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Ariane Web: CAA NANTES 19NT03313, lecture du 19 juin 2020

Décision n° 19NT03313
19 juin 2020
CAA de NANTES

N° 19NT03313

5ème chambre
M. CELERIER, président
Mme Pénélope PICQUET, rapporteur
M. SACHER, rapporteur public
SCP CHENEAU ET PUYBASSET, avocats


Lecture du vendredi 19 juin 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association Plestin-Environnement a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 5 octobre 2017 par lequel le maire de Locquirec a délivré à M. A... un permis de construire l'extension d'une maison individuelle sur un terrain situé 21, chemin de la Pointe.

Par un jugement no 1805999 du 14 juin 2019, le tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté du 5 octobre 2017.

Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 août 2019 et 21 novembre 2019, la commune de Locquirec, représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement no 1805999 du 14 juin 2019 du tribunal administratif de Rennes ;
2°) de rejeter la demande de première instance de l'association Plestin-Environnement ;
3°) de mettre à la charge de l'association Plestin-Environnement la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- la demande de première instance était irrecevable car tardive ;
- le projet en cause respecte l'article L. 121-16 du code de l'urbanisme ainsi que le règlement du plan d'occupation des sols (POS).
Par des mémoires en défense, enregistrés les 2 octobre 2019 et 9 décembre 2019, l'association Plestin-Environnement, représentée par Me E..., conclut, dans le dernier état de ses écritures :

1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce que soit mise à la charge de la commune de Locquirec la somme de 3 500 euros et, à la charge de M. A..., la même somme, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par la requérante et M. A... n'est fondé et que M. A..., en sa qualité d'intervenant, ne peut prétendre au bénéfice de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

M. A..., représenté par Me B..., a présenté des observations enregistrées le 28 octobre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience. Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D...,
- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public,
- et les observations de Me F..., représentant la commune de Locquirec, de Me E... représentant l'association Plestin-Environnement et de Me B... représentant M. A....

Une note en délibéré, enregistrée le 12 juin 2020, a été présentée pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... a sollicité le 13 juillet 2017 la délivrance d'un permis de construire portant sur l'extension d'une construction existante située au 21, chemin de la Pointe à Locquirec. Ce permis de construire lui a été délivré par un arrêté du maire de la commune de Locquirec du 5 octobre 2017 au regard de la situation privilégiée du bien, son état de conservation, son histoire, l'extension sollicitée ayant pour but de lui rendre son aspect d'origine, de l'époque des bains de mer. L'association Plestin-Environnement a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler cet arrêté. Par un jugement du 14 juin 2019, le tribunal a annulé cet arrêté du 5 octobre 2017. La commune de Locquirec fait appel de ce jugement.
Sur le " mémoire en intervention " de M. A... :
2. M. A..., bénéficiaire du permis de construire, était partie en première instance mais n'a pas fait appel. Il a été invité par la cour à présenter des observations sur la requête n° 19NT03313 présentée pour la commune de Locquirec. Dès lors, ses écritures doivent être prises en compte en tant que simples observations.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :
3. Aux termes de l'article R. 600-2 du code de l'urbanisme : " Le délai de recours contentieux à l'encontre d'une décision de non-opposition à une déclaration préalable (...) court à l'égard des tiers à compter du premier jour d'une période continue de deux mois d'affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l'article R. 424-15 ". Aux termes de l'article R. 424-15 du code de l'urbanisme : " Mention du permis explicite ou tacite ou de la déclaration préalable doit être affichée sur le terrain, de manière visible de l'extérieur, par les soins de son bénéficiaire, dès la notification de l'arrêté ou dès la date à laquelle le permis tacite ou la décision de non-opposition à la déclaration préalable est acquis et pendant toute la durée du chantier. Cet affichage n'est pas obligatoire pour les déclarations préalables portant sur une coupe ou un abattage d'arbres situés en dehors des secteurs urbanisés. (...) / Un arrêté du ministre chargé de l'urbanisme règle le contenu et les formes de l'affichage ". Aux termes de l'article A. 424-16 dans sa rédaction applicable au présent litige : " Le panneau prévu à l'article A. 424-15 indique le nom, la raison sociale ou la dénomination sociale du bénéficiaire, le nom de l'architecte auteur du projet architectural, la date de délivrance, le numéro et la date d'affichage en mairie du permis, la nature du projet et la superficie du terrain ainsi que l'adresse de la mairie où le dossier peut être consulté. Il indique également, en fonction de la nature du projet : a) Si le projet prévoit des constructions, la surface de plancher autorisée ainsi que la hauteur de la ou des constructions, exprimée en mètres par rapport au sol naturel ; (...) ". Aux termes de l'article A. 424-17 du même code : " Le panneau d'affichage comprend la mention suivante : / " Droit de recours : / " Le délai de recours contentieux est de deux mois à compter du premier jour d'une période continue de deux mois d'affichage sur le terrain du présent panneau (art. R. 600-2 du code de l'urbanisme). (...) ". Aux termes de l'article A. 424-18 de ce même code : " Le panneau d'affichage doit être installé de telle sorte que les renseignements qu'il contient demeurent lisibles de la voie publique ou des espaces ouverts au public pendant toute la durée du chantier ".
4. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contesté indéfiniment par les tiers un permis de construire, une décision de non-opposition à une déclaration préalable, un permis d'aménager ou un permis de démolir. Dans le cas où l'affichage du permis ou de la déclaration, par ailleurs conforme aux prescriptions de l'article R. 424-15 du code de l'urbanisme, n'a pas fait courir le délai de recours de deux mois prévu à l'article R. 600-2, faute de mentionner ce délai conformément à l'article A. 424-17, un recours contentieux doit néanmoins, pour être recevable, être présenté dans un délai raisonnable à compter du premier jour de la période continue de deux mois d'affichage sur le terrain. En règle générale et sauf circonstance particulière dont se prévaudrait le requérant, un délai excédant un an ne peut être regardé comme raisonnable. Il résulte en outre de l'article R. 600-3 du code de l'urbanisme qu'un recours présenté postérieurement à l'expiration du délai qu'il prévoit n'est pas recevable, alors même que le délai raisonnable mentionné ci-dessus n'aurait pas encore expiré.
5. Il ressort des pièces du dossier et notamment de trois constats d'huissier de justice que l'affichage du panneau du permis de construire a été continu du 21 octobre au 22 décembre 2017, alors même que le panneau a pu être remplacé pendant cette période. En outre, le panneau d'affichage était visible depuis le chemin des douaniers, qui est une voie publique. Toutefois, ce panneau a été affiché à trois mètres de cette voie publique et en est séparé par des marches puis un portillon, situés entre un mur de pierres et une haie végétale fournie. Ces marches, débutant au niveau du mur de clôture de la propriété de M. A... et menant à un portillon d'accès à la maison de ce dernier, ne peuvent être regardées comme un espace ouvert au public au sens des dispositions précitées. Il ressort d'une photographie produite par l'association prise depuis le bas des marches, que les mentions portées sur le panneau d'affichage du permis de construire, et en particulier celle relative à la hauteur de l'extension projetée, ne sont pas lisibles depuis la voie publique, alors même que les constats d'huissier de justice produits par le pétitionnaire indiquent le contraire, les photographies jointes à ces constats ayant été prises une fois le portillon franchi. Dès lors, l'affichage du permis de construire n'étant pas conforme aux prescriptions de l'article R. 424-15 du code de l'urbanisme, la commune de Locquirec et M. A... ne sauraient utilement se prévaloir de la circonstance qu'un délai raisonnable de plus d'un an s'est écoulé entre l'affichage du permis en cause et l'introduction de la demande de première instance.
6. Dès lors, le moyen tiré de la tardiveté de la demande de première instance ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne les moyens retenus par le tribunal :
7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 121-16 du code de l'urbanisme : " En dehors des espaces urbanisés, les constructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage (...) ". Ne peuvent déroger à l'interdiction de toute construction sur la bande littorale des cent mètres que les projets réalisés dans des espaces urbanisés, caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions, à la condition qu'ils n'entraînent pas une densification significative de ces espaces. Il n'y a pas lieu de distinguer, pour l'application de ces dispositions, entre les constructions ou installations nouvelles et celles portant extension d'une construction ou d'une installation existante.
8. Aux termes du G de l'article ND 1 du règlement du plan d'occupation des sols (POS) de la commune de Locquirec : " Sont admis en secteur NDb, sous réserve de respecter par leur localisation et les aménagements qu'ils nécessitent, les préoccupations d'environnement urbain et architectural (...) / 4) Sous réserves (...) les aménagements suivants : / a) La restauration sans changement d'affectation des habitations anciennes conservées pour l'essentiel ; / b) L'extension limitée des constructions existantes (...) excepté dans la bande des 100 m (...) / d) La restauration ou la reconstruction avec changement d'affectation éventuel de bâtiments de qualité architecturale ou à valeur historique sur la base de documents précisant l'état d'origine du ou des dits bâtiments, excepté dans la bande des 100 m ".
9. Il est constant que la parcelle cadastrée AH n° 103 sur laquelle est implanté le projet est située au sein de la bande littorale des 100 mètres.
10. D'une part, contrairement à ce que soutient la commune de Locquirec, le projet litigieux ne peut être regardé comme une simple rénovation, dès lors qu'il prévoit la construction d'une partie de bâtiment. En outre, à supposer même que le projet puisse être regardé comme une reconstruction, il ressort des pièces du dossier que l'article ND 1 du règlement du plan d'occupation des sols (POS) de la commune de Locquirec contient, aux b) et d) du 4), des dispositions spécifiques interdisant les projets de reconstruction dans la bande littorale des 100 mètres, la commune ne se prévalant pas, au demeurant, des dispositions de l'article L. 111-15 du code de l'urbanisme relatives aux reconstructions après sinistre.
11. D'autre part et en tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet n'est pas situé dans un espace urbanisé, dès lors qu'il s'ouvre sur la mer, est entouré sur ses trois autres côtés de vastes parcelles non bâties et est à proximité de quelques constructions implantées de manière éparse, en partie nord-est du cap, alors même que de nombreuses constructions situées en continuité directe de l'agglomération de Locquirec se trouvent au sud de ce cap. Dès lors, le moyen tiré de ce que le projet méconnait les dispositions de l'article L. 121-16 du code de l'urbanisme ne peut qu'être accueilli.
12. En second lieu, le projet d'extension litigieux, qui porte sur la construction de la partie nord du bâtiment, ne peut être regardé, au vu de son ampleur, comme une restauration au sens des dispositions précitées du a) du 4) de l'article ND1, alors même que cette partie nord aurait été démolie pendant la seconde guerre mondiale. Dès lors, le moyen tiré de ce que le projet, situé dans la bande littorale des 100 mètres, n'est pas autorisé par les dispositions de l'article ND1 du règlement du POS doit être accueilli.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Locquirec n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 5 octobre 2017 par lequel le maire de Locquirec a délivré à M. A... un permis de construire l'extension d'une maison individuelle.

Sur les frais liés au litige :
14. Aux termes de l'article L.761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ". Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'association Plestin-Environnement, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre de ces dispositions. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Locquirec la somme de 1 500 euros au bénéfice de l'association Plestin-Environnement au titre des dispositions précitées. En revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que, comme le demande l'association Plestin-Environnement, une somme soit mise à ce titre à la charge de M. A..., dès lors qu'il n'est pas partie dans la présente instance mais simple observateur et qu'il n'aurait pas eu qualité pour former tierce opposition s'il n'avait pas été invité à présenter des observations.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Locquirec est rejetée.
Article 2 : La commune de Locquirec versera à l'association Plestin-Environnement la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par l'association Plestin-Environnement est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Locquirec et à l'association Plestin-Environnement.
Copie en sera adressée, pour information, à M. C... A... et au préfet du Finistère.
Délibéré après l'audience du 5 juin 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Célérier, président de chambre,
- Mme Buffet, président assesseur,
- Mme D..., premier conseiller.
Lu en audience publique le 19 juin 2020.


Le rapporteur,





P. D...

Le président,





T. CELERIER
Le greffier,




C. GOY
La République mande et ordonne au préfet du Finistère en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.


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