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Ariane Web: CAA LYON 21LY02757, lecture du 22 février 2022

Décision n° 21LY02757
22 février 2022
CAA de LYON

N° 21LY02757

1ère chambre
Mme DEAL, président
M. Thierry BESSE, rapporteur
M. LAVAL, rapporteur public
ADP AVOCATS, avocats


Lecture du mardi 22 février 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par trois demandes distinctes, M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler les trois arrêtés du 27 août 2020 par lesquels la maire de Megève a refusé de lui délivrer un permis valant autorisation de détruire un chalet et un abri à véhicules et de construire un bâtiment à usage d'habitation collective de onze logements.

Par un jugement n° 2005891-2005892-2005894 du 13 juillet 2021, le tribunal administratif de Grenoble a annulé ces trois refus de permis de construire et a enjoint au maire de Megève, sous réserve de la production dans chaque dossier d'une attestation du contrôleur technique conforme à l'annexe de l'article A. 431-10 du code de l'urbanisme, de délivrer à M. B... chacune des trois autorisations sollicitées dans un délai d'un mois.
Procédure devant la cour

I) Par une requête enregistrée le 4 août 2021, sous le n° 21LY02757, et un mémoire en réplique enregistré le 24 novembre 2021, qui n'a pas été communiqué, la commune de Megève, représentée par la SELARL Droit Public Immobilier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 juillet 2021 ;
2°) de rejeter les conclusions des demandes de M. B... ;
3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- les demandes de M. B... étaient irrecevables, dès lors qu'alors que les refus se fondaient sur l'avis défavorable rendu par l'architecte des bâtiments de France, il n'avait pas exercé le recours préalable obligatoire devant le préfet de région prévu par les dispositions de l'article R. 424-14 du code de l'urbanisme ; par suite, le jugement, qui a fait droit à des demandes irrecevables, est entaché d'irrégularité ;
- le jugement est irrégulier, les premiers juges n'ayant pas examiné le motif qu'entendait substituer la commune, tiré de ce qu'elle ne pouvait légalement instruire plusieurs demandes présentées le même jour pour des projets presque identiques ;
- les premiers juges, après avoir estimé fondé le motif de refus tiré de l'absence d'attestation du contrôleur technique conforme à l'annexe de l'article A. 431-10 du code de l'urbanisme, ne pouvaient estimer qu'il ne résultait pas de l'instruction que la maire aurait pris les mêmes décisions en se fondant sur ce seul motif, alors que ce vice ne pouvait être couvert par une simple demande de pièces manquantes ; le jugement est entaché sur ce point d'une contradiction de motifs est donc d'irrégularité ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le motif tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 10 UH du règlement du plan local d'urbanisme était infondé ;
- le maire étant tenu de suivre l'avis conforme de l'architecte des bâtiments de France, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le motif tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 11 UH du règlement du plan local d'urbanisme et de l'article R. 111-27 du code de l'urbanisme était infondé ;
- c'est à tort que les premiers juges ont écarté le motif qu'entendait substituer la commune, tiré du caractère abusif des demandes de permis de construire, compte tenu du nombre de demandes présentées par M. B... pour la réalisation sur un même terrain de projets ne se distinguant que par des modifications mineures ;
- il y a lieu, à titre subsidiaire, de substituer aux motifs opposés, celui tiré de l'impossibilité de présenter plusieurs demandes de permis de construire le même jour pour des projets presque similaires ;
- les premiers juges ne pouvaient assortir l'injonction qu'ils ont prononcée d'une réserve.

Par des mémoires en défense enregistrés les 1er octobre 2021 et 26 novembre 2021, M. A... B..., représenté par la société Vedesi, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- aucun des moyens de la requête d'appel n'est fondé ;
- la situation de covisibilité avec l'immeuble inscrit n'est pas démontrée ;
- en l'absence d'information explicite du pétitionnaire sur la situation de covisibilité, aucune irrecevabilité ne saurait être opposée à sa demande sans méconnaître les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par des mémoires en observations enregistrés les 9 novembre 2021 et 17 décembre 2021, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la ministre de la culture conclut à l'annulation du jugement du 13 juillet 2021 et au rejet de la requête.


Elle soutient que :
- l'architecte des bâtiments de France ayant constaté que l'immeuble projeté se trouvait dans le champ de visibilité de l'église Saint-Jean Baptiste et l'avis rendu étant un avis conforme, le pétitionnaire devait former un recours préalable obligatoire devant le préfet de région ; en l'absence d'un tel recours, la demande de première instance était irrecevable.

La clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 17 décembre 2021, par une ordonnance en date du 26 novembre 2021.

La commune de Megève a produit un mémoire enregistré le 28 décembre 2021, après la clôture de l'instruction.

La commune de Megève a produit le 4 janvier 2022 des pièces complémentaires, qui ont été communiquées.

Par un mémoire enregistré le 11 janvier 2022, qui n'a pas été communiqué, M. B... persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens.

II) Par une requête enregistrée le 12 août 2021, sous le n° 21LY02794, et un mémoire en réplique enregistré le 29 octobre 2021, la commune de Megève, représentée par la SELARL Affaires Droit Public Immobilier, demande à la cour :
1°) de prononcer le sursis à exécution de ce jugement du 13 juillet 2021, en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative ;
2°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les demandes de M. B... étaient irrecevables, dès lors qu'alors que les refus se fondaient sur l'avis défavorable rendu par l'architecte des bâtiments de France, il n'avait pas exercé le recours préalable obligatoire devant le préfet de région prévu par les dispositions de l'article R. 424-14 du code de l'urbanisme ;
- M. B... ne peut exciper de l'illégalité des avis rendus par l'architecte des bâtiments de France, qui sont devenus définitifs faute pour eux d'avoir été contestés ;
- les premiers juges, après avoir estimé fondé le motif de refus tiré de l'absence d'attestation du contrôleur technique conforme à l'annexe de l'article A. 431-10 du code de l'urbanisme, ne pouvaient estimer qu'il ne résultait pas de l'instruction que la maire aurait pris les mêmes décisions en se fondant sur ce seul motif, alors que ce vice ne pouvait être couvert par une simple demande de pièces manquantes ;
- le jugement est irrégulier, les premiers juges n'ayant pas examiné le motif qu'entendait substituer la commune, tiré de ce qu'elle ne pouvait légalement instruire plusieurs demandes présentées le même jour pour des projets presque identiques ;
- les premiers juges ne pouvaient assortir l'injonction qu'ils ont prononcée d'une réserve ; ils ne pouvaient de même enjoindre de délivrer au pétitionnaire plusieurs autorisations pour le même terrain.

Par des mémoires en défense enregistrés le 1er octobre 2021 et 26 novembre 2021, M. A... B..., représenté par la société Vedesi, conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire à ce qu'il soit sursis à statuer sur sa demande, le temps qu'il puisse exercer le recours administratif préalable obligatoire devant le préfet de région, et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est sérieux.

La clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 21 décembre 2021, par une ordonnance en date du 29 novembre 2021.

La commune de Megève a produit un mémoire enregistré le 28 décembre 2021, après la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code du patrimoine ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Thierry Besse, président-assesseur,
- les conclusions de M. Jean-Simon Laval, rapporteur public,
- les observations de Me Chaussat, substituant Me Antoine, pour la commune de Megève, et celles de Me Eard-Aminthas pour M. B... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a déposé le 27 mai 2020 trois demandes de permis de construire en vue, chacune, de construire, sur la parcelle cadastrée section AN n° 119, un bâtiment comprenant onze logements, après démolition du chalet existant. Par trois décisions en date du 27 août 2020, la maire de Megève a refusé de délivrer les permis de construire sollicités. Par un jugement du 13 juillet 2021, le tribunal administratif de Grenoble, après avoir joint les trois demandes de M. B..., a annulé les refus de permis de construire et enjoint au maire de Megève, sous réserve de la production dans chaque dossier d'une attestation du contrôleur technique conforme à l'annexe de l'article A. 431-10 du code de l'urbanisme, de délivrer à M. B... chacune des trois autorisations demandées. La commune de Megève relève appel de ce jugement et demande qu'il soit sursis à son exécution.

2. Les deux requêtes sont dirigées contre un même jugement et présentent à juger des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.

3. D'une part, aux termes de l'article L. 621-30 du code du patrimoine : " I. - Les immeubles ou ensembles d'immeubles qui forment avec un monument historique un ensemble cohérent ou qui sont susceptibles de contribuer à sa conservation ou à sa mise en valeur sont protégés au titre des abords. / (...) / II. - La protection au titre des abords s'applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, situé dans un périmètre délimité par l'autorité administrative dans les conditions fixées à l'article L. 621-31. Ce périmètre peut être commun à plusieurs monuments historiques. / En l'absence de périmètre délimité, la protection au titre des abords s'applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, visible du monument historique ou visible en même temps que lui et situé à moins de cinq cents mètres de celui-ci. / (...) ". Selon l'article L. 621-32 du même code : " Les travaux susceptibles de modifier l'aspect extérieur d'un immeuble, bâti ou non bâti, protégé au titre des abords sont soumis à une autorisation préalable. / (...) / Lorsqu'elle porte sur des travaux soumis à formalité au titre du code de l'urbanisme (...), l'autorisation prévue au présent article est délivrée dans les conditions et selon les modalités de recours prévues à l'article L. 632-2 du présent code. ". Aux termes de cet article L. 632-2 du code du patrimoine ; " Le permis de construire (...) tient lieu de l'autorisation prévue à l'article L. 632-1 du présent code si l'architecte des bâtiments de France a donné son accord, dans les conditions prévues au premier alinéa du présent I. (...) ". L'article R. 423-54 du code de l'urbanisme précise : " Lorsque le projet est situé dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable ou dans les abords des monuments historiques, l'autorité compétente recueille l'accord de l'architecte des Bâtiments de France. ".

4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que ne peuvent être délivrées qu'avec l'accord de l'architecte des Bâtiments de France les autorisations d'urbanisme portant sur des immeubles situés, en l'absence de périmètre délimité, à moins de cinq cents mètres d'un édifice classé ou inscrit au titre des monuments historiques, s'ils sont visibles à l'oeil nu de cet édifice ou en même temps que lui depuis un lieu normalement accessible au public, y compris lorsque ce lieu est situé en dehors du périmètre de cinq cents mètres entourant l'édifice en cause.

5. D'autre part, aux termes de l'article R. 424-14 du code de l'urbanisme : " Lorsque le projet est situé dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable ou dans les abords des monuments historiques, le demandeur peut, en cas d'opposition à une déclaration préalable ou de refus de permis fondé sur un refus d'accord de l'architecte des Bâtiments de France, saisir le préfet de région, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, d'un recours contre cette décision dans le délai de deux mois à compter de la notification de l'opposition ou du refus. / (...) ". En vertu des dispositions du premier alinéa du I de l'article L. 632-2 du code du patrimoine, tout avis défavorable rendu par l'architecte des Bâtiments de France dans le cadre de cette procédure comporte une mention informative sur les possibilités de recours à son encontre et sur les modalités de recours.

6. Il résulte de ces dispositions que, quels que soient les moyens sur lesquels le recours est fondé, le pétitionnaire n'est pas recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre la décision de refus de permis de construire portant sur un immeuble situé dans un secteur sauvegardé ou dans les abords d'un édifice classé ou inscrit au titre des monuments historiques faisant suite à un avis négatif de l'architecte des Bâtiments de France s'il n'a pas, préalablement, saisi le préfet de région, selon la procédure spécifique définie à l'article R. 424-14 du code de l'urbanisme.

7. Il ressort des pièces du dossier que l'architecte des Bâtiments de France, consulté au titre de la protection de abords de l'église Saint-Jean-Baptiste de Megève, qui a été inscrite en octobre 1988 à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, a rendu le 11 juin 2020 trois avis défavorables aux projets de M. B.... Contrairement à ce que soutient ce dernier, il ressort sans ambiguïté de ces avis, qui ont été communiqués régulièrement au pétitionnaire, que l'architecte des Bâtiments de France, qui a cité les textes applicables, précisé que l'immeuble était dans le champ de visibilité du monument historique, indiqué ne pas donner son accord au projet et mentionné les voies et délais de recours contre ces avis, a rendu un avis conforme négatif. Le maire de Megève ayant visé dans les arrêtés en litige l'avis défavorable de l'architecte des bâtiments de France, indiqué que selon cet avis le projet était susceptible d'affecter les abords de ce monument, et relevé l'atteinte que le projet était susceptible de porter à la conservation ou à la mise en valeur des abords de l'église Saint-Jean-Baptiste s'est fondé sur ces avis pour rejeter les demandes, sans que l'intimé puisse utilement faire état des indications erronées fournies ultérieurement par la commune de Megève en première instance. Si M. B... soutient par ailleurs que le projet, situé à moins de cinq cents mètres de l'église Saint-Jean-Baptiste, ne serait pas en situation de covisibilité avec cet édifice, et que l'avis rendu ne pouvait de ce fait pas être un avis conforme, il lui appartenait de contester cette appréciation à l'occasion du recours préalable obligatoire devant le préfet de région. Dans ces conditions, M. B... n'était pas recevable à former un recours contre les refus de permis de construire sans avoir préalablement saisi le préfet de région d'un recours contre les avis de l'architecte des Bâtiments de France. Par suite, les demandes présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble étaient irrecevables.

8. Les avis rendus par l'architecte des bâtiments de France ne comportant aucune ambiguïté, ainsi qu'il a été dit, et mentionnant clairement les modalités de recours devant le préfet de région par le pétitionnaire auquel serait opposé un refus de délivrance du permis de construire sollicité, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'irrecevabilité opposée à ses demandes de première instance méconnaît le principe de clarté et d'intelligibilité de la norme, et porte atteinte à son droit au recours dans des conditions contraires aux stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni à demander pour ce motif qu'il soit sursis à statuer sur la requête le temps qu'il exerce le recours administratif préalable devant le préfet de région, alors au demeurant qu'une telle irrecevabilité est insusceptible d'être régularisée en appel.

9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la commune de Megève est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé les arrêtés du 27 août 2020 refusant de délivrer un permis de construire à M. B....

10. Le présent arrêt ayant statué sur la requête de la commune de Megève tendant à l'annulation du jugement du 13 juillet 2021 du tribunal administratif de Grenoble, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 21LY02794 tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution.

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Megève au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés. Par ailleurs, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par M. B..., partie perdante, tendant au remboursement des frais d'instance qu'il a exposés.


DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2005891-2005892-2005894 du 13 juillet 2021 du tribunal administratif de Grenoble est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Grenoble et le surplus des conclusions des parties en appel sont rejetés.
Article 3 : Il n'y a plus lieu de statuer sur la requête n° 21LY02794.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Megève et à M. A... B....
Copie en sera adressée à la ministre de la culture
Délibéré après l'audience du 1er février 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Danièle Déal, présidente de chambre,
M. Thierry Besse, président-assesseur,
M. François Bodin-Hullin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 février 2022.

N° 21LY02757, 21LY02794