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Ariane Web: CAA NANTES 20NT01002, lecture du 27 novembre 2020

Décision n° 20NT01002
27 novembre 2020
CAA de NANTES

N° 20NT01002

6ème chambre
M. GASPON, président
Mme Fanny MALINGUE, rapporteur
M. LEMOINE, rapporteur public
SAGLIO, avocats


Lecture du vendredi 27 novembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande de séjour ainsi que de l'arrêté du 3 juillet 2019 par lequel le préfet du Finistère lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, l'a obligé à remettre son passeport et à se présenter une fois par semaine au commissariat de police de Brest et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement nos 1802897, 1904308 du 18 novembre 2019, le tribunal administratif de Rennes a jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la demande n° 1802897 (article 1er) et a rejeté les conclusions relatives aux frais de l'instance n°1802897 (article 2) et la demande enregistrée sous le n° 1904308 (article 3).

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 18 mars 2020 et 2 octobre 2020, M. A..., représenté par Me F..., demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 3 de ce jugement ;

2°) d'enjoindre au défendeur de produire l'entier dossier du requérant ;

3°) d'annuler cet arrêté ;

4°) d'enjoindre, sous astreinte de cent euros par jour de retard, au préfet du Finistère de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " ou " vie privée et familiale " ou de procéder à un nouvel examen de sa demande dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :
-la décision de refus de séjour est insuffisamment motivée ; elle est entachée d'une erreur dès lors que son identité est clairement établie et, à titre subsidiaire, d'une erreur de droit en l'absence de saisine des autorités guinéennes aux fins de vérification ; elle méconnaît l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il aurait dû, suite à sa demande du 9 juillet 2015, se voir délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " et non une carte de séjour temporaire portant la mention " étudiant - élève " et que ce titre devait être renouvelé ; elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il présente toutes les garanties d'intégration, de formation, de sérieux et d'emploi ; elle méconnaît les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile compte tenu de sa bonne intégration sociale, de son parcours scolaire remarquable, de sa volonté de réussir et de l'absence de lien avec la famille restée dans le pays d'origine ; elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales compte tenu de la durée de sa présence en France, de son intégration professionnelle et de sa réussite scolaire ;
-le préfet ne pouvait, sans méconnaître l'article 7 de l'arrêté du 26 septembre 2017, lui opposer les données enregistrées dans le système Visabio qui ne pouvaient être conservées au maximum que jusqu'au 21 septembre 2017 ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle ; elle a été prise par une autorité incompétente ; elle est insuffisamment motivée ; elle a été prise en méconnaissance du droit d'être entendu ; elle doit être annulée du fait de l'illégalité du refus de séjour ; elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
-la décision fixant à trente jours le délai de départ est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation faute d'avoir tenu compte des circonstances propres à sa situation ;
-la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- les décisions l'obligeant à remettre son passeport et à se présenter une fois par semaine au commissariat sont disproportionnées dans leur principe et leur fréquence

Par un mémoire, enregistré le 3 juin 2020, le préfet du Finistère conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'il s'en rapporte à ses écritures développées en première instance.


M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 18 février 2020.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 26 septembre 2017 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel relatif aux étrangers sollicitant la délivrance d'un visa, dénommé France-Visas ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
-le rapport de Mme H...,
-et les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public.



Considérant ce qui suit :

1. Le requérant, se disant Amadou A..., ressortissant guinéen, relève appel du jugement du 18 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 3 juillet 2019 par lequel le préfet du Finistère lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, l'a obligé à remettre son passeport et à se présenter une fois par semaine au commissariat de police de Brest et a fixé le pays de renvoi.

2. En premier lieu, l'arrêté du 3 juillet 2019 du préfet du Finistère mentionne les textes dont il fait application, rappelle la situation administrative et familiale du requérant, indique de manière très précise les raisons pour lesquelles il ne peut bénéficier d'un titre de séjour au titre des différents fondements sollicités et relève qu'aucun élément ne s'oppose à ce qu'une obligation de quitter le territoire français soit prise à son égard. Le préfet a, ce faisant, suffisamment motivé ses décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 111-6 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil (...) des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".

4. Il ressort de la décision contestée que le préfet du Finistère a estimé que le requérant ne justifiait pas de son état civil en raison, d'une part, des conclusions de l'analyse par comparaison de ses empreintes avec la base de données " Visabio " et, d'autre part, des conclusions du rapport de l'analyste en fraude documentaire et à l'identité qu'il avait saisi des documents produits à l'appui de la demande de titre de séjour, à savoir un extrait du registre de transcription (naissance) du 8 juillet 2014 et un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance du 3 juillet 2014.

5. D'une part, aux termes de l'article R. 611-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Est autorisée la création, sur le fondement de l'article L. 611-6, d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé VISABIO, relevant du ministère des affaires étrangères et du ministère chargé de l'immigration. (...) ". Selon les termes de l'article R.611-9 du même code : " Les données à caractère personnel enregistrées dans le traitement automatisé prévu à l'article R. 611-8 sont : / 1° Les images numérisées de la photographie et des empreintes digitales des dix doigts des demandeurs de visas, collectées par les chancelleries consulaires et les consulats français équipés du dispositif requis. / (...) 2° Les données énumérées à l'annexe 6-3 communiquées automatiquement par le traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé Réseau mondial visas, dans les conditions prévues par l'article 5 de l'arrêté du 22 août 2001 modifié portant création d'un traitement automatisé d'informations nominatives relatif à la délivrance des visas dans les postes consulaires, lors de la demande et de la délivrance d'un visa. / 3° Des données recueillies ultérieurement lors des entrées et sorties du détenteur de visa : date de première entrée, date de dernière entrée et date de sortie. (...) ". L'article R.611-11 du même code dispose : " La durée de conservation des données à caractère personnel mentionnées à l'article R. 611-9 est de cinq ans à compter de leur inscription. ". Enfin, aux termes de l'article 7 de l'arrêté du 26 septembre 2017 visé ci-dessus : " Les données à caractère personnel enregistrées dans le traitement mentionné à l'article 1er sont conservées pendant une période maximale de cinq ans à compter : / - de la date d'expiration du visa, en cas de délivrance d'un visa ; (...) ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la durée de conservation des données à caractère personnel figurant dans Visabio, au nombre desquelles figurent les informations relatives à l'état civil du demandeur de visa, est de cinq ans à compter de leur inscription.
6. Après avoir fait procéder, le 29 janvier 2018, à une comparaison des empreintes digitales de M. A... avec les données biométriques de la base de données Visabio, le préfet du Finistère a constaté que les empreintes de l'intéressé correspondaient à celles de M. C... B..., né le 11 février 1983 à Conakry, qui a sollicité, en présentant à l'appui de cette demande un passeport n° R0456254, un visa le 22 août 2012 qui lui a été accordé pour une période de trente jours valable du 22 août 2012 au 21 septembre 2012. Toutefois, à la date à laquelle ces données ont été consultées, elles auraient dû, en application de ce qui a été dit au point 5, être supprimées. Dès lors, le préfet ne pouvait se fonder sur ces éléments.

7. D'autre part, le préfet du Finistère fait valoir que l'expert en fraude documentaire et à l'identité de la direction zonale de la police aux frontières, saisi de l'examen de l'extrait du registre de transcription (naissance) du 8 juillet 2014 et du jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance du 3 juillet 2014, a conclu au caractère irrégulier de ces documents aux motifs qu'ils n'ont pas été légalisés, que le jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance comporte plusieurs anomalies au regard des prescriptions des articles 179 et 196 du code civil guinéen et ne respecte pas l'article 555 du code de procédure civile guinéen et que l'extrait du registre de transcription méconnaît les articles 183 et 196 du code civil guinéen ainsi que les articles 601 et 602 du code de procédure civile guinéen. A la date du 3 juillet 2019 à laquelle l'arrêté contesté a été adopté, il est constant que ces documents n'avaient pas été légalisés par les autorités consulaires françaises en Guinée ou les autorités consulaires de Guinée en France. En admettant même que puisse être prise en compte l'exécution de cette formalité à la date du 13 septembre 2019, rien ne permet d'établir, alors que la compétence du signataire est remise en cause par le préfet du Finistère qui soutient que seul le consul est compétent pour signer cette légalisation, que Mme G... E..., " attachée fin/cons " selon les termes du cachet apposé sur sa signature, était compétente pour procéder à la légalisation des actes présentés par M. A.... Par ailleurs, le requérant ne peut en l'espèce justifier de son état civil par la seule production d'un passeport établi sur la base de ce jugement supplétif dont l'authenticité n'est pas établie. En application de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 47 du code civil auquel il renvoie, le préfet pouvait, au vu de ces seuls éléments et sans effectuer de diligences complémentaires, en déduire que les actes produits à l'appui de la demande de titre de séjour ne pouvaient par suite être regardés comme faisant foi.

8. Il résulte de l'instruction que le préfet du Finistère aurait pris la même décision s'il était seulement fondé sur le motif mentionné au point 7.

9. En troisième lieu, le requérant n'a pas sollicité un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et le préfet du Finistère n'a pas instruit la demande sur ce fondement.

10. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que le requérant est célibataire et sans charge de famille en France et n'établit pas être dépourvu de toute attache familiale en Guinée. S'il est présent en France depuis près de quatre ans à la date de la décision contestée et a fait preuve d'une bonne intégration scolaire, il ne l'a dû en partie qu'à la faveur de sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance en raison de sa minorité, laquelle n'est pas établie. Dans ces conditions, en dépit de ses efforts de formation et d'insertion professionnelle, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision de refus de séjour porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au regard des buts pour lesquels elle a été prise. Par conséquent, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés. Pour les mêmes motifs, doivent être écartés les moyens tirés de ce que la décision de refus de séjour est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle et de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa situation personnelle.

11. En cinquième lieu, il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, les moyens, que le requérant reprend en appel sans apporter de précisions nouvelles, tirés de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise par une autorité incompétente et en méconnaissance du droit d'être entendu, de ce que la décision fixant à trente jours le délai de départ est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et de ce que les décisions l'obligeant à remettre son passeport et à se présenter une fois par semaine au commissariat sont disproportionnées dans leur principe et leur fréquence.

12. Enfin, la décision de refus de séjour n'étant pas annulée, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français doit l'être par voie de conséquence. Il en va de même pour la décision fixant le pays de destination en l'absence d'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

13. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'enjoindre au préfet de produire son dossier, le requérant n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Par suite, sa requête, y compris ses conclusions relatives aux frais liés au litige, doit être rejetée.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Finistère.
Délibéré après l'audience du 23 octobre 2020, à laquelle siégeaient :

- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président assesseur,
- Mme H..., premier conseiller.


Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 novembre 2020.
Le rapporteur,
F. H...Le président,
O. Gaspon
La greffière,
E.Haubois
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.


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