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Ariane Web: CAA BORdeAUX 16BX00594, lecture du 27 avril 2018

Décision n° 16BX00594
27 avril 2018
CAA de BORDEAUX

N° 16BX00594

4ème chambre - formation à 3
M. POUZOULET, président
Mme Caroline GAILLARD, rapporteur
Mme MUNOZ-PAUZIES, rapporteur public
VACONSIN, avocats


Lecture du vendredi 27 avril 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Château de Fleurac a demandé par une requête du 30 avril 2014 au tribunal administratif de Bordeaux de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2011.

Par un jugement n° 1401702 du 17 décembre 2015, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 11 février 2016, le 11 janvier 2017, le 1er février 2017, le 3 mars 2017 et le 8 mars 2017, la SCI Château de Fleurac, représentée par MeE..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 17 décembre 2015 ;

2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités susmentionnées.

Elle soutient que :
- la procédure est irrégulière au regard des dispositions combinées de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales et du paragraphe V du chapitre III de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié : après un recours hiérarchique devant l'inspecteur principal chef de brigade, le 11 décembre 2012, elle a sollicité un entretien avec l'interlocuteur départemental, MmeB..., administrateur des finances publiques adjoint ; son représentant a été reçu par M.F... ; or ce dernier n'avait pas le grade requis pour exercer cette fonction étant lui-même d'un grade inférieur à celui du supérieur hiérarchique du vérificateur ; si M. F...bénéficie d'une délégation, celle-ci est irrégulière en ce qu'elle prévoit qu'un recours hiérarchique puisse être effectué devant un interlocuteur de rang moins élevé que celui de l'auteur de la décision contestée ; en outre, la délégation consentie à M. F... est limitée au cas d'absence ou d'empêchement de l'interlocuteur départemental titulaire ; or il n'est pas justifié de l'absence ou de l'empêchement de l'interlocuteur départemental ;
- l'administration s'est placée implicitement dans le cadre de l'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;
- la SCI a effectué des travaux d'aménagement importants en vue de l'exploitation commerciale du château ; avant l'achèvement desdits travaux, aucune exploitation n'était possible compte tenu de la clientèle exigeante à laquelle la SCI s'adressait ; au demeurant, dès 2012, alors que les travaux n'étaient pas complètement achevés, la SCI a commencé son activité commerciale ;
- le bailleur de fonds a séjourné au château lors des visites effectuées sur place pour suivre le déroulement des travaux ; après l'achèvement des travaux, les porteurs de part de la SCI n'ont jamais occupé le château ; ils ne résident d'ailleurs pas en France ; le château a été utilisé uniquement en vue d'une exploitation commerciale ;
- la pénalité de 40 % n'est pas justifiée.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 27 juillet 2016, le 19 janvier 2017, le 23 février 2017 et le 27 mars 2017, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :
- les garanties offertes par la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ont été respectées : M.F..., interlocuteur départemental par intérim, inspecteur divisionnaire, chef de la division " contrôle fiscal et contentieux " bénéficiait d'une délégation spéciale de signature en cas d'empêchement ou d'absence de MmeB..., administrateur des finances publiques adjoint, en vertu d'une décision du directeur départemental de la Dordogne du 1er septembre 2012 ; aucune disposition n'imposait à l'administrateur de désigner un remplaçant ayant au moins le grade de directeur divisionnaire en cas d'absence ou d'empêchement du titulaire pour assurer la fonction d'interlocuteur départemental ; la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ne prévoit aucun grade hiérarchique spécifique pour exercer cette fonction ; M. F...possède un grade plus élevé que celui du vérificateur qui a réalisé le contrôle ;
- l'administration n'a pas mis en oeuvre les dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales dès lors qu'elle n'a pas regardé le bail comme étant fictif ou conclu dans le seul but d'éluder l'impôt ;
- la SCI Château de Fleurac ne pouvait pas opter pour l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement du 2° de l'article 260 du code général des impôts dès lors que les investigations du service ont permis de constater que les locaux en cause étaient destinés non à l'activité commerciale de location de chambre d'hôtes ou de gîte rural prévu par le bail mais uniquement à l'habitation ; aucune activité n'avait commencé quatre ans après le début des travaux de rénovation et aucune démarche commerciale, de publicité ou administrative n'avait été engagée pour l'exploitation commerciale du château ;
- la pénalité pour mauvaise foi est justifiée : la requérante avait nécessairement connaissance du caractère personnel des dépenses engagées en l'absence de commencement d'activité commerciale et d'utilisation privative des locaux et les remboursements de crédits de taxe sur la valeur ajoutée en litige sont importants.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Caroline Gaillard ;
- les conclusions de Mme Frédérique Munoz-Pauziès, rapporteur public ;
- et les observations de Me A...pour la SCI Château de Fleurac.


Considérant ce qui suit :


1. La SCI Château de Fleurac a acquis le château de Fleurac en Périgord le 17 octobre 2008. Le 4 décembre 2008, le bien a été donné à bail à la SARL chargée de la gestion du château afin d'y exploiter une activité de chambres d'hôtes et de réceptions. La SCI a opté pour l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée en application du 2° de l'article 260 du code général des impôts. Cette option lui a ouvert le droit de déduire la taxe ayant grevé les travaux de rénovation du château réalisés de 2009 à 2011 pour un montant de 1 203 733 euros.

2. En 2012, la SCI Château de Fleurac a fait l'objet d'un contrôle sur place et d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2011 à l'issue desquels le service a remis en cause l'option exercée par la société au motif que le château n'avait pas fait l'objet d'une exploitation hôtelière mais avait fait l'objet d'une occupation privative. La SCI a contesté les rappels de taxe qui en ont résulté, mais après recours hiérarchique et entretien avec l'interlocuteur départemental, ceux-ci ont été confirmés. La SCI relève appel du jugement du 17 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande en décharge des droits et pénalités procédant du contrôle et restant en litige après un dégrèvement partiel prononcé le 24 juin 2013. Devant la cour, le montant des droits et pénalités en litige s'élève à 1 685 226 euros.

3. En vertu de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, les dispositions contenues dans la charte des droits et obligations du contribuable vérifié sont opposables à l'administration. Aux termes du paragraphe 5 du chapitre III de la charte applicable aux faits du litige : " Si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les redressements envisagés, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l'inspecteur principal (...). Si après ces contacts des divergences importantes subsistent, vous pouvez faire appel à l'interlocuteur départemental ou régional qui est un fonctionnaire de rang élevé spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur (...) ".

4. Les dispositions de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié citées au point 3 assurent à ce dernier la garantie substantielle de pouvoir obtenir, avant la clôture de la procédure de redressement, un débat avec le supérieur hiérarchique du vérificateur puis, le cas échéant, avec un fonctionnaire de l'administration fiscale de rang plus élevé. Cette garantie doit pouvoir être exercée par le contribuable dans des conditions ne conduisant pas à ce qu'elle soit privée d'effectivité.

5. L'avis de contrôle du 11 janvier 2012 indiquait à la société qu'elle pouvait faire appel en cas de désaccord à l'interlocuteur départemental dont la fonction était assurée par Mme C...B..., administrateur des finances publiques adjoint. Après un recours hiérarchique infructueux devant l'inspecteur principal chef de brigade, le 11 décembre 2012, la société a sollicité un entretien avec l'interlocuteur départemental. Toutefois, son représentant a été reçu le 11 décembre 2012 par M. D...F..., inspecteur divisionnaire et chef de la division du contrôle fiscal et du contentieux, titulaire, en vertu d'une décision n° 4/2012 du 1er septembre 2012 du directeur départemental des finances publiques de la Dordogne, de la même délégation que celle consentie à MmeB..., administrateur des finances publiques adjoint et interlocuteur départemental en titre, en cas d'absence ou d'empêchement de cette dernière.

6. A supposer même que M. F...aurait été expressément habilité aux fins d'exercer les fonctions d'interlocuteur départemental, ce fonctionnaire ne peut pas être regardé comme ayant eu un rang suffisant au sens des dispositions précitées de la charte du contribuable vérifié pour remplacer l'interlocuteur départemental en titre, en l'absence de ce dernier. La société ayant ainsi été privée d'une garantie, la procédure d'imposition est entachée d'irrégularité.

7. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, la SCI Château de Fleurac est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande en décharge.


DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1401702 du 17 décembre 2015 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : La SCI Château de Fleurac est déchargée des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2009 au 30 septembre 2011 pour un montant de 1 685 226 euros restant en litige.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Château de Fleurac et au ministre de l'action et des comptes publics. Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal sud-ouest.
Délibéré après l'audience du 16 mars 2018 à laquelle siégeaient :
M. Philippe Pouzoulet, président,
Mme Marianne Pouget, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 27 avril 2018.
Le rapporteur,
Caroline Gaillard
Le président,
Philippe Pouzoulet
Le greffier,
Florence Deligey
La République mande et ordonne ministre de l'action et des comptes publics, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX000594


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