre l’ordonnance n° 21BX03403 du 1er février 2022, rendue par la présidente de la 2ème chambre de la cour administrative d’appel de Bordeaux ayant rejeté comme manifestement dépourvu de fondement l’appel de Mme D... contre un jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 15 juin 2021, a renvoyé au Tribunal des conflits la question de savoir quel est l’ordre de juridiction compétent pour connaître de l’action en responsabilité introduite par Mme D... contre la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe.

Vu le jugement du 15 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté la demande de Mme D... de condamnation de la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe à lui verser une indemnité de 288 937 euros en réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait d’une carence fautive de la caisse dans l’actualisation sur le fichier national des professionnels de santé des informations concernant la mesure de suspension du droit d’exercer prononcée à son encontre par un arrêté du 27 avril 2015 du directeur général de l’agence de santé de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, annulé par un jugement n° 1500402 du 31 janvier 2017 du même tribunal.

Vu les pièces du dossier desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée à Mme D..., à la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et de la famille, qui n’ont pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
la loi du 24 mai 1872 ;
le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;
le code de la santé publique ;
le code de la sécurité sociale ;


Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. François Ancel, membre du Tribunal
les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;


Considérant ce qui suit :

1. En application de l’article L. 4113-1 et des articles D. 4113-115 et suivants du code de la santé publique, un arrêté de la ministre de la santé et des sports du 6 février 2009 a créé un traitement de données à caractère personnel dénommé « Répertoire partagé des professionnels de santé » (RPPS), aux fins, notamment, d’identifier les professionnels de santé en exercice, ayant exercé ou susceptibles d’exercer, de suivre l’exercice de ces professionnels et de contribuer aux procédures de délivrance et de mise à jour des cartes de professionnels de santé. Il résulte des dispositions des articles D. 4113-117 et D. 4113-119 du code de la santé publique et de l’annexe 1 à cet arrêté, que la transmission des informations nécessaires à l’actualisation des données relatives aux professionnels de santé figurant dans ce répertoire relève de la responsabilité de l’instance ordinale, pour ce qui concerne, notamment, le suivi de l’exercice et les décisions de suspension ou d’interdiction d’exercice prononcées par les conseils et devenues définitives, et de celle du ministère et des autorités chargés de la santé, pour ce qui concerne, en particulier, les autorisations d’exercice, les décisions préfectorales de suspension d’exercice et les décisions de suspension d’exercice devenues définitives.

2.Par une décision du 17 avril 1998, le président du conseil de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés a institué un « fichier national des professionnels de santé » destiné à la gestion d’informations nominatives relatives aux professionnels de santé et prestataires de services nécessaires, notamment, à la tarification et à la prise en charge par l’assurance maladie des actes et prestations réalisés par ces derniers. Dans le cadre de ce traitement de données, les informations concernant la situation administrative d’un professionnel de santé, dont celles renseignant son mode d’exercice et les dates d’effet de celui-ci, ne peuvent être mises à jour que par l’organisme local d’assurance maladie auquel il est administrativement rattaché, qui tient compte, pour ce faire, des données relatives à l’exercice professionnel du professionnel inscrites dans le répertoire mentionné à l’article D. 4113-118 du code de la santé publique, dont il a été fait état au point précédent, et auxquelles les caisses primaires d’assurance maladie et les caisses générales de sécurité sociale dans les départements d’outre-mer ont accès en application du 9° de l’article 7 de l’arrêté du 6 février 2009 mentionné au point 1.

3. Par un arrêté du 27 avril 2015, le directeur général de l’agence de santé de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy a suspendu Mme E... D..., médecin spécialiste, qualifiée en anesthésie-réanimation, du droit d’exercer la profession de médecin pour une durée de cinq mois, en application des dispositions de l’article L. 4113-14 du code de la santé publique. Cette mesure a pris fin automatiquement le 7 septembre 2015 dans les conditions prévues par le deuxième alinéa de ce même article.

4. Par un jugement du 31 janvier 2017, le tribunal administratif de la Guadeloupe a, à la demande de Mme D..., annulé pour excès de pouvoir l’arrêté précité du 27 avril 2015. Par un jugement du 14 décembre 2018, le même tribunal a condamné l’Etat à verser à Mme D... la somme de 124 704 euros, en réparation du préjudice économique né de l’illégalité de cet arrêté. Le préjudice ainsi retenu par ce jugement incluait notamment le préjudice économique résultant, pour Mme D..., de l’absence d’actualisation des mentions du répertoire partagé des professionnels de santé, quant à la mesure de suspension du droit d’exercer dont elle avait fait l’objet. Le jugement a retenu que l’absence d’actualisation du répertoire était imputable au directeur général de l’agence de santé de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, pour la seule période allant du 8 septembre 2015 au 7 octobre 2015.


5. A la suite du rejet implicite par la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe de la réclamation préalable de Mme D... tendant à la réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait d’une carence fautive de cette caisse pour ne pas avoir supprimé la mention de la mesure de suspension du droit d’exercer prononcée à son encontre dans le fichier national des professionnels de santé pour la période allant du 8 octobre 2015 au 27 septembre 2016, Mme D... a saisi le tribunal administratif de la Guadeloupe d’une demande tendant à la condamnation de la caisse à lui verser une indemnité de 288 937 euros. Par un jugement du 15 juin 2021, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande au motif que les conclusions indemnitaires étaient mal dirigées, « la responsabilité de la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe ne [pouvant] être engagée à raison des préjudices qui auraient été causés à Mme D... par l’absence de mise à jour du répertoire partagé des professionnels de santé pendant la période comprise entre le 8 octobre 2015 et le 27 septembre 2016 (…) ». Par une ordonnance du 1er février 2022, l’appel contre ce jugement a été rejeté comme étant manifestement dépourvu de fondement. Après avoir relevé que l’action en responsabilité engagée par Mme D... à l’encontre de la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe visait à réparer les préjudices qu’elle estimait avoir subis du défaut d’actualisation des informations la concernant figurant dans le fichier national des professionnels de santé, le Conseil d’Etat a renvoyé au Tribunal des conflits la question de compétence précitée.

6. La contestation d’une mesure de suspension arrêtée par le directeur général de l’agence régionale de santé à l’encontre d’un professionnel de santé en application de l’article L. 4113-14 du code de la santé publique ressortit à la compétence de la juridiction administrative. Il en est de même de conclusions tendant à la réparation des dommages qui en sont la conséquence, tels que ceux nés de l’absence de mise à jour du répertoire partagé des professionnels de mentionné au point 1, qui incombe s’agissant de telles décisions à l’Etat et dont il doit s’acquitter en transmettant l’information à l’organisme gestionnaire de ce répertoire.

7. Les litiges entre ce même professionnel et la caisse de sécurité sociale relèvent, en application des articles L. 142-1 et L. 142-8 du code de la sécurité sociale, de la compétence des juridictions judiciaires. Il en est de même de conclusions tendant à la réparation des dommages subis du fait de l’absence de mise à jour du fichier national des professionnels de santé mentionné au point 2 et relevant de la responsabilité de la caisse de sécurité sociale.


8. Il en résulte que la demande de Mme D... formée à l’encontre de la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe, tendant à la réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait de la carence alléguée de fautive de la caisse pour ne pas avoir supprimé pour la période du 8 octobre 2015 au 27 septembre 2016, la mention de la suspension de son droit d’exercer dans le fichier national des professionnels de santé ressortit à la compétence judiciaire.

D E C I D E :
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Article 1er : La juridiction de l’ordre judiciaire est compétente pour connaître de la demande de Mme D... formée à l’encontre de la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe, tendant à la réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait de la carence alléguée de fautive de la caisse pour ne pas avoir supprimé pour la période du 8 octobre 2015 au 27 septembre 2016, la mention de la suspension de son droit d’exercer dans le fichier national des professionnels de santé.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme D..., à la caisse générale de sécurité sociale de la Guadeloupe et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et de la famille.




Délibéré à l'issue de la séance du 7 juillet 2025 où siégeaient :

M. Mollard, conseiller à la Cour de cassation, président du Tribunal des conflits ; M. Stahl, M. Collin, Mme de Silva, M. Boulouis, conseillers d’Etat ; Mme Agostini, M. Ancel, M. Flores, conseillers à la Cour de cassation.


Lu en séance publique le 7 juillet 2025.



Le président :


Le rapporteur :


La secrétaire :