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Ariane Web: CAA LYON 20LY00048, lecture du 24 mars 2022

Décision n° 20LY00048
24 mars 2022
CAA de LYON

N° 20LY00048

4ème chambre
M. d'HERVE, président
Mme Agathe DUGUIT-LARCHER, rapporteur
M. SAVOURE, rapporteur public
SCP COUDURIER & CHAMSKI, avocats


Lecture du jeudi 24 mars 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :


Procédure contentieuse antérieure

M. A... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 27 septembre 2018 par laquelle le ministre de la transition écologique et solidaire lui a refusé l'accès au centre nucléaire de production d'électricité de Cruas-Meysse.

Par un jugement n° 1808676 du 19 novembre 2019, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 3 janvier 2020, M. A..., représenté la SCP Coudurier et Chamski, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cette décision ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat, outre les dépens, la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- la décision du ministre, qui n'est pas motivée, méconnaît l'article L. 212-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- le ministre a commis une erreur manifeste d'appréciation en confirmant la décision de refus d'accès au site en se fondant sur des faits anciens et peu graves alors qu'il est employé depuis 2012 et qu'il dispose d'appréciations très positives des responsables des installations dans lesquelles il a été amené à travailler.


Par un mémoire en défense enregistré le 22 février 2022, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la défense ;
- le code de l'environnement ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher,
- et les conclusions de M. Savouré, rapporteur public ;


Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été recruté le 16 janvier 2012 en qualité d'agent de maintenance par la société EDF. Le 7 juin 2018, l'accès au site de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse où il était alors employé lui a été interdit au vu des résultats d'une enquête administrative. M. A... relève appel du jugement du 19 novembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande d'annulation de la décision du ministre de la transition écologique et solidaire du 27 septembre 2018 rejetant le recours administratif préalable obligatoire qu'il avait formé contre ce refus d'accès.
2. D'une part, les centres nucléaires de production d'électricité constituent, selon les dispositions combinées des articles L. 1332-1 et L. 1332-2 du code de la défense et L. 593-1 du code de l'environnement, des installations et ouvrages d'importance vitale dont la protection est régie par les dispositions des articles L. 1332-1 et suivants du code de la défense. Aux termes de l'article L. 1332-2-1 de ce code : " L'accès à tout ou partie des établissements, installations et ouvrages désignés en application du présent chapitre est autorisé par l'opérateur qui peut demander l'avis de l'autorité administrative compétente dans les conditions et selon les modalités définies par décret en Conseil d'Etat. L'avis est rendu à la suite d'une enquête administrative qui peut donner lieu à la consultation du bulletin n° 2 du casier judiciaire et de traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de l'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, à l'exception des fichiers d'identification. La personne concernée est informée de l'enquête administrative dont elle fait l'objet ". Aux termes de l'article R. 1332-22-1 du même code, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " Avant d'autoriser l'accès d'une personne physique ou morale à tout ou partie d'un point d'importance vitale qu'il gère ou utilise, l'opérateur d'importance vitale peut demander par écrit l'avis du préfet de département dans le ressort duquel se situe le point d'importance vitale ou, pour les opérateurs d'importance vitale relevant du ministre de la défense, l'avis de celui-ci. Cette demande peut justifier que soit diligentée sous le contrôle de l'autorité concernée une enquête administrative destinée à vérifier que les caractéristiques de la personne physique ou morale intéressée ne sont pas incompatibles avec l'accès envisagé et pouvant donner lieu à la consultation des traitements automatisés de données personnelles mentionnés à l'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978. La demande d'avis mentionnée aux alinéas précédents concerne l'accès aux parties des points d'importance vitale déterminées à cette fin dans les plans particuliers de protection ". Aux termes de l'article R. 1332-33 de ce code : " Préalablement à l'introduction d'un recours contentieux contre tout acte administratif pris en application du présent chapitre, à l'exception de la décision mentionnée au II de l'article R. 1332-26 ou de toute décision mentionnée à la section 7 bis du présent chapitre, le requérant adresse un recours administratif au ministre coordonnateur du secteur d'activités dont il relève. Le ministre statue dans un délai de deux mois. En l'absence de décision à l'expiration de ce délai, le recours est réputé être rejeté ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire ". Aux termes de l'article L. 311-5 du même code : " Ne sont pas communicables : (...) 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : (...) d) A la sûreté de l'Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d'information des administrations (...) ".
4. Enfin aux termes de l'article L. 411-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La décision rejetant un recours administratif dirigé contre une décision soumise à obligation de motivation en application des articles L. 211-2 et L. 211-3 est motivée lorsque cette obligation n'a pas été satisfaite au stade de la décision initiale. ". Selon l'article L. 412-2 du même code : " Les recours administratifs préalables obligatoires sont régis par les règles énoncées au chapitre Ier, sous réserve des dispositions qui suivent. ". D'après l'article L. 412-8 de ce code : " Ainsi que le prévoit l'article L. 211-2, la décision qui rejette un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire doit être motivée. ".
5. Il résulte des dispositions citées aux points 2 à 4 ci-dessus que la décision par laquelle le ministre de la transition écologique et solidaire rejette, sur le fondement de l'article R. 1332-33 du code de la défense, un recours administratif préalable obligatoire dirigé contre une décision interdisant à un technicien l'accès à un centre nucléaire, installation d'importance vitale, doit être motivée, sauf à ce que la communication des motifs de cette décision soit de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration.
6. Le ministre de la transition écologique et solidaire, qui soutient que la décision qui concerne l'accès à un site nucléaire n'a pas à être motivée, a justifié au contentieux la décision prise à l'encontre de M. A... par la commission d'infractions relatives à la consommation et au trafic de stupéfiants. Ces faits, bien que d'une gravité certaine, n'entrent cependant pas par eux-mêmes dans le champ d'application du d) de l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration dont le ministre s'est prévalu. Le ministre n'établit donc pas que sa décision pouvait bénéficier d'une dérogation à l'obligation de motivation posée par le 8° de l'article L. 211-2 du même code. Il s'ensuit que le moyen tiré du défaut de motivation est opérant.
7. La décision en litige qui se borne à indiquer que " les éléments fournis à votre égard par le service enquêteur sont incompatibles avec votre présence sur un site nucléaire et avec le travail que vous êtes censé y effectuer " ne permettait pas à l'intéressé de connaitre les faits qui en étaient le support nécessaire. Elle est, par suite, insuffisamment motivée et ne peut qu'être annulée, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen de la requête.
8. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande.
Sur les dépens et les frais liés au litige :

9. En l'absence de dépens, la demande présentée par M. A... tendant à ce que les dépens soient mis à la charge de l'Etat ne peut qu'être rejetée.
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :


Article 1er : La décision du 27 septembre 2018 par laquelle le ministre de la transition écologique et solidaire a confirmé le refus opposé à M. A... d'accéder au centre nucléaire de production d'électricité de Cruas-Meysse et le jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 19 novembre 2019 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. A... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre de la transition écologique.





Délibéré après l'audience du 3 mars 2022, à laquelle siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme Michel, présidente assesseure,
Mme Evrard, présidente assesseure,
Mme Duguit-Larcher, première conseillère,
M. Rivière, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mars 2022.