Base de jurisprudence

Ariane Web: CAA NANCY 19NC00481, lecture du 16 mars 2021

Décision n° 19NC00481
16 mars 2021
CAA de NANCY

N° 19NC00481

4ème chambre
Mme GHISU-DEPARIS, président
Mme Christine GRENIER, rapporteur
M. MICHEL, rapporteur public
SELARL VOLTA AVOCATS, avocats


Lecture du mardi 16 mars 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les autres pièces du dossier.


Vu :
- le code de l'environnement ;
- l'ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement ;
- l'ordonnance n° 2014-356 du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'un certificat de projet ;
- le décret n° 2014-450 du 2 mai 2014 relatif à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A..., présidente assesseur,
- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,
- et les observations de Me C... pour la SEPE Ginko.

Une note en délibéré, enregistrée le 16 février 2021, a été présentée pour la SEPE Ginko.


Considérant ce qui suit :

1. La société d'exploitation du parc éolien (SEPE) Ginko a sollicité un certificat de projet, en application de l'ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'un certificat de projet, en vue de l'exploitation d'un parc éolien de 8 aérogénérateurs et de un à trois postes de livraison sur le territoire des communes de Courcemin et de Faux-Fresnay dans la Marne. Un certificat de projet lui a été délivré pour ce projet, le 27 avril 2015, faisant état d'un délai d'instruction de douze mois. Le 22 février 2016, la SEPE Ginko a déposé une demande d'autorisation environnementale unique pour un projet de parc éolien comprenant 8 aérogénérateurs et un poste de livraison. Par courrier du 8 août 2016, le préfet de la Marne lui a indiqué que sa demande n'était pas recevable et lui a demandé de fournir un certain nombre de pièces complémentaires dans un délai de seize mois. La SEPE Ginko a complété le dossier dans les délais impartis, le 7 décembre 2017, ce dont le préfet de la Marne a accusé réception, le 11 décembre 2017, en précisant que la recevabilité de sa demande serait appréciée dans un délai de quatre mois. Le 23 janvier 2018, les services de l'Etat ont confirmé que l'instruction de la demande était en cours. En l'absence de réponse à sa demande, la SEPE Ginko a adressé au préfet de la Marne, le 5 octobre 2018, une demande indemnitaire préalable, reçue le 8 octobre suivant, pour demander la réparation des préjudices subis en raison du délai anormalement long d'instruction de sa demande. Le silence gardé par le préfet de la Marne sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet, le 8 décembre 2018. Par ailleurs, postérieurement à l'enregistrement de la présente requête devant la cour, le 6 février 2019, l'autorité environnementale a émis un avis sur le projet de la SEPE Ginko, le 16 septembre 2019. Enfin, le 22 novembre 2019, la SEPE Ginko a informé le préfet de la Marne de ce qu'elle renonçait à son projet. La SEPE Ginko demande l'indemnisation des préjudices subis en raison de l'inertie fautive de l'administration dans l'instruction de sa demande d'autorisation environnementale qui l'aurait contrainte à renoncer à son projet.

2. La SEPE Ginko, en demandant la réparation des préjudices subis, a donné à l'ensemble de sa requête le caractère d'un recours de plein-contentieux. La décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet de la Marne sur la demande indemnitaire préalable qu'elle lui a adressée le 5 octobre 2018 a pour seul effet de lier le contentieux, sans que son annulation puisse être utilement demandée.

3. Par son avis du 16 septembre 2019 relatif au projet de parc éolien de la SEPE Ginko, la mission régionale d'autorité environnementale du Grand-Est relève que l'analyse de l'état initial de la biodiversité est insuffisante alors que la zone d'implantation du projet présente de forts enjeux, les impacts du projet sur l'environnement étant, en conséquence, sous-estimés. Elle souligne également que le projet porté par la SEPE Ginko conduit à occuper un espace vierge, le long de la vallée de la Superbe, sans que les incidences de cette implantation sur le déplacement de l'avifaune aient été suffisamment examinées. Elle précise que les effets cumulés du projet avec les autres parcs éoliens situés à proximité n'ont pas fait l'objet d'un examen suffisamment approfondi par la société pétitionnaire, qui n'a pas non plus pris en compte les retours d'expériences des suivis environnementaux de ces autres exploitants. Elle estime que le seuil d'alerte d'occupation de plus de 50 % des horizons des trois villages les plus proches, ceux de Faux-Fresnay, Salon et Champfleury, sera dépassé, aggravant ainsi l'effet de saturation visuelle pour leurs habitants et que l'émergence sonore réglementaire de nuit sera également méconnue pour le village de Courcemain. L'autorité environnementale assortit ainsi son avis de plusieurs recommandations consistant, premièrement, à étudier, comparer et présenter des solutions alternatives quant au choix de sites et d'équipements, deuxièmement, à mieux présenter les impacts positifs du projet, troisièmement, à reprendre l'état initial de la biodiversité ainsi que l'analyse des impacts du projet s'agissant notamment de la séquence ERC " éviter, réduire, compenser " et de justifier de l'absence de toute destruction des espèces protégées. Enfin, elle relève qu'il existe un autre projet sur le même secteur, sans aucune concertation entre les exploitants, ce qui " rend leur concrétisation impossible ", sans cependant se prononcer en faveur de l'un des deux projets.

4. D'une part, il résulte de l'instruction que la demande d'autorisation initialement présentée par la SEPE Ginko était nettement insuffisante, ce qui a conduit l'autorité administrative à lui demander des compléments substantiels en ce qui concerne l'étude de l'état initial de l'environnement, les incidences du projet sur les zones Natura 2000 et les impacts et enjeux environnementaux de son projet notamment sur l'avifaune, les chiroptères et les paysages et à lui donner, eu égard à l'importance des pièces complémentaires demandées, un délai de seize mois à cet effet. La demande de la société requérante n'a ainsi été complétée que le 7 décembre 2017, deux mois avant le dépôt de la demande de la société Elicio La Crayère, le 8 février 2018, pour un autre parc éolien sur le même site. Le préfet de la Marne était tenu d'examiner les effets cumulés du projet de la société requérante et de celui de la société Elicio la Crayère ainsi que des parcs éoliens existants dans le même secteur en vertu des dispositions du e) du 5° du II de l'article R. 122-5 du code de l'environnement. La demande d'autorisation de la SEPE Ginko bénéficiait cependant de l'antériorité en vertu du certificat de projet du 27 avril 2015. Ainsi, il résulte de l'instruction que le retard pris dans l'instruction du projet de la société requérante a résulté, dans un premier temps, non de l'instruction concomitante d'un autre projet postérieur au sien mais de l'ampleur des lacunes initiales de sa demande d'autorisation environnementale qui n'était pas recevable en l'état. Par suite, alors même que l'autorité environnementale a estimé, par son avis du 16 septembre 2019, que la concrétisation des deux projets était impossible, la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'instruction de sa demande en même temps que celle de la société Elicio la Crayère serait due à l'inertie de l'administration dans la procédure d'autorisation de sa propre demande en méconnaissance du délai d'instruction de douze mois mentionné par le certificat de projet du 27 avril 2015 et des délais prévus par le décret du 2 mai 2014 relatif à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement. Il s'ensuit que la société requérante ne peut utilement rechercher la responsabilité de l'administration à raison de l'étude commune des deux projets qui ne résulte, en tout état de cause, pas d'un retard dans l'instruction de sa demande.

5. D'autre part, ainsi qu'il est dit au point 3 du présent arrêt, il résulte de l'instruction qu'en dépit des compléments apportés, le 7 décembre 2017, par la SEPE Ginko à sa demande d'autorisation environnementale initiale, qui portaient déjà principalement sur les impacts environnementaux et paysagers du projet, sa demande demeurait nettement lacunaire quant à l'analyse des impacts du futur parc éolien sur l'environnement et nécessitait d'être à nouveau complétée de manière substantielle ainsi que l'a relevé la mission régionale d'autorité environnementale du Grand-Est qui a notamment estimé que les impacts environnementaux et paysagers de son projet avaient été sous-estimés. Par suite, alors que la SEPE Ginko, consécutivement à l'avis de l'autorité environnementale, a décidé, de sa propre initiative, de renoncer à son projet, sans qu'aucune décision sur sa demande d'autorisation environnementale ne lui ait encore été notifiée, il ne résulte pas de l'instruction que le retard pris par l'administration dans l'instruction de sa demande l'aurait contrainte à renoncer à son projet.

6. Enfin, la SEPE Ginko n'établit pas que le délai d'instruction de sa demande d'autorisation aurait eu pour effet de rendre quasiment impossible le raccordement de son projet au réseau public d'électricité, presque saturé, ou de le porter à un coût prohibitif, la réalité du préjudice invoqué sur ce point n'étant, au surplus, pas établie.

7. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions indemnitaires de la SEPE Ginko doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l'instance :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande la SEPE Ginko au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.


D E C I D E :


Article 1er : La requête de la SEPE Ginko est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SEPE Ginko et à la ministre de la transition écologique et solidaire.

Copie en sera adressée pour information au préfet de la Marne.








Voir aussi