Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 425983, lecture du 24 décembre 2019

Analyse n° 425983
24 décembre 2019
Conseil d'État

N° 425983
Publié au recueil Lebon

Lecture du mardi 24 décembre 2019



54-10-09 : Procédure- Question prioritaire de constitutionnalité- Effets des déclarations d'inconstitutionnalité-

Responsabilité de l'Etat du fait d'une loi inconstitutionnelle - 1) Conditions - a) Inconstitutionnalité déclarée par le Conseil constitutionnel en QPC (art. 61-1 de la Constitution) ou à l'occasion de l'examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine (art. 61) - b) Décision du CC ne s'y opposant pas - c) Existence d'un lien direct de causalité entre l'inconstitutionnalité de la loi et le préjudice invoqué - d) Prescription quadriennale - Point de départ - Préjudice connu dans sa réalité et son étendue par la victime - 2) Espèce - a) Décision du CC faisant obstacle à l'engagement de la responsabilité de l'Etat - Absence - b) Existence d'un lien de causalité - Absence, eu égard au motif d'inconstitutionnalité retenu.




La responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée en raison des exigences inhérentes à la hiérarchie des normes, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'application d'une loi méconnaissant la Constitution. 1) a) Toutefois, il résulte des dispositions des articles 61, 61-1 et 62 de la Constitution que la responsabilité de l'Etat n'est susceptible d'être engagée du fait d'une disposition législative contraire à la Constitution que si le Conseil constitutionnel a déclaré cette disposition inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1, lors de l'examen d'une question prioritaire de constitutionnalité, ou bien encore, sur le fondement de l'article 61, à l'occasion de l'examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine. b) En outre, l'engagement de cette responsabilité est subordonné à la condition que la décision du Conseil constitutionnel, qui détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause, ne s'y oppose pas, soit qu'elle l'exclue expressément, soit qu'elle laisse subsister tout ou partie des effets pécuniaires produits par la loi qu'une action indemnitaire équivaudrait à remettre en cause. c) Lorsque ces conditions sont réunies, il appartient à la victime d'établir la réalité de son préjudice et l'existence d'un lien direct de causalité entre l'inconstitutionnalité de la loi et ce préjudice. d) Par ailleurs, la prescription quadriennale commence à courir dès lors que le préjudice qui résulte de l'application de la loi à sa situation peut être connu dans sa réalité et son étendue par la victime, sans qu'elle puisse être légitimement regardée comme ignorant l'existence de sa créance jusqu'à l'intervention de la déclaration d'inconstitutionnalité. 2) Par sa décision n° 2013-336 QPC du 1er août 2013, le Conseil constitutionnel a jugé que le premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986, ratifié, devenu le premier alinéa de l'article L. 442-9 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004, était contraire à la Constitution. Il a relevé qu'en soustrayant les "entreprises publiques" à l'obligation d'instituer un dispositif de participation des salariés aux résultats de l'entreprise et en se bornant à renvoyer à un décret le soin de désigner celles de ces entreprises qui y seraient néanmoins soumises, sans définir le critère en fonction duquel elles seraient ainsi désignées ni encadrer ce renvoi au pouvoir réglementaire, le législateur avait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions qui affectaient l'exercice de la liberté d'entreprendre. a) Par sa décision du 1er août 2013, le Conseil constitutionnel a précisé que la déclaration d'inconstitutionnalité prononcée prenait effet à compter de sa publication, que les salariés des entreprises dont le capital était majoritairement détenu par des personnes publiques ne pouvaient, en application des dispositions de l'ordonnance du 21 octobre 1986 relatives à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise, demander, y compris dans les instances en cours, qu'un dispositif de participation leur soit applicable au titre de la période pendant laquelle les dispositions déclarées inconstitutionnelles étaient en vigueur et que cette déclaration d'inconstitutionnalité ne pouvait conduire à ce que les sommes versées au titre de la participation sur le fondement de ces dispositions donnent lieu à répétition. Une action indemnitaire dirigée contre l'Etat, que cette décision n'exclut pas, ne serait pas susceptible d'affecter les conditions et limites dans lesquelles elle prévoit la remise en cause des effets produits par la disposition législative considérée, qui intéresse les rapports entre employeurs et salariés. Cette décision ne fait ainsi pas obstacle à ce que soit engagée, devant la juridiction administrative, la responsabilité de l'Etat du fait de l'application des dispositions, déclarées inconstitutionnelles, du premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance du 21 octobre 1986 puis du premier alinéa de l'article L. 442-9 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi du 30 décembre 2004. b) Par sa décision du 1er août 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré la disposition législative qui lui était soumise contraire à la Constitution en raison de la seule méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans la détermination du champ d'application de l'obligation faite aux entreprises d'instituer un dispositif de participation des salariés à leurs résultats, affectant l'exercice de la liberté d'entreprendre. Il a, en revanche, écarté les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et les charges publiques et de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 et a précisé que le législateur aurait pu, pour définir le critère en fonction duquel les entreprises publiques sont soumises à cette obligation, se référer, par exemple, à un critère fondé sur l'origine du capital ou la nature de l'activité. Il n'a, ainsi, pas regardé comme contraire aux droits et libertés reconnus par la Constitution la portée que la Cour de cassation a conférée à cette disposition, dans le souci de garantir la libre concurrence et l'égalité des droits entre salariés d'entreprises exerçant une même activité dans les mêmes conditions, par son arrêt du 6 juin 2000 (soc., Hôtel Frantour Paris Berthier, n° 98-20.304, Bull. 2000 V n° 216) et ses arrêts ultérieurs, qui excluent qu'une société de droit privé ayant une activité purement commerciale soit regardée comme une entreprise publique au sens de cette disposition. Au surplus, par la loi du 30 décembre 2004, le législateur a confirmé pour l'avenir la soumission des entreprises aux obligations relatives à la participation des salariés aux résultats en fonction d'un critère tiré non de l'origine de leur capital, sauf en cas de détention directe par l'Etat, mais de leur situation concurrentielle. Par suite, la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans la détermination du champ d'application de l'obligation d'instituer un dispositif de participation ne peut être regardée comme étant directement à l'origine de l'obligation faite à une entreprise telle que la société requérante, avant même l'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2004, de verser à ses salariés une participation à ses résultats. Seuls pourraient être regardés en lien direct avec cette inconstitutionnalité les préjudices résultant, le cas échéant, de l'obligation de reconstituer a posteriori une réserve spéciale de participation et de verser immédiatement l'ensemble des sommes exigibles sans avoir pu prendre en considération, dans la stratégie commerciale et financière de l'entreprise, cette charge au cours des exercices au titre desquels elle devait être constatée. Il en résulte que la cour administrative d'appel a exactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant qu'il n'existait pas de lien de causalité direct entre la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence et le préjudice dont la société requérante faisait état, tenant aux sommes versées à ses salariés et anciens salariés au titre de leur participation à ses résultats pour les exercices 1986 à 1995 et aux prélèvements sociaux afférents, et n'a pas commis d'erreur de droit en écartant son indemnisation au titre d'une perte de chance, invoquée par cette société, d'entrer dans le champ des entreprises publiques soustraites au régime de la participation des salariés. Enfin, le versement des intérêts légaux sur les sommes dues aux salariés au titre de la participation à compter de leur demande en justice, au demeurant postérieure à l'arrêt de la Cour de cassation du 6 juin 2000, était destiné à compenser le fait que ces sommes avaient été, entre la date de la demande et celle de leur versement, à la disposition de l'entreprise et non des salariés. La cour n'a, par suite, pas commis d'erreur de qualification juridique en jugeant que le préjudice tenant, pour la société requérante, au versement de ces intérêts ne pouvait être regardé, en l'absence de circonstances particulières, non alléguées en l'espèce, comme résultant de l'incertitude dans laquelle elle se serait trouvée quant à sa soumission à l'obligation de participation des salariés aux résultats de l'entreprise et n'était ainsi pas en lien direct avec la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence.




60-01-02 : Responsabilité de la puissance publique- Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité- Fondement de la responsabilité-

Responsabilité de l'Etat du fait des lois - 1) Fondements - a) Egalité devant les charges publiques - Conditions - Absence de volonté contraire du législateur et existence d'un préjudice grave et spécial - b) Exigences inhérentes à la hiérarchie des normes - i) Loi méconnaissant la Constitution - ii) Loi méconnaissant les engagements internationaux de la France - 2) Conditions de l'engagement de la responsabilité de l'Etat du fait d'une loi inconstitutionnelle - a) Inconstitutionnalité déclarée par le Conseil constitutionnel en QPC (art. 61-1 de la Constitution) ou à l'occasion de l'examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine (art. 61) - b) Décision du CC ne s'y opposant pas - c) Existence d'un lien direct de causalité entre l'inconstitutionnalité de la loi et le préjudice invoqué - d) Prescription quadriennale - Point de départ - Préjudice connu dans sa réalité et son étendue par la victime - 3) Espèce - a) Décision du CC faisant obstacle à l'engagement de la responsabilité de l'Etat - Absence - b) Existence d'un lien de causalité - Absence, eu égard au motif d'inconstitutionnalité retenu.




1) a) La responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée, d'une part, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi à la condition que cette loi n'ait pas exclu toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés. b) Elle peut également être engagée, d'autre part, en raison des exigences inhérentes à la hiérarchie des normes, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'application d'une loi i) méconnaissant la Constitution ou ii) les engagements internationaux de la France. 2) a) Toutefois, il résulte des dispositions des articles 61, 61-1 et 62 de la Constitution que la responsabilité de l'Etat n'est susceptible d'être engagée du fait d'une disposition législative contraire à la Constitution que si le Conseil constitutionnel a déclaré cette disposition inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1, lors de l'examen d'une question prioritaire de constitutionnalité, ou bien encore, sur le fondement de l'article 61, à l'occasion de l'examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine. b) En outre, l'engagement de cette responsabilité est subordonné à la condition que la décision du Conseil constitutionnel, qui détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause, ne s'y oppose pas, soit qu'elle l'exclue expressément, soit qu'elle laisse subsister tout ou partie des effets pécuniaires produits par la loi qu'une action indemnitaire équivaudrait à remettre en cause. c) Lorsque ces conditions sont réunies, il appartient à la victime d'établir la réalité de son préjudice et l'existence d'un lien direct de causalité entre l'inconstitutionnalité de la loi et ce préjudice. d) Par ailleurs, la prescription quadriennale commence à courir dès lors que le préjudice qui résulte de l'application de la loi à sa situation peut être connu dans sa réalité et son étendue par la victime, sans qu'elle puisse être légitimement regardée comme ignorant l'existence de sa créance jusqu'à l'intervention de la déclaration d'inconstitutionnalité. 3) Par sa décision n° 2013-336 QPC du 1er août 2013, le Conseil constitutionnel a jugé que le premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986, ratifié, devenu le premier alinéa de l'article L. 442-9 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004, était contraire à la Constitution. Il a relevé qu'en soustrayant les "entreprises publiques" à l'obligation d'instituer un dispositif de participation des salariés aux résultats de l'entreprise et en se bornant à renvoyer à un décret le soin de désigner celles de ces entreprises qui y seraient néanmoins soumises, sans définir le critère en fonction duquel elles seraient ainsi désignées ni encadrer ce renvoi au pouvoir réglementaire, le législateur avait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions qui affectaient l'exercice de la liberté d'entreprendre. a) Par sa décision du 1er août 2013, le Conseil constitutionnel a précisé que la déclaration d'inconstitutionnalité prononcée prenait effet à compter de sa publication, que les salariés des entreprises dont le capital était majoritairement détenu par des personnes publiques ne pouvaient, en application des dispositions de l'ordonnance du 21 octobre 1986 relatives à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise, demander, y compris dans les instances en cours, qu'un dispositif de participation leur soit applicable au titre de la période pendant laquelle les dispositions déclarées inconstitutionnelles étaient en vigueur et que cette déclaration d'inconstitutionnalité ne pouvait conduire à ce que les sommes versées au titre de la participation sur le fondement de ces dispositions donnent lieu à répétition. Une action indemnitaire dirigée contre l'Etat, que cette décision n'exclut pas, ne serait pas susceptible d'affecter les conditions et limites dans lesquelles elle prévoit la remise en cause des effets produits par la disposition législative considérée, qui intéresse les rapports entre employeurs et salariés. Cette décision ne fait ainsi pas obstacle à ce que soit engagée, devant la juridiction administrative, la responsabilité de l'Etat du fait de l'application des dispositions, déclarées inconstitutionnelles, du premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance du 21 octobre 1986 puis du premier alinéa de l'article L. 442-9 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi du 30 décembre 2004. b) Par sa décision du 1er août 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré la disposition législative qui lui était soumise contraire à la Constitution en raison de la seule méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans la détermination du champ d'application de l'obligation faite aux entreprises d'instituer un dispositif de participation des salariés à leurs résultats, affectant l'exercice de la liberté d'entreprendre. Il a, en revanche, écarté les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et les charges publiques et de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 et a précisé que le législateur aurait pu, pour définir le critère en fonction duquel les entreprises publiques sont soumises à cette obligation, se référer, par exemple, à un critère fondé sur l'origine du capital ou la nature de l'activité. Il n'a, ainsi, pas regardé comme contraire aux droits et libertés reconnus par la Constitution la portée que la Cour de cassation a conférée à cette disposition, dans le souci de garantir la libre concurrence et l'égalité des droits entre salariés d'entreprises exerçant une même activité dans les mêmes conditions, par son arrêt du 6 juin 2000 (soc., Hôtel Frantour Paris Berthier, n° 98-20.304, Bull. 2000 V n° 216) et ses arrêts ultérieurs, qui excluent qu'une société de droit privé ayant une activité purement commerciale soit regardée comme une entreprise publique au sens de cette disposition. Au surplus, par la loi du 30 décembre 2004, le législateur a confirmé pour l'avenir la soumission des entreprises aux obligations relatives à la participation des salariés aux résultats en fonction d'un critère tiré non de l'origine de leur capital, sauf en cas de détention directe par l'Etat, mais de leur situation concurrentielle. Par suite, la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans la détermination du champ d'application de l'obligation d'instituer un dispositif de participation ne peut être regardée comme étant directement à l'origine de l'obligation faite à une entreprise telle que la société requérante, avant même l'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2004, de verser à ses salariés une participation à ses résultats. Seuls pourraient être regardés en lien direct avec cette inconstitutionnalité les préjudices résultant, le cas échéant, de l'obligation de reconstituer a posteriori une réserve spéciale de participation et de verser immédiatement l'ensemble des sommes exigibles sans avoir pu prendre en considération, dans la stratégie commerciale et financière de l'entreprise, cette charge au cours des exercices au titre desquels elle devait être constatée. Il en résulte que la cour administrative d'appel a exactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant qu'il n'existait pas de lien de causalité direct entre la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence et le préjudice dont la société requérante faisait état, tenant aux sommes versées à ses salariés et anciens salariés au titre de leur participation à ses résultats pour les exercices 1986 à 1995 et aux prélèvements sociaux afférents, et n'a pas commis d'erreur de droit en écartant son indemnisation au titre d'une perte de chance, invoquée par cette société, d'entrer dans le champ des entreprises publiques soustraites au régime de la participation des salariés. Enfin, le versement des intérêts légaux sur les sommes dues aux salariés au titre de la participation à compter de leur demande en justice, au demeurant postérieure à l'arrêt de la Cour de cassation du 6 juin 2000, était destiné à compenser le fait que ces sommes avaient été, entre la date de la demande et celle de leur versement, à la disposition de l'entreprise et non des salariés. La cour n'a, par suite, pas commis d'erreur de qualification juridique en jugeant que le préjudice tenant, pour la société requérante, au versement de ces intérêts ne pouvait être regardé, en l'absence de circonstances particulières, non alléguées en l'espèce, comme résultant de l'incertitude dans laquelle elle se serait trouvée quant à sa soumission à l'obligation de participation des salariés aux résultats de l'entreprise et n'était ainsi pas en lien direct avec la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence.




60-04-01-03 : Responsabilité de la puissance publique- Réparation- Préjudice- Caractère direct du préjudice-

Loi déclarée contraire à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel - Engagement de la responsabilité de l'Etat - Absence en l'espèce, les préjudices invoqués n'étant pas en lien direct avec le motif d'inconstitutionnalité retenu.




Par sa décision n° 2013-336 QPC du 1er août 2013, le Conseil constitutionnel a jugé que le premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986, ratifié, devenu le premier alinéa de l'article L. 442-9 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004, était contraire à la Constitution. Il a relevé qu'en soustrayant les "entreprises publiques" à l'obligation d'instituer un dispositif de participation des salariés aux résultats de l'entreprise et en se bornant à renvoyer à un décret le soin de désigner celles de ces entreprises qui y seraient néanmoins soumises, sans définir le critère en fonction duquel elles seraient ainsi désignées ni encadrer ce renvoi au pouvoir réglementaire, le législateur avait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions qui affectaient l'exercice de la liberté d'entreprendre. Par sa décision du 1er août 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré la disposition législative qui lui était soumise contraire à la Constitution en raison de la seule méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans la détermination du champ d'application de l'obligation faite aux entreprises d'instituer un dispositif de participation des salariés à leurs résultats, affectant l'exercice de la liberté d'entreprendre. Il a, en revanche, écarté les griefs tirés de la méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et les charges publiques et de la méconnaissance de l'article 16 de la Déclaration de 1789 et a précisé que le législateur aurait pu, pour définir le critère en fonction duquel les entreprises publiques sont soumises à cette obligation, se référer, par exemple, à un critère fondé sur l'origine du capital ou la nature de l'activité. Il n'a, ainsi, pas regardé comme contraire aux droits et libertés reconnus par la Constitution la portée que la Cour de cassation a conférée à cette disposition, dans le souci de garantir la libre concurrence et l'égalité des droits entre salariés d'entreprises exerçant une même activité dans les mêmes conditions, par son arrêt du 6 juin 2000 (soc., Hôtel Frantour Paris Berthier, n° 98-20.304, Bull. 2000 V n° 216) et ses arrêts ultérieurs, qui excluent qu'une société de droit privé ayant une activité purement commerciale soit regardée comme une entreprise publique au sens de cette disposition. Au surplus, par la loi du 30 décembre 2004, le législateur a confirmé pour l'avenir la soumission des entreprises aux obligations relatives à la participation des salariés aux résultats en fonction d'un critère tiré non de l'origine de leur capital, sauf en cas de détention directe par l'Etat, mais de leur situation concurrentielle. Par suite, la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans la détermination du champ d'application de l'obligation d'instituer un dispositif de participation ne peut être regardée comme étant directement à l'origine de l'obligation faite à une entreprise telle que la société requérante, avant même l'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2004, de verser à ses salariés une participation à ses résultats. Seuls pourraient être regardés en lien direct avec cette inconstitutionnalité les préjudices résultant, le cas échéant, de l'obligation de reconstituer a posteriori une réserve spéciale de participation et de verser immédiatement l'ensemble des sommes exigibles sans avoir pu prendre en considération, dans la stratégie commerciale et financière de l'entreprise, cette charge au cours des exercices au titre desquels elle devait être constatée. Il en résulte que la cour administrative d'appel a exactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant qu'il n'existait pas de lien de causalité direct entre la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence et le préjudice dont la société requérante faisait état, tenant aux sommes versées à ses salariés et anciens salariés au titre de leur participation à ses résultats pour les exercices 1986 à 1995 et aux prélèvements sociaux afférents, et n'a pas commis d'erreur de droit en écartant son indemnisation au titre d'une perte de chance, invoquée par cette société, d'entrer dans le champ des entreprises publiques soustraites au régime de la participation des salariés. Enfin, le versement des intérêts légaux sur les sommes dues aux salariés au titre de la participation à compter de leur demande en justice, au demeurant postérieure à l'arrêt de la Cour de cassation du 6 juin 2000, était destiné à compenser le fait que ces sommes avaient été, entre la date de la demande et celle de leur versement, à la disposition de l'entreprise et non des salariés. La cour n'a, par suite, pas commis d'erreur de qualification juridique en jugeant que le préjudice tenant, pour la société requérante, au versement de ces intérêts ne pouvait être regardé, en l'absence de circonstances particulières, non alléguées en l'espèce, comme résultant de l'incertitude dans laquelle elle se serait trouvée quant à sa soumission à l'obligation de participation des salariés aux résultats de l'entreprise et n'était ainsi pas en lien direct avec la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence.

Voir aussi