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Ariane Web: CAA BORdeAUX 15BX02389, lecture du 17 juillet 2017

Décision n° 15BX02389
17 juillet 2017
CAA de BORDEAUX

N° 15BX02389

FORMATION DE CHAMBRES REUNIES
M. DE MALAFOSSE, président
Mme Marie-Pierre DUPUY, rapporteur
M. de la TAILLE LOLAINVILLE, rapporteur public
CABINET PALMIER & ASSOCIES, avocats


Lecture du lundi 17 juillet 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Philippe Vediaud Publicité a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler la décision du 18 novembre 2011 par laquelle la commune d'Eysines a décidé de résilier le contrat portant sur la mise à disposition, l'installation, l'entretien et la maintenance de mobiliers urbains publicitaires et non publicitaires et de condamner cette commune à lui verser une somme de 8 573,09 euros par an à titre d'indemnité.

Par un jugement n° 1200217 du 13 mai 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la requête, condamné la société Philippe Vediaud Publicité à verser à la commune d'Eysines la somme de 58 000 euros au titre des pénalités de retard prévues au contrat et rejeté le surplus des conclusions de ladite commune .

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 7 juillet 2015, 23 mai 2016, 16 août 2016, 21 octobre 2016 et 28 avril 2017, la société Philippe Vediaud Publicité, représentée par MeE..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 13 mai 2015 ;

2°) de condamner la commune d'Eysines à lui verser une somme de 8 573,09 euros par an, soit une somme totale de 77 157, 81 euros HT, en réparation des préjudices subis du fait de cette résiliation ;

3°) de condamner la commune d'Eysines à lui verser une somme de 51 116, 64 euros HT, en réparation du préjudice de perte d'exploitation subi du fait de l'impossibilité d'exploiter deux mobiliers urbains ;

4°) d'ordonner une expertise aux fins d'évaluer son préjudice de perte d'exploitation ;

5°) de mettre à la charge de la commune d'Eysines une somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- le jugement a été rendu à l'issue d'une procédure irrégulière ; en effet, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative, le système d'information du suivi de l'instruction renseigné par le rapporteur public indiquait qu'il concluait à la satisfaction totale ou partielle puis, de manière contradictoire, qu'il concluait à sa condamnation à verser une somme de 20 000 euros au titre des pénalités de retard ; cette contradiction n'a pas permis de préparer des observations orales adaptées ; de plus, cette information n'a été publiée sur le système SAGACE que le 14 avril 2015 à 10h40 alors que l'audience était fixée au 15 avril 2015 à 10h30 ;
- la communauté urbaine de Bordeaux avait compétence exclusive pour la gestion du domaine public routier communal ; la commune d'Eysines était ainsi incompétente pour conclure un marché portant sur l'installation de mobiliers urbains sur le domaine public routier de la communauté urbaine de Bordeaux ; le marché en cause est par suite entaché d'une nullité d'ordre public, contrairement à ce qu'a considéré le tribunal ; cette nullité entraîne l'annulation de la décision de résiliation et de l'application des pénalités contractuelles ;
- le contrat en cause a pour objet la gestion du domaine public intercommunal, qui relève de la compétence exclusive de la communauté urbaine de Bordeaux ; son objet est par suite illicite ; le contrat constitue non pas un marché public mais une convention d'occupation du domaine public ;
- le contrat est également entaché de nullité en ce qu'il ne comporte pas de régie de recettes permettant au maire de la commune d'Eysines de recouvrer des recettes publiques au nom et pour le compte du président de la communauté urbaine de Bordeaux ;
- s'agissant des mobiliers urbains, la liste figurant à l'annexe 2 du CCTP n'était pas, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, indicative, mais constituait le seul document contractuel dont elle disposait ; or, sur l'ensemble des emplacements résultant de cette liste, elle n'a pas obtenu l'autorisation d'occupation du domaine public s'agissant de 11 d'entre eux, soit un tiers, et ainsi été empêchée d'exécuter ses obligations contractuelles ; la commune d'Eysines, à laquelle il appartenait de solliciter des autorisations d'occupation du domaine public, n'avait donc pas vérifié au préalable la faisabilité des implantations exigées ; il ne résulte d'aucune stipulation contractuelle qu'il lui appartenait de rechercher de nouveaux emplacements en vue de l'implantation des mobiliers urbains, ce qu'elle a pourtant fait ; la défaillance de la commune d'Eysines lui a imposé un travail supplémentaire considérable de recherche d'emplacements ; le 28 juillet 2010, la commune d'Eysines a reconnu que 35 des 37 mobiliers étaient installés ; les mobiliers manquants, correspondants aux emplacements n° 6 et n° 21, ont dû être démontés ; à la date du 31 décembre 2010, les 11 dispositifs manquants étaient installés ; ce n'est pas que par une délibération postérieure du 11 août 2011 que la CUB a autorisé l'occupation de son domaine public pour les 38 panneaux d'affichage, en mentionnant expressément la liste des 38 emplacements, le 38ème emplacement ayant remplacé l'emplacement n° 6 initial ; alors que cette délibération a été prise le 11 août 2011 et lui a été adressée le 29 août suivant, la commune d'Eysines a fait réaliser un constat d'huissier dès le 31 août 2011 ; ce constat d'huissier constate que des panneaux manquent à des emplacements qui ne figurent pas sur la délibération de la CUB ; il appartenait au tribunal d'en tirer les conséquences ; au total, elle a implanté l'ensemble des mobiliers urbains pour lesquels elle a obtenu une autorisation expresse de la CUB, hormis s'agissant des emplacements n°6 et n°21, sur demande de la commune d'Eysines ; elle a proposé de remplacer l'emplacement n° 6 par le n°38, mais cette proposition a été rejetée par la commune ; ainsi, si à la date de résiliation deux mobiliers urbains manquaient, cette situation résulte des propres fautes de la commune ;
- s'agissant des panneaux électroniques, elle fournit le plan des quatre panneaux installés ; la consommation électronique et le coût des abonnements étant, selon le contrat, à la charge de la commune d'Eysines, il faut en déduire que l'opération préalable de mise en place d'un compteur lui revenait également ; elle a accompli les démarches qui étaient à sa charge ainsi que cela résulte des courriers d'ERDF ; en vertu de l'article 1162 du code civil, en cas de doute, il convient d'interpréter le contrat en faveur de celui qui a contracté l'obligation ;
- la résiliation en cause présente un caractère disproportionné, compte tenu de ce que les manquements qui lui sont reprochés ont pour origine les fautes commises par la commune ;
- la résiliation est donc intervenue dans des conditions irrégulières, de sorte qu'elle est fondée à demander l'indemnisation de son préjudice, qui ne peut être inférieur au montant des dépenses qu'elle a engagées inutilement du fait des fautes commises par la commune d'Eysines ;
- s'agissant de la détermination du montant des pénalités de retard, le tribunal a commis une erreur de droit ; en effet, le marché a été notifié le 5 janvier 2009 et résilié le 18 novembre 2011, de sorte que le montant des pénalités devait être calculé sur la base de cette durée et non sur la durée entière du contrat ;
- deux mobiliers urbains n'ayant pu être exploités en raison des fautes commises par la commune, elle sollicite la réparation du préjudice tenant à la perte d'exploitation ainsi subie, qui s'élève à 9 594, 14 euros jusqu'à la date de résiliation illégale du contrat et à la somme totale de 51 116, 64 euros jusqu'à la date de fin théorique du contrat ; ces conclusions indemnitaires ne sont pas nouvelles en appel ; en effet, le préjudice dont il a été demandé initialement réparation était à parfaire ; de plus, cette demande indemnitaire ne repose pas sur un fait générateur distinct puisque le préjudice allégué est lié au comportement fautif de la commune dans la définition des emplacements des mobiliers urbains ; le chiffrage du préjudice est exact, et il est loisible à la cour d'ordonner le cas échéant une expertise sur ce point ;
- s'agissant de la question relative à l'absence de contrepartie au contrat, il convient de souligner que les panneaux avaient vocation à être principalement installés sur le domaine public communautaire ; si le contrat a aussi pour objet de fournir une prestation d'impression d'affiches et de plans, de telles prestations n'ont de raison d'être que dans la mesure où le titulaire du contrat a l'autorisation d'exploiter les panneaux ; la compétence en matière d'affichage suit celle en matière de voirie, de sorte que la commune ne peut assurer au titulaire la délivrance d'un titre l'autorisant à exploiter les panneaux, délivrance qui constitue la condition sine qua non de l'engagement du titulaire ; la nullité du contrat en cause ne fera pas obstacle à l'information municipale dès lors que la commune peut procéder à cet affichage sur son propre domaine public ou envisager, en lien avec la métropole, un montage juridique légal.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 18 avril 2016, 30 août 2016 et 29 mars 2017, la commune d'Eysines conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Philippe Vediaud Publicité d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Elle soutient que :
- la lecture du sens synthétique des conclusions du rapporteur public permettait à la requérante d'en appréhender la teneur et de préparer utilement l'audience ; les dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative n'ont ainsi pas été méconnues ;
- il résulte de la réponse ministérielle n° 20682 du 13 avril 2006 que les ouvrages tels que mobiliers urbains, bien qu'affectant l'emprise des trottoirs, correspondent à un besoin des habitants de la commune et ne contribuent en rien aux besoins de la circulation routière, de sorte qu'ils ne relèvent pas de la compétence " signalisation et voirie " d'une communauté urbaine ; le présent contrat, compte tenu de son objet et de ce qu'il prévoit l'obtention d'autorisations d'occupation du domaine public par la CUB, répond à un besoin municipal ; le contrat n'est ainsi pas entaché d'incompétence de son signataire ; au demeurant, si le contrat devait être écarté, la société ne serait alors pas fondé à demander l'indemnisation du préjudice résultant de la résiliation de ce contrat ;
- l'objet du contrat n'est pas illicite, et ce contrat ne constitue pas une convention d'occupation du domaine public puisqu'il répond aux besoins de la commune en termes d'information municipale ;
- la société requérante, qui avait connaissance des termes du contrat, ne pouvait ignorer que l'exécution des prestations prévues au contrat étaient subordonnées à l'octroi d'autorisations d'occupation du domaine public par la CUB, et qu'il lui appartenait de solliciter ces autorisations ;
- s'agissant des mobiliers urbains, il appartenait à la société de solliciter les autorisations d'occupation du domaine public dans un délai lui permettant de mettre en oeuvre ses prestations dans les délais contractuels ; or, elle ne démontre pas avoir accompli ces démarches ; alors que, à la date du 6 juillet 2010, la société disposait d'emplacements autorisés, l'ensemble des mobiliers urbains n'étaient pas installés ;
- s'agissant des journaux électroniques, les retards sont intégralement imputables à la société, à laquelle incombaient les frais de raccordement électrique et téléphonique comme le stipulent de manière parfaitement claire les articles 8-2, 9 et 14 du CCTP ; (voir pièces 12, 14 et 15) ; il est inexact d'affirmer que l'installation du journal situé avenue de la Libération aurait nécessité d'importants travaux, travaux qui étaient en tout état de cause la conséquence des obligations contractuelles de la société ; la demande de déplacement d'un panneau a été faite le 28 juillet 2010, et rien ne justifie que ce panneau n'ait pas été installé un an et demi plus tard ;
- les pénalités de retard sont dues, s'agissant des mobiliers urbains, à compter du 6 mars 2009, et s'agissant des journaux électroniques, à compter du 6 avril 2009 ; alors que la société Vediaud a pu exploiter l'essentiel des dispositifs publicitaires, la commune n'a pu véhiculer les informations intéressant la population ; dans ces conditions, la modulation opérée par le tribunal est fondée et motivée ;
- la résiliation était justifiée, de sorte que les conclusions indemnitaires de la requérante ne peuvent être accueillies ; au demeurant, le chiffrage de la société ne repose sur aucun document comptable ;
- les conclusions indemnitaires portant sur la perte de marge sur deux mobiliers publicitaires sont irrecevables ; en effet, elles reposent sur un fait générateur distinct de celui constitué par la décision de résiliation du contrat, de sorte que ces conclusions sont nouvelles ; en tout état de cause, la somme demandée fait double emploi avec celle demandée dans sa réclamation initiale, et le chiffrage n'est assorti d'aucun justificatif ;
- s'agissant de la question relative à l'absence de contrepartie au contrat, il convient de souligner que certains des panneaux ne se trouvaient pas sur le domaine public communautaire et que l'objet du contrat était également de fournir une prestation d'impression d'affiches et de plans, divisible de celle d'installation des supports d'affiches ; le transfert de la compétence en matière de voirie à la communauté urbaine ne faisait pas obstacle à ce qu'elle passe des contrats relatifs à l'information municipale ; la société Vediaud n'a elle-même pas invoqué la nullité du contrat tenant à l'absence de contrepartie, s'étant uniquement centrée sur l'incompétence de la commune pour conclure le contrat ; en effet, cette société a pu exploiter les panneaux, faute de quoi elle aurait intenté un recours indemnitaire ; la contrepartie, consistant en la prise en charge de la consommation électrique, était réelle ; une permission de voirie est en tout état de cause précaire ; la métropole ne serait pas davantage compétente pour conclure un tel contrat, qui vise la satisfaction des besoins de la population de la seule commune.

Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des marchés publics ;
- la loi n° 66-1069 du 31 décembre 1966 relative aux communautés urbaines ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,
- les conclusions de M. J...de la Taille, rapporteur public,
- et les observations de Me C... représentant la société Philippe Vediaud Publicité, et les observations de Me G...représentant le commune d'Eysines.


Considérant ce qui suit :

1. A l'issue d'une procédure d'appel d'offres ouvert, la commune d'Eysines, alors membre de la Communauté urbaine de Bordeaux, et la société Philippe Vediaud Publicité ont conclu un contrat, notifié le 5 janvier 2009, relatif à la mise à disposition, l'installation, l'entretien et la maintenance de mobilier publicitaire et non publicitaire sur le territoire de la commune d'Eysines. Ce contrat, conclu pour une durée de dix ans, portait sur la mise en place, dans un délai de deux mois, de 32 mobiliers publicitaires d'information municipale double face et 5 mobiliers non publicitaires d'information municipale et, dans un délai de trois mois, de quatre journaux électroniques ; la société devait financer sa prestation globale par l'exploitation publicitaire du mobilier. Par décision du 14 avril 2011, la commune a mis la société en demeure de réaliser l'intégralité des prestations prévues au contrat en installant les mobiliers d'information municipale manquants et en raccordant les journaux électroniques au réseau électrique. Par une décision du 18 novembre 2011, notifiée le 22 novembre 2011, la commune a résilié le contrat aux torts de la société au motif qu'elle n'avait pas exécuté la totalité de ses obligations contractuelles, cette résiliation prenant effet au 15 juin 2012. La société Philippe Vediaud Publicité a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner la commune à lui verser une somme de 8 573,09 euros par an à titre d'indemnité. La commune a présenté des conclusions reconventionnelles tendant à la condamnation de la société à lui verser une somme totale de 1 071 000 euros au titre des pénalités de retard. Par un jugement n° 1200217 du 13 mai 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la requête et condamné la société Philippe Vediaud Publicité à verser à la commune d'Eysines la somme de 58 000 euros au titre des pénalités de retard prévues au contrat. La société Philippe Vediaud Publicité relève appel de ce jugement et demande à la cour de condamner la commune d'Eysines à lui verser, d'une part, une somme de 8 573,09 euros par an, soit une somme totale de 77 157, 81 euros HT, en réparation des préjudices subis du fait de la décision de résiliation du 18 novembre 2011, d'autre part, une somme de 51 116, 64 euros HT en réparation du préjudice de perte d'exploitation subi du fait de l'impossibilité d'exploiter deux mobiliers urbains.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune d'Eysines :

2. Ainsi que le soutient la commune d'Eysines, les conclusions de la société Philippe Vediaud Publicité tendant à la condamnation de ladite commune à l'indemniser du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'impossibilité d'exploiter deux mobiliers urbains, qu'elle impute au comportement fautif de la commune, tendent à la réparation des conséquences d'un fait générateur distinct de celui tenant à la décision de résiliation du contrat. Ces conclusions, nouvelles en appel, sont par suite irrecevables.


Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Le premier alinéa de l'article R. 711-3 du code de justice administrative dispose que : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne ". La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par ces dispositions, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire. Cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public. En revanche, s'il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, la communication de ces informations n'est toutefois pas prescrite à peine d'irrégularité de la décision.

4. Il ressort du relevé de l'application " Sagace " que le rapporteur public a porté à la connaissance des parties, le 14 avril 2015 à 10h40, le sens des conclusions qu'il envisageait de prononcer dans les termes suivants : " Satisfaction totale ou partielle ; condamnation de l'entreprise Philippe Vediaud à verser à la commune d'Eysines la somme de 20 000 euros à titre de pénalités de retard (conclusions reconventionnelles) - Rejet au fond des conclusions des parties ". Eu égard à la teneur de ces indications, qui, contrairement à ce qui est soutenu, ne comportent aucune contradiction, les parties ont été mises en mesure de connaître l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public comptait proposer au tribunal administratif d'adopter. En portant ces informations à la connaissance des parties vingt-quatre heures avant l'audience, qui s'est tenue le 15 avril 2015 à 10h30, le rapporteur public les a informées, dans un délai raisonnable avant l'audience, du sens de ses conclusions. Le moyen tiré de ce que le jugement attaqué aurait été rendu au terme d'une procédure irrégulière doit, par suite, être écarté.




Au fond :

5. Un contrat est illégal lorsqu'il est dépourvu de cause ou qu'il est fondé sur une cause qui, en raison de l'objet de ce contrat ou du but poursuivi par les parties, présente un caractère illicite.

6. Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.

7. D'une part, aux termes de l'article L. 5215-20-1 du code général des collectivités territoriales dans sa version applicable en l'espèce : " Les communautés urbaines existant à la date de promulgation de la loi n°99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale continuent d'exercer à titre obligatoire, au lieu et place des communes membres, les compétences suivantes : (...) 11° Voirie et signalisation (...) ". En vertu de ces dispositions, la gestion des dépendances du domaine public routier comprises dans le périmètre de la communauté urbaine de Bordeaux relevait, à la date à laquelle a été signé le contrat litigieux, de la compétence de cet établissement public.

8. D'autre part, l'occupation d'une dépendance du domaine public fait l'objet, lorsqu'elle donne lieu à emprise, d'une permission de voirie qui, à la date à laquelle le contrat a été conclu, était délivrée sauf disposition contraire par l'autorité responsable de la gestion du domaine.

9. Il n'appartenait ainsi qu'à la communauté urbaine de Bordeaux, à la date de signature du contrat en litige, de délivrer des permissions de voirie pour autoriser l'installation de mobiliers d'affichage sur le domaine public routier dès lors que l'installation de ces mobiliers impliquait une emprise dans le sol, et, par voie de conséquence, de réglementer, tant dans l'intérêt du domaine et de son affectation, que dans l'intérêt général, les conditions auxquelles doit satisfaire l'affichage, cette faculté comportant celle de concéder l'affichage sur ces emplacements à une entreprise d'affichage.

10. Il résulte de l'instruction que le contrat conclu le 4 janvier 2009 entre la commune d'Eysines et la société Philippe Vediaud Publicité prévoit l'installation, par voie de fixation au sol, de mobiliers d'affichage, ayant vocation à être implantés principalement sur le domaine public routier et ses dépendances ainsi que le précise l'article 8-3 du cahier des clauses techniques particulières auquel le contrat renvoie. Le contrat stipule que le titulaire, avant d'installer le mobilier urbain, doit solliciter auprès de la communauté urbaine de Bordeaux, en sa qualité de propriétaire et de gestionnaire du domaine public routier, des permissions de voirie portant autorisation d'occuper le domaine public et d'exécuter les travaux d'installation des mobiliers en cause. Concernant les obligations réciproques des parties, il résulte des pièces contractuelles que le titulaire s'engage à assurer des prestations d'installation, d'entretien et de maintenance des panneaux d'affichage ainsi que des prestations d'impression et d'affichage. En contrepartie de l'exécution de ces prestations, le contrat prévoit le droit, pour le titulaire, d'exploiter les espaces publicitaires équipant les mobiliers urbains. Le point D de l'acte d'engagement, relatif au " prix ", stipule ainsi que le mobilier urbain " sera mis gratuitement à la disposition de la ville d'Eysines, à charge pour le titulaire de financer sa prestation globale par l'exploitation publicitaire du mobilier ". L'article 16-4 du cahier des clauses techniques particulières ajoute, s'agissant des " obligations de la ville ", que la consommation électrique et le coût des consommations et abonnements aux réseaux d'eau et d'assainissement sont pris en charge par la commune, et que cette dernière " s'engage à ne rien installer ou laisser sur, dans, ou aux abords immédiats de ces mobiliers qui serait de nature à modifier les mobiliers, détériorer leur esthétique ou gêner la visibilité publicitaire sans l'accord du titulaire du marché " et " à n'apporter aucune modification aux mobiliers ".

11. Il résulte de ce qui a été dit au point 9 que la commune d'Eysines, alors membre de la communauté urbaine de Bordeaux, devenue Bordeaux métropole, n'avait pas le pouvoir de concéder l'affichage sur les mobiliers objets du contrat litigieux installés sur le domaine public routier dont la Communauté urbaine de Bordeaux était gestionnaire. La circonstance que le contrat prévoit la délivrance, par la communauté urbaine de Bordeaux, de permissions de voirie pour l'installation des mobiliers d'affichage, n'a pas eu pour effet de conférer à la commune d'Eysines un tel pouvoir. La clause contractuelle susanalysée offrant au titulaire du contrat, en contrepartie de ses prestations, un droit d'affichage sur ces mobiliers est, par suite, illégale. Eu égard au caractère déterminant de cette contrepartie, la société Philippe Vediaud Publicité est fondée à soutenir que le contrat comporte un contenu illicite.

12. Le présent litige ne pouvant être réglé sur le terrain contractuel, la société Philippe Vediaud Publicité n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices subis du fait de la décision du 18 novembre 2011 par laquelle la commune d'Eysines a décidé de résilier le contrat litigieux. La société requérante est en revanche fondée à soutenir que c'est à tort que, par le même jugement, le tribunal administratif de Bordeaux l'a condamnée à verser une somme de 58 000 euros à la commune d'Eysines au titre des pénalités de retard prévues par ledit contrat et à demander, dans cette mesure, l'annulation du jugement.


Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :



Article 1er : Le jugement n° 1200217 du tribunal administratif de Bordeaux du 13 mai 2015 est annulé en tant qu'il a condamné la société Philippe Vediaud Publicité à verser une somme de 58 000 euros à la commune d'Eysines au titre des pénalités de retard.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune d'Eysines devant le tribunal administratif tendant à la condamnation de la société Philippe Vediaud Publicité à lui verser une somme de 1 071 000 euros au titre des pénalités de retard sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Philippe Vediaud Publicité est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune d'Eysines au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Philippe Vediaud Publicité et à la commune d'Eysines.


Délibéré après l'audience du 4 juillet 2017 à laquelle siégeaient :

Mme Anne Guérin, président,
M. A...N..., M. I...K..., M. D...B..., M. M...F..., présidents assesseurs,
Mme H...L..., Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premiers conseillers.

Lu en audience publique, le 17 juillet 2017.
Le rapporteur,
Marie-Pierre BEUVE DUPUYLe président,
Anne GUERIN
Le greffier,
Virginie MARTY
La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.



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