Tribunal des conflits
N° C4356
Publié au recueil Lebon
M. Philippe Mollard, président
M. Jacques-Henri Stahl, rapporteur
M. Paul Chaumont, rapporteur public
Lecture du lundi 6 octobre 2025
Vu, enregistrée à son secrétariat le 11 juillet 2025, le courrier par lequel le greffe de la cour d’appel de Douai a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant la SELAS MJS Partners agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS Mader Colors au préfet du Pas-de-Calais devant la cour d’appel de Douai ;
Vu le déclinatoire présenté le 24 février 2025 par le préfet du Pas-de-Calais tendant à voir déclarer la juridiction de l’ordre judiciaire incompétente, par les motifs que le litige a pour objet de contester l’arrêté préfectoral du 11 juillet 2023 mettant en œuvre la procédure de consignation prévue à l’article L. 171-8 du code de l’environnement et qu’une telle contestation relève d’un contentieux de pleine juridiction devant la juridiction administrative en vertu de l’article L. 171-11 du même code ;
Vu l’arrêt du 22 mai 2025 par lequel la cour d’appel de Douai a rejeté le déclinatoire de compétence ;
Vu l’arrêté du 5 juin 2025 par lequel le préfet a élevé le conflit ;
Vu, enregistré le 24 juin 2025 au greffe de la cour d’appel de Douai, le mémoire présenté pour la société Mader France, qui s’en remet à la sagesse du Tribunal ;
Vu, enregistré le 26 juin 2025 au greffe de la cour d’appel de Douai, le mémoire présenté pour la société MJS Partners tendant à l’annulation de l’arrêté de conflit, par les motifs que l’arrêté de conflit a été déposé après l’expiration du délai de quinze jours imparti par le décret du 27 février 2015, que le déclinatoire de compétence était irrecevable faute d’avoir indiqué la juridiction compétente contrairement à ce que prévoit l’article 75 du code de procédure civile, que le litige engagé devant le tribunal de commerce d’Arras visait à déterminer le rang de la créance résultant de l’arrêté préfectoral de consignation et qu’un tel litige relève de la compétence de la juridiction judiciaire en vertu des règles régissant les procédures collectives ;
Vu, enregistré le 13 août 2025 au secrétariat du Tribunal, le mémoire par lequel la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche indique qu’elle n’entend pas produire d’observations dans l’instance ;
Vu, enregistré le 26 septembre 2025 au secrétariat du Tribunal, le mémoire présenté par la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol pour la société MJS Partners, tendant à l’annulation de l’arrêté de conflit et à ce qu’une somme de 4 500 euros soit mise à la charge de l’Etat au titre de l’article 75 de la loi du 10 juillet 1991, par les motifs que l’arrêté de conflit a été tardivement présenté, qu’il est irrecevable en ce qu’il fait suite à un déclinatoire de compétence qui n’indique pas la juridiction compétente, en méconnaissance des dispositions de l’article 75 du code de procédure civile, qui n’a pas été transmis par voie électronique, contrairement à ce que prévoit l’article 930-1 du code de procédure civile, et qui n’a fait l’objet que d’une transmission écrite alors que la procédure devant le tribunal de commerce est orale en vertu de l’article 860-1 du code de procédure civile, que l’arrêté de conflit doit être annulé dès lors que la contestation soulevée est relative à la mise en œuvre des règles propres à la procédure collective et relève à ce titre de la compétence de la juridiction judiciaire ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée à l’association CGEA Nord Est AGS, qui n’a pas produit de mémoire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le décret n°2015-233 du 27 février 2015 ;
Vu le code de commerce ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu le code de procédure civile ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Jacques-Henri Stahl, membre du Tribunal,
les conclusions de M. Paul Chaumont, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Mader Colors, qui exerçait une activité de fabrication et de stockage de peintures dans un site industriel situé sur le territoire de la commune de Marœuil (Pas-de-Calais), a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce d’Arras en date du 22 septembre 2017, la SELAS MJS Partners étant nommée liquidatrice. Par arrêté du 27 septembre 2021, le préfet du Pas-de-Calais a imposé à la société, sur le fondement des dispositions du code de l’environnement, de procéder à des travaux de réhabilitation du site industriel, afin de remédier à la pollution l’affectant, dans un délai de six mois. Les travaux n’ayant pas été réalisés, le préfet a mis en demeure la société de les entreprendre par un arrêté du 4 octobre 2022. Après une inspection sur site le 16 mai 2023 ayant mis en évidence que la mise en demeure était restée sans effet et l’établissement d’un procès-verbal d’infraction, le préfet, par arrêté du 11 juillet 2023, a ordonné la consignation de la somme de 435 548 euros, correspondant au coût des travaux de réhabilitation du site, sur le fondement de l’article L. 171-8 du code de l’environnement. La société MJS Partners a contesté l’arrêté préfectoral du 11 juillet 2023 devant le tribunal administratif de Lille et a, en outre, saisi le juge-commissaire du tribunal de commerce d’Arras pour être autorisée à ne pas assurer le paiement de la consignation, en se prévalant des dispositions du code de commerce sur le règlement des créances des sociétés placées en liquidation judiciaire.
2. Au cours de la procédure ainsi ouverte devant le juge-commissaire du tribunal de commerce d’Arras, le préfet du Pas-de-Calais a adressé un déclinatoire de compétence, auquel le juge-commissaire a fait droit par ordonnance du 12 décembre 2024. La société MJS Partners ayant fait appel de cette ordonnance devant la cour d’appel de Douai, le préfet a adressé un nouveau déclinatoire de compétence. Par arrêt du 22 mai 2025, la cour d’appel de Douai a rejeté ce déclinatoire. Par arrêté du 5 juin 2025, le préfet du Pas-de-Calais a élevé le conflit.
Sur la régularité de la procédure de conflit :
3. Aux termes de l’article 19 du décret du 27 février 2015 : « Dans le cas prévu à l'article 13 de la loi du 24 mai 1872 susvisée, le préfet adresse au greffe de la juridiction saisie un déclinatoire de compétence. A peine d'irrecevabilité, ce déclinatoire doit être motivé. / Les parties en sont informées par le greffe et sont invitées à faire connaître leurs observations écrites dans un délai de quinze jours à compter de la réception de la notification du greffe. / Le greffe communique l'affaire au ministère public afin qu'il puisse faire connaître son avis dans le même délai. Dès réception, le greffe porte cet avis à la connaissance du préfet et des parties par lettre remise contre signature. / Le délai prévu aux alinéas précédents peut être réduit par le président de la juridiction saisie, en cas d'urgence. » Aux termes de l’article 20 du même décret : « La juridiction statue sans délai, selon les règles de procédure qui lui sont applicables, sur le déclinatoire de compétence. » L’article 21 du même décret prévoit que le greffe adresse sans délai copie du jugement rendu sur la compétence au préfet et aux parties par lettre remise contre signature et que le ministère public en est avisé. Aux termes de l’article 22 du même décret : « Si ce jugement a rejeté le déclinatoire, le préfet peut élever le conflit par arrêté dans les quinze jours suivant la réception du jugement. Le conflit peut également être élevé si le tribunal a, avant expiration de ce délai, passé outre et jugé au fond (…) ».
4. En premier lieu, si l’article 20 du décret du 27 février 2015 prévoit que la juridiction judiciaire saisie statue sur le déclinatoire de compétence que lui a adressé le préfet selon les règles de procédure qui lui sont applicables, les règles selon lesquelles le préfet adresse à la juridiction un déclinatoire de compétence sont exclusivement fixées à l’article 19 de ce décret. Par suite, les circonstances que le déclinatoire du préfet du Pas-de-Calais n’ait pas indiqué devant quelle juridiction il demandait que l’affaire soit portée, alors que l’article 75 du code de procédure civile impose de le faire aux parties qui soulèvent une exception d’incompétence et qu’il n’ait pas été adressé au greffe de la cour d’appel de Douai par voie électronique, alors que l’article 930-1 du code de procédure civile le prévoit en principe pour les actes de procédure remis à la cour d’appel, sont sans incidence sur la régularité de la procédure de conflit, de même, en tout état de cause, que la circonstance que le préfet n’ait pas comparu devant le tribunal de commerce, alors que l’article 860-1 du code de procédure civile prévoit que la procédure y est orale.
5. En second lieu, l’arrêté du 5 juin 2025 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a élevé le conflit a été reçu le 10 juin au greffe de la cour d’appel de Douai, avant l’expiration du délai de quinze jours, imparti par l’article 22 du décret du 27 février 2015, suivant la réception par le préfet, le 28 mai 2025, de l’arrêt du 22 mai 2025 de la cour d’appel rejetant le déclinatoire de compétence.
Sur la compétence :
6. Aux termes de l’article L. 171-8 du code de l’environnement : « I.- (…) en cas d'inobservation des prescriptions applicables en vertu du présent code aux installations, ouvrages, travaux, aménagements, opérations, objets, dispositifs et activités, l'autorité administrative compétente met en demeure la personne à laquelle incombe l'obligation d'y satisfaire dans un délai qu'elle détermine. (…) / II.- Si, à l'expiration du délai imparti, il n'a pas été déféré à la mise en demeure (…), l'autorité administrative compétente peut arrêter une ou plusieurs des sanctions administratives suivantes : / 1° Obliger la personne mise en demeure à consigner entre les mains d'un comptable public avant une date déterminée par l'autorité administrative une somme correspondant au montant des travaux ou opérations à réaliser. / (…) / L'opposition à l'état exécutoire pris en application d'une mesure de consignation ordonnée par l'autorité administrative devant le juge administratif n'a pas de caractère suspensif ».
7. La juridiction administrative est compétente pour connaître des contestations relatives aux mesures de consignation prises en vertu des dispositions de l’article L. 171-8 du code de l’environnement et aux états exécutoires pris pour leur application. Toutefois, le tribunal de la procédure collective est, quelle que soit la nature des créances en cause, seul compétent pour connaître des contestations relatives à la mise en œuvre des règles propres à la procédure collective.
8. La demande formée par le liquidateur de la société Mader Colors devant le juge-commissaire du tribunal de commerce d’Arras a pour objet de saisir ce juge d’une contestation relative au paiement de la consignation ordonnée par l’arrêté du 11 juillet 2023 du préfet du Pas-de-Calais au regard des règles régissant le règlement des différentes créances des entreprises en liquidation judiciaire. Un tel litige porte sur la mise en œuvre des règles propres à la procédure collective et relève de la compétence de la juridiction judiciaire.
9. Il résulte de ce qui précède que c’est à tort que le préfet du Pas-de-Calais a revendiqué pour la juridiction administrative la connaissance du litige engagé par la société MJS Partners, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Mader Colors, devant le juge-commissaire du tribunal de commerce d’Arras.
10. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement de l’article 75 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L’arrêté de conflit pris le 5 juin 2025 par le préfet du Pas-de-Calais est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées au titre de l’article 75 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SELAS MJS Partners, à la société Mader France, à l’association CGEA Nord Est AGS, au préfet du Pas-de-Calais, au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et énergétique et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 octobre 2025 où siégeaient :
M. Philippe Mollard, conseiller à la Cour de cassation, président du Tribunal des conflits ; M. Jacques-Henri Stahl, Mme Isabelle de Silva, M. Nicolas Boulouis, Mme Gaëlle Dumortier, conseillers d’Etat ; Mme Frédérique Agostini, M. Philippe Flores, M. François Ancel, conseillers à la Cour de cassation.
Lu en séance publique le 6 octobre 2025.
Le président :
Le rapporteur :
La secrétaire :
N° C4356
Publié au recueil Lebon
M. Philippe Mollard, président
M. Jacques-Henri Stahl, rapporteur
M. Paul Chaumont, rapporteur public
Lecture du lundi 6 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu, enregistrée à son secrétariat le 11 juillet 2025, le courrier par lequel le greffe de la cour d’appel de Douai a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant la SELAS MJS Partners agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS Mader Colors au préfet du Pas-de-Calais devant la cour d’appel de Douai ;
Vu le déclinatoire présenté le 24 février 2025 par le préfet du Pas-de-Calais tendant à voir déclarer la juridiction de l’ordre judiciaire incompétente, par les motifs que le litige a pour objet de contester l’arrêté préfectoral du 11 juillet 2023 mettant en œuvre la procédure de consignation prévue à l’article L. 171-8 du code de l’environnement et qu’une telle contestation relève d’un contentieux de pleine juridiction devant la juridiction administrative en vertu de l’article L. 171-11 du même code ;
Vu l’arrêt du 22 mai 2025 par lequel la cour d’appel de Douai a rejeté le déclinatoire de compétence ;
Vu l’arrêté du 5 juin 2025 par lequel le préfet a élevé le conflit ;
Vu, enregistré le 24 juin 2025 au greffe de la cour d’appel de Douai, le mémoire présenté pour la société Mader France, qui s’en remet à la sagesse du Tribunal ;
Vu, enregistré le 26 juin 2025 au greffe de la cour d’appel de Douai, le mémoire présenté pour la société MJS Partners tendant à l’annulation de l’arrêté de conflit, par les motifs que l’arrêté de conflit a été déposé après l’expiration du délai de quinze jours imparti par le décret du 27 février 2015, que le déclinatoire de compétence était irrecevable faute d’avoir indiqué la juridiction compétente contrairement à ce que prévoit l’article 75 du code de procédure civile, que le litige engagé devant le tribunal de commerce d’Arras visait à déterminer le rang de la créance résultant de l’arrêté préfectoral de consignation et qu’un tel litige relève de la compétence de la juridiction judiciaire en vertu des règles régissant les procédures collectives ;
Vu, enregistré le 13 août 2025 au secrétariat du Tribunal, le mémoire par lequel la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche indique qu’elle n’entend pas produire d’observations dans l’instance ;
Vu, enregistré le 26 septembre 2025 au secrétariat du Tribunal, le mémoire présenté par la SCP Gatineau, Fattaccini, Rebeyrol pour la société MJS Partners, tendant à l’annulation de l’arrêté de conflit et à ce qu’une somme de 4 500 euros soit mise à la charge de l’Etat au titre de l’article 75 de la loi du 10 juillet 1991, par les motifs que l’arrêté de conflit a été tardivement présenté, qu’il est irrecevable en ce qu’il fait suite à un déclinatoire de compétence qui n’indique pas la juridiction compétente, en méconnaissance des dispositions de l’article 75 du code de procédure civile, qui n’a pas été transmis par voie électronique, contrairement à ce que prévoit l’article 930-1 du code de procédure civile, et qui n’a fait l’objet que d’une transmission écrite alors que la procédure devant le tribunal de commerce est orale en vertu de l’article 860-1 du code de procédure civile, que l’arrêté de conflit doit être annulé dès lors que la contestation soulevée est relative à la mise en œuvre des règles propres à la procédure collective et relève à ce titre de la compétence de la juridiction judiciaire ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée à l’association CGEA Nord Est AGS, qui n’a pas produit de mémoire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le décret n°2015-233 du 27 février 2015 ;
Vu le code de commerce ;
Vu le code de l’environnement ;
Vu le code de procédure civile ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Jacques-Henri Stahl, membre du Tribunal,
les conclusions de M. Paul Chaumont, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. La société Mader Colors, qui exerçait une activité de fabrication et de stockage de peintures dans un site industriel situé sur le territoire de la commune de Marœuil (Pas-de-Calais), a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce d’Arras en date du 22 septembre 2017, la SELAS MJS Partners étant nommée liquidatrice. Par arrêté du 27 septembre 2021, le préfet du Pas-de-Calais a imposé à la société, sur le fondement des dispositions du code de l’environnement, de procéder à des travaux de réhabilitation du site industriel, afin de remédier à la pollution l’affectant, dans un délai de six mois. Les travaux n’ayant pas été réalisés, le préfet a mis en demeure la société de les entreprendre par un arrêté du 4 octobre 2022. Après une inspection sur site le 16 mai 2023 ayant mis en évidence que la mise en demeure était restée sans effet et l’établissement d’un procès-verbal d’infraction, le préfet, par arrêté du 11 juillet 2023, a ordonné la consignation de la somme de 435 548 euros, correspondant au coût des travaux de réhabilitation du site, sur le fondement de l’article L. 171-8 du code de l’environnement. La société MJS Partners a contesté l’arrêté préfectoral du 11 juillet 2023 devant le tribunal administratif de Lille et a, en outre, saisi le juge-commissaire du tribunal de commerce d’Arras pour être autorisée à ne pas assurer le paiement de la consignation, en se prévalant des dispositions du code de commerce sur le règlement des créances des sociétés placées en liquidation judiciaire.
2. Au cours de la procédure ainsi ouverte devant le juge-commissaire du tribunal de commerce d’Arras, le préfet du Pas-de-Calais a adressé un déclinatoire de compétence, auquel le juge-commissaire a fait droit par ordonnance du 12 décembre 2024. La société MJS Partners ayant fait appel de cette ordonnance devant la cour d’appel de Douai, le préfet a adressé un nouveau déclinatoire de compétence. Par arrêt du 22 mai 2025, la cour d’appel de Douai a rejeté ce déclinatoire. Par arrêté du 5 juin 2025, le préfet du Pas-de-Calais a élevé le conflit.
Sur la régularité de la procédure de conflit :
3. Aux termes de l’article 19 du décret du 27 février 2015 : « Dans le cas prévu à l'article 13 de la loi du 24 mai 1872 susvisée, le préfet adresse au greffe de la juridiction saisie un déclinatoire de compétence. A peine d'irrecevabilité, ce déclinatoire doit être motivé. / Les parties en sont informées par le greffe et sont invitées à faire connaître leurs observations écrites dans un délai de quinze jours à compter de la réception de la notification du greffe. / Le greffe communique l'affaire au ministère public afin qu'il puisse faire connaître son avis dans le même délai. Dès réception, le greffe porte cet avis à la connaissance du préfet et des parties par lettre remise contre signature. / Le délai prévu aux alinéas précédents peut être réduit par le président de la juridiction saisie, en cas d'urgence. » Aux termes de l’article 20 du même décret : « La juridiction statue sans délai, selon les règles de procédure qui lui sont applicables, sur le déclinatoire de compétence. » L’article 21 du même décret prévoit que le greffe adresse sans délai copie du jugement rendu sur la compétence au préfet et aux parties par lettre remise contre signature et que le ministère public en est avisé. Aux termes de l’article 22 du même décret : « Si ce jugement a rejeté le déclinatoire, le préfet peut élever le conflit par arrêté dans les quinze jours suivant la réception du jugement. Le conflit peut également être élevé si le tribunal a, avant expiration de ce délai, passé outre et jugé au fond (…) ».
4. En premier lieu, si l’article 20 du décret du 27 février 2015 prévoit que la juridiction judiciaire saisie statue sur le déclinatoire de compétence que lui a adressé le préfet selon les règles de procédure qui lui sont applicables, les règles selon lesquelles le préfet adresse à la juridiction un déclinatoire de compétence sont exclusivement fixées à l’article 19 de ce décret. Par suite, les circonstances que le déclinatoire du préfet du Pas-de-Calais n’ait pas indiqué devant quelle juridiction il demandait que l’affaire soit portée, alors que l’article 75 du code de procédure civile impose de le faire aux parties qui soulèvent une exception d’incompétence et qu’il n’ait pas été adressé au greffe de la cour d’appel de Douai par voie électronique, alors que l’article 930-1 du code de procédure civile le prévoit en principe pour les actes de procédure remis à la cour d’appel, sont sans incidence sur la régularité de la procédure de conflit, de même, en tout état de cause, que la circonstance que le préfet n’ait pas comparu devant le tribunal de commerce, alors que l’article 860-1 du code de procédure civile prévoit que la procédure y est orale.
5. En second lieu, l’arrêté du 5 juin 2025 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a élevé le conflit a été reçu le 10 juin au greffe de la cour d’appel de Douai, avant l’expiration du délai de quinze jours, imparti par l’article 22 du décret du 27 février 2015, suivant la réception par le préfet, le 28 mai 2025, de l’arrêt du 22 mai 2025 de la cour d’appel rejetant le déclinatoire de compétence.
Sur la compétence :
6. Aux termes de l’article L. 171-8 du code de l’environnement : « I.- (…) en cas d'inobservation des prescriptions applicables en vertu du présent code aux installations, ouvrages, travaux, aménagements, opérations, objets, dispositifs et activités, l'autorité administrative compétente met en demeure la personne à laquelle incombe l'obligation d'y satisfaire dans un délai qu'elle détermine. (…) / II.- Si, à l'expiration du délai imparti, il n'a pas été déféré à la mise en demeure (…), l'autorité administrative compétente peut arrêter une ou plusieurs des sanctions administratives suivantes : / 1° Obliger la personne mise en demeure à consigner entre les mains d'un comptable public avant une date déterminée par l'autorité administrative une somme correspondant au montant des travaux ou opérations à réaliser. / (…) / L'opposition à l'état exécutoire pris en application d'une mesure de consignation ordonnée par l'autorité administrative devant le juge administratif n'a pas de caractère suspensif ».
7. La juridiction administrative est compétente pour connaître des contestations relatives aux mesures de consignation prises en vertu des dispositions de l’article L. 171-8 du code de l’environnement et aux états exécutoires pris pour leur application. Toutefois, le tribunal de la procédure collective est, quelle que soit la nature des créances en cause, seul compétent pour connaître des contestations relatives à la mise en œuvre des règles propres à la procédure collective.
8. La demande formée par le liquidateur de la société Mader Colors devant le juge-commissaire du tribunal de commerce d’Arras a pour objet de saisir ce juge d’une contestation relative au paiement de la consignation ordonnée par l’arrêté du 11 juillet 2023 du préfet du Pas-de-Calais au regard des règles régissant le règlement des différentes créances des entreprises en liquidation judiciaire. Un tel litige porte sur la mise en œuvre des règles propres à la procédure collective et relève de la compétence de la juridiction judiciaire.
9. Il résulte de ce qui précède que c’est à tort que le préfet du Pas-de-Calais a revendiqué pour la juridiction administrative la connaissance du litige engagé par la société MJS Partners, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Mader Colors, devant le juge-commissaire du tribunal de commerce d’Arras.
10. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement de l’article 75 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L’arrêté de conflit pris le 5 juin 2025 par le préfet du Pas-de-Calais est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées au titre de l’article 75 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SELAS MJS Partners, à la société Mader France, à l’association CGEA Nord Est AGS, au préfet du Pas-de-Calais, au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et énergétique et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 octobre 2025 où siégeaient :
M. Philippe Mollard, conseiller à la Cour de cassation, président du Tribunal des conflits ; M. Jacques-Henri Stahl, Mme Isabelle de Silva, M. Nicolas Boulouis, Mme Gaëlle Dumortier, conseillers d’Etat ; Mme Frédérique Agostini, M. Philippe Flores, M. François Ancel, conseillers à la Cour de cassation.
Lu en séance publique le 6 octobre 2025.
Le président :
Le rapporteur :
La secrétaire :