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Ariane Web: CAA DOUAI 21DA00737, lecture du 12 janvier 2023

Décision n° 21DA00737
12 janvier 2023
CAA de DOUAI

N° 21DA00737

4ème chambre
M. Heu, président
M. Bertrand Baillard, rapporteur
M. Arruebo-Mannier, rapporteur public
KPMG AVOCATS, avocats


Lecture du jeudi 12 janvier 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 et 2012.

Par un jugement no 1901106 du 9 février 2021, le tribunal administratif de Rouen a, d'une part, déchargé M. A... des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 et 2012, ainsi que des pénalités correspondantes, d'autre part, mis à la charge de l'Etat une somme de 1 300 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er avril 2021 et le 13 octobre 2021, et par un mémoire enregistré le 9 décembre 2022, qui n'a pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de remettre à la charge de M. A... les impositions dont il a été déchargé par le tribunal administratif de Rouen.

Il soutient que :
- l'administration était fondée à faire application des règles d'imposition relatives aux activités occultes, s'agissant de la revente d'or dérobé ;
- M. A... a été imposé sur les ventes de la part du trésor revenant au propriétaire du fonds ;
- l'activité de vente illicite d'or présente un caractère commercial ; les revenus procédant de l'exercice de cette activité sont, en conséquence, imposés dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ;
- à titre subsidiaire, le profit réalisé par M. A... doit être imposé dans la catégorie des bénéfices non commerciaux ;
- le bien-fondé de l'imposition en litige étant démontré, aucune somme ne peut être mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 2 septembre 2021 et le 6 décembre 2022, M. B... A..., représentés par Me Boudin, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre subsidiaire, à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 et 2012 en application de l'article 92 du code général des impôts ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, à ce qu'une décharge partielle, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 et 2012 soit prononcée en application des dispositions de l'article 163-0-A du code général des impôts et de l'article 716 du code civil ;

4°) à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- c'est à bon droit que le tribunal a estimé que l'administration ne pouvait fonder les impositions en litige sur l'article 34 du code général des impôts ;
- les sommes en litige ne peuvent davantage être imposées au titre des bénéfices non-commerciaux en application de l'article 92 du code général des impôts ;
- l'imposition ne doit s'appliquer que sur la moitié des sommes obtenues par la vente du trésor en application de l'article 716 du code civil ;
- la procédure d'imposition au titre des bénéfices industriels et commerciaux est irrégulière en l'absence de mise en oeuvre par l'administration d'une procédure de vérification de comptabilité ;
- il est fondé à se prévaloir de l'application du système de quotient prévu à l'article 163-0 A du code général des impôts pour les revenus exceptionnels perçus en 2011.

Vu les autres pièces du dossier.



Vu :
- le code civil ;
- le code de commerce ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bertrand Baillard, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.


Considérant ce qui suit :
1. Par une proposition de rectification du 26 juin 2014, l'administration fiscale a informé M. A... de l'évaluation d'office des revenus tirés par celui-ci de l'activité de revente du produit d'un vol en réunion pour un montant de 118 700 euros au titre de l'année 2011 et de 2 260 euros au titre de l'année 2012. Ces sommes ont, en conséquence, été imposées à 1'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux définie au 1. de 1'article 92 du code général des impôts, les rappels d'impôt étant assortis de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du code général des impôts et de la majoration de 80 % prévue au c. de l'article 1728 du même code. A l'occasion du rejet de la réclamation formée par M. A..., le 29 janvier 2019, l'administration fiscale a substitué la base légale de l'article 34 du code général des impôts à celle, initialement retenue, de l'article 92 du même code. M. A... a alors porté le litige devant le tribunal administratif de Rouen, lequel, par un jugement du 9 février 2021, l'a déchargé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 et 2012, ainsi que des pénalités correspondantes, et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 300 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du motif de décharge retenu par les premiers juges :

2. D'une part, aux termes de l'article 34 du code général des impôts : " Sont considérés comme bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par des personnes physiques et provenant de l'exercice d'une profession commerciale, industrielle ou artisanale. / (...) ". Aux termes de l'article L. 110-1 du code de commerce : " La loi répute actes de commerce : / 1° Tout achat de biens meubles pour les revendre, soit en nature, soit après les avoir travaillés et mis en oeuvre ; / (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 716 du code civil : " La propriété d'un trésor appartient à celui qui le trouve dans son propre fonds ; si le trésor est trouvé dans le fonds d'autrui, il appartient pour moitié à celui qui l'a découvert, et pour l'autre moitié au propriétaire du fonds. / Le trésor est toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard. ".

4. Pour prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à la charge de M. A... au titre des années 2011 et 2012, les premiers juges ont estimé que si l'accaparement de la totalité du trésor découvert par ce dernier et deux de ses collègues dans le cadre d'un chantier effectué au cours des mois de mars et d'avril 2011, suivi de sa revente, a constitué une activité illicite pour la moitié de la valeur de celui-ci, les gains procurés par la vente des éléments du trésor ne pouvaient être imposés sur le fondement de l'article 34 du code général des impôts.

5. Il résulte de l'instruction que M. A... et ses deux collègues, après avoir trouvé à l'occasion d'un chantier un trésor, d'une valeur non discutée de 900 000 euros, composé de 16 lingots d'or d'un kilogramme chacun et d'environ 600 pièces d'or de vingt dollars américains, en ont pris possession dans son intégralité, alors qu'ils savaient l'avoir découvert dans le fonds d'autrui. Chacun des inventeurs s'est attribué une partie égale du trésor dont la valeur, non contestée, est d'un montant, pour chacun d'entre eux, de 300 000 euros. En application des dispositions de l'article 716 du code civil, si M. A... est propriétaire de la moitié de cette part, d'une valeur de 150 000 euros, il a détourné l'autre moitié de cette part, d'un même montant, au détriment du propriétaire du fonds. Or, alors qu'il n'est pas contesté que M. A... a vendu la totalité de sa part du trésor, il résulte de l'instruction et, notamment, des termes mêmes de la proposition de rectification du 26 juin 2014 et du courrier du 29 janvier 2019 rejetant la réclamation de l'intéressé que l'administration fiscale a entendu soumettre à l'impôt sur le revenu, non la totalité de la part du trésor, mais uniquement la moitié de la quote-part que M. A... a détournée au détriment du propriétaire du fonds et cédée pour un montant total de 120 960 euros. A supposer même l'absence d'intention de M. A... de commettre un vol, ce détournement de la partie du trésor ne lui appartenant pas et sa revente constitue une activité illicite. Toutefois, la découverte du trésor ayant été purement fortuite, sa revente ne peut être regardée comme un acte de commerce au sens de l'article L. 110-1 du code de commerce. Par ailleurs, la cession par M. A... des biens ayant donné lieu à imposition a présenté un caractère occasionnel, de sorte que ce dernier ne peut être regardé comme ayant exercé, à ce titre, une activité commerciale. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont estimé que le produit de la cession des biens en litige ne pouvait être imposé dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux en application des dispositions précitées de l'article 34 du code général des impôts.

6. Toutefois, le ministre demande, à titre subsidiaire, une substitution de base légale pour confirmer le bien-fondé des impositions en litige sur le fondement de l'article 92 du code général des impôts.

7. Aux termes de l'article 92 du code général des impôts : " 1. Sont considérés comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. / (...) ".

8. Ainsi qu'il a été dit au point 5, le détournement puis la cession par M. A... de la partie du trésor appartenant au propriétaire du fonds constitue une activité illicite ne présentant pas un caractère commercial. Aussi, quand bien même la découverte du trésor a été le fruit du hasard, le produit de ce vol entre dans le champ des revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux en application du 1. de l'article 92 du code général des impôts. En conséquence, et dès lors que cette substitution ne prive M. A... d'aucune garantie offerte par la loi aux contribuables, il y a lieu de procéder à la substitution de base légale demandée par le ministre.
9. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... tant devant le tribunal administratif de Rouen que devant la cour.

Sur les autres moyens :

10. En premier lieu, dès lors qu'il a été fait droit à la demande de substitution de base légale, demandée par le ministre, tendant à ce que les impositions en litige soient fondées sur les dispositions du 1. de l'article 92 du code général des impôts, M. A... ne peut utilement se prévaloir de l'irrégularité de la procédure d'imposition sur le fondement de l'article 34 du même code.

11. En deuxième lieu, les impositions en litige portant sur le produit de la cession de la part du trésor détournée par M. A... au détriment du propriétaire du fonds, M. A... n'est pas fondé à se prévaloir de la réponse ministérielle n° 16515 publiée au Journal officiel de l'Assemblée nationale du 3 octobre 1979 et du point 400 de la doctrine publiée sous la référence BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-40, qui sont relatifs à l'imposition des produits des jeux de hasard.

12. En troisième lieu, les impositions en litige ne portant, ainsi qu'il était dit au point 5, que sur le produit de la cession de la part du trésor détournée par M. A... au détriment du propriétaire du fonds, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'en application de l'article 716 du code civil, l'administration ne pouvait imposer la cession de la partie du trésor lui appartenant en qualité d'inventeur du trésor.

13. En quatrième et dernier lieu, si M. A... soutient que l'administration aurait dû faire application du système de quotient prévu au I de l'article 163-0 A du code général des impôts au motif que le revenu ainsi perçu par lui en 2011 présente le caractère d'un revenu exceptionnel, il ne met pas la cour à même d'apprécier le bien-fondé de ce moyen, alors, au surplus, que, d'une part, les revenus en cause ont été perçus au titre de deux années consécutives, et que, d'autre part, ceux-ci trouvent leur origine dans des faits de vol, lesquels, par leur nature, ne sont pas insusceptibles de se reproduire annuellement.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a déchargé M. A... des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 2011 et 2012 ainsi que, par voie de conséquence, des pénalités correspondantes. Dans ces conditions, le ministre est également fondé à soutenir que c'est à tort que, par le même jugement, le tribunal administratif de Rouen a, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, mis la somme de 1 300 euros à la charge de l'Etat au titre des frais non compris dans les dépens exposés par M. A... en première instance. Enfin, les conclusions que M. A... présente, en cause d'appel, sur le fondement des mêmes dispositions doivent être rejetées dès lors que l'Etat n'a pas la qualité de partie perdante à l'instance.


DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1901106 du 9 février 2021 du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles M. A... a été assujetti au titre des années 2011 et 2012, ainsi que les pénalités correspondantes, dont la décharge a été prononcée par le jugement du 9 février 2021 du tribunal administratif de Rouen, sont remises à la charge de l'intéressé.

Article 3 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Rouen, ainsi que ses conclusions d'appel présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à M. B... A....

Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.


Délibéré après l'audience publique du 15 décembre 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Christian Heu, président de chambre,
- M. Mathieu Sauveplane, président-assesseur,
- M. Bertrand Baillard, premier conseiller.


Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 janvier 2023.

Le rapporteur,
Signé : B. BaillardLe président de chambre,
Signé : C. Heu
La greffière,
Signé : S. Pinto Carvalho
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme
La greffière,
Nathalie Roméro
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