Base de jurisprudence


Analyse n° 440037
5 mars 2021
Conseil d'État

N° 440037 440165
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Lecture du vendredi 5 mars 2021



26-055-01 : Droits civils et individuels- Convention européenne des droits de l'homme- Droits garantis par la convention-

Droit à la liberté et à la sûreté (art. 5) - Violation - Existence - Adaptation des règles de procédure pénale afin de faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19 (ordonnance du 25 mars 2020) - Prolongation de plein droit des délais maximum de détention provisoire (art. 16 de l'ordonnance) (1).




Si le paragraphe 3 de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (convention EDH) ne fait pas obstacle, en particulier dans le contexte exceptionnel de lutte contre l'épidémie de covid-19, à ce que soient prévues des modalités de prolongation des délais de détention provisoire, il impose toutefois, même dans ce contexte exceptionnel, que la juridiction compétente se prononce systématiquement, après un débat contradictoire, dans un bref délai à compter de la date d'expiration du titre de détention, sur le bien-fondé du maintien de la détention provisoire. Dès lors, l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020, qui prévoit la prolongation de plein droit des délais maximums de détention provisoire pour une durée de deux, trois ou six mois, et l'article 17 de cette ordonnance, qui allonge les délais d'audiencement dans le cadre des procédures de comparution immédiate et de comparution à délai différé pour les personnes placées en détention provisoire dans l'attente de l'audience de jugement, méconnaissent le paragraphe 3 de l'article 5 de la convention EDH. Ils sont par suite entachés d'illégalité, comme l'est l'article 15 de l'ordonnance, qui prévoit leur application aux détentions provisoires en cours ou débutant de la date de publication de l'ordonnance à la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire.





26-055-01-06-02 : Droits civils et individuels- Convention européenne des droits de l'homme- Droits garantis par la convention- Droit à un procès équitable (art- )- Violation-

Existence - Adaptation des règles de procédure pénale afin de faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19 (ordonnance du 25 mars 2020) - Possibilité, pour le juge pénal, d'imposer le recours à la visioconférence (art. 5 de l'ordonnance) (2).




L'article 5 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale pour faire face à l'épidémie de covid-19 permet au juge d'imposer au justiciable le recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle ou, le cas échéant, de communication téléphonique devant l'ensemble des juridictions pénales, notamment le tribunal correctionnel, la chambre des appels correctionnels, les juridictions spécialisées pour juger les mineurs en matière correctionnelle, ou lors du débat contradictoire préalable au placement en détention provisoire ou à la prolongation de cette détention, à la seule exception des juridictions criminelles. Il ne soumet l'exercice de cette faculté à aucune condition légale et ne l'encadre par aucun critère. Eu égard à l'importance de la garantie qui s'attache à la présentation physique du justiciable devant la juridiction pénale, ces dispositions portent une atteinte au droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (convention EDH) que ne peut justifier le contexte de lutte contre l'épidémie de covid-19.





37-03 : Juridictions administratives et judiciaires- Règles générales de procédure-

Adaptation des règles de procédure pénale afin de faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19 (ordonnance du 25 mars 2020) - 1) Possibilité, pour le juge pénal, d'imposer le recours à la visioconférence (art. 5 de l'ordonnance) - Méconnaissance du 1 de l'article 6 de la convention EDH - Existence (2) - 2) Prolongation de plein droit des délais maximum de détention provisoire (art. 16 de l'ordonnance) - Méconnaissance du 3 de l'article 5 de la convention EDH - Existence (1) - 3) Sursis à statuer pour inviter les parties à produire des observations sur une éventuelle modulation dans le temps des effets de l'annulation (5) (6).




1) L'article 5 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale pour faire face à l'épidémie de covid-19 permet au juge d'imposer au justiciable le recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle ou, le cas échéant, de communication téléphonique devant l'ensemble des juridictions pénales, notamment le tribunal correctionnel, la chambre des appels correctionnels, les juridictions spécialisées pour juger les mineurs en matière correctionnelle, ou lors du débat contradictoire préalable au placement en détention provisoire ou à la prolongation de cette détention, à la seule exception des juridictions criminelles. Il ne soumet l'exercice de cette faculté à aucune condition légale et ne l'encadre par aucun critère. Eu égard à l'importance de la garantie qui s'attache à la présentation physique du justiciable devant la juridiction pénale, ces dispositions portent une atteinte au droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (convention EDH) que ne peut justifier le contexte de lutte contre l'épidémie de covid-19. 2) Si le paragraphe 3 de l'article 5 de la convention EDH ne fait pas obstacle, en particulier dans le contexte exceptionnel de lutte contre l'épidémie de covid-19, à ce que soient prévues des modalités de prolongation des délais de détention provisoire, il impose toutefois, même dans ce contexte exceptionnel, que la juridiction compétente se prononce systématiquement, après un débat contradictoire, dans un bref délai à compter de la date d'expiration du titre de détention, sur le bien-fondé du maintien de la détention provisoire. Dès lors, l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020, qui prévoit la prolongation de plein droit des délais maximums de détention provisoire pour une durée de deux, trois ou six mois, et l'article 17 de cette ordonnance, qui allonge les délais d'audiencement dans le cadre des procédures de comparution immédiate et de comparution à délai différé pour les personnes placées en détention provisoire dans l'attente de l'audience de jugement, méconnaissent le paragraphe 3 de l'article 5 de la convention EDH. Ils sont par suite entachés d'illégalité, comme l'est l'article 15 de l'ordonnance, qui prévoit leur application aux détentions provisoires en cours ou débutant de la date de publication de l'ordonnance à la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire. 3) Afin de déterminer si l'annulation rétroactive des articles 5, 15, 16 et 17 de l'ordonnance serait de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison des effets qu'ils ont produits et des situations qui ont pu se constituer quand ils étaient en vigueur, il y a lieu, avant de statuer sur les conclusions tendant à leur annulation, de recueillir sur ce point les observations des parties, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision. Sursis à statuer à cette fin.





54-07-023 : Procédure- Pouvoirs et devoirs du juge- Modulation dans le temps des effets d'une annulation-

Adaptation des règles de procédure pénale afin de faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19 - Inconventionnalité des articles 5, 15, 16 et 17 de l'ordonnance du 25 mars 2020 (2) (1) - Sursis à statuer pour inviter les parties à produire des observations sur une éventuelle modulation dans le temps des effets de l'annulation (5) (6).




L'article 5 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale pour faire face à l'épidémie de covid-19 permet au juge d'imposer au justiciable le recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle ou, le cas échéant, de communication téléphonique devant l'ensemble des juridictions pénales, notamment le tribunal correctionnel, la chambre des appels correctionnels, les juridictions spécialisées pour juger les mineurs en matière correctionnelle, ou lors du débat contradictoire préalable au placement en détention provisoire ou à la prolongation de cette détention, à la seule exception des juridictions criminelles. Il ne soumet l'exercice de cette faculté à aucune condition légale et ne l'encadre par aucun critère. Eu égard à l'importance de la garantie qui s'attache à la présentation physique du justiciable devant la juridiction pénale, ces dispositions portent une atteinte au droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (convention EDH) que ne peut justifier le contexte de lutte contre l'épidémie de covid-19. Si le paragraphe 3 de l'article 5 de la convention EDH ne fait pas obstacle, en particulier dans le contexte exceptionnel de lutte contre l'épidémie de covid-19, à ce que soient prévues des modalités de prolongation des délais de détention provisoire, il impose toutefois, même dans ce contexte exceptionnel, que la juridiction compétente se prononce systématiquement, après un débat contradictoire, dans un bref délai à compter de la date d'expiration du titre de détention, sur le bien-fondé du maintien de la détention provisoire. Dès lors, l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020, qui prévoit la prolongation de plein droit des délais maximums de détention provisoire pour une durée de deux, trois ou six mois, et l'article 17 de cette ordonnance, qui allonge les délais d'audiencement dans le cadre des procédures de comparution immédiate et de comparution à délai différé pour les personnes placées en détention provisoire dans l'attente de l'audience de jugement, méconnaissent le paragraphe 3 de l'article 5 de la convention EDH. Ils sont par suite entachés d'illégalité, comme l'est l'article 15 de l'ordonnance, qui prévoit leur application aux détentions provisoires en cours ou débutant de la date de publication de l'ordonnance à la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire. Afin de déterminer si l'annulation rétroactive des articles 5, 15, 16 et 17 de l'ordonnance serait de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison des effets qu'ils ont produits et des situations qui ont pu se constituer quand ils étaient en vigueur, il y a lieu, avant de statuer sur les conclusions tendant à leur annulation, de recueillir sur ce point les observations des parties, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision. Sursis à statuer à cette fin.





54-10-09 : Procédure- Question prioritaire de constitutionnalité- Effets des déclarations d'inconstitutionnalité-

Conséquences à tirer, par le Conseil d'Etat saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre une ordonnance, d'une déclaration d'inconstitutionnalité prononcée par le Conseil constitutionnel (6) - Illustration - Articles 5 et 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020 - 1) Examen de la conformité à la convention EDH - Existence - 2) Sursis à statuer pour inviter les parties à produire des observations sur une éventuelle modulation dans le temps des effets de l'annulation (5).




Conseil constitutionnel ayant, par ses décisions n° 2020-872 QPC du 15 janvier 2021 et n° 2020-878/879 QPC du 29 janvier 2021, déclaré contraires à la Constitution les articles respectivement 5 et 16 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale pour faire face à l'épidémie de covid-19. Conseil constitutionnel ayant, dans les deux cas, abrogé les dispositions en cause à la date de sa décision et déclaré que les mesures passées prises sur leur fondement ne pouvaient pas être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité. 1) Il y a lieu pour le Conseil d'Etat, saisi d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette ordonnance et de moyens en ce sens, de se prononcer sur la conformité des mêmes dispositions à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (convention EDH). 2) Illégalité de ces dispositions pour ce motif. Afin de déterminer si l'annulation rétroactive des articles 5, 15, 16 et 17 de l'ordonnance attaquée serait de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison des effets qu'ils ont produits et des situations qui ont pu se constituer quand ils étaient en vigueur, il y a lieu, avant de statuer sur les conclusions tendant à leur annulation, de recueillir sur ce point les observations des parties, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision. Sursis à statuer à cette fin.





61-01-01-02 : Santé publique- Protection générale de la santé publique- Police et réglementation sanitaire- Lutte contre les épidémies-

Etat d'urgence sanitaire (art. L. 3131-12 du CSP) - Adaptation des règles de procédure pénale afin de faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19 (ordonnance du 25 mars 2020) - 1) Possibilité, pour le juge pénal, d'imposer le recours à la visioconférence (art. 5 de l'ordonnance) - Méconnaissance du 1 de l'article 6 de la convention EDH - Existence (2) - 2) Prolongation de plein droit des délais maximum de détention provisoire (art. 16 de l'ordonnance) - Méconnaissance du 3 de l'article 5 de la convention EDH - Existence (1) - 3) Sursis à statuer pour inviter les parties à produire des observations sur une éventuelle modulation dans le temps des effets de l'annulation (5) (6).




1) L'article 5 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale pour faire face à l'épidémie de covid-19 permet au juge d'imposer au justiciable le recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle ou, le cas échéant, de communication téléphonique devant l'ensemble des juridictions pénales, notamment le tribunal correctionnel, la chambre des appels correctionnels, les juridictions spécialisées pour juger les mineurs en matière correctionnelle, ou lors du débat contradictoire préalable au placement en détention provisoire ou à la prolongation de cette détention, à la seule exception des juridictions criminelles. Il ne soumet l'exercice de cette faculté à aucune condition légale et ne l'encadre par aucun critère. Eu égard à l'importance de la garantie qui s'attache à la présentation physique du justiciable devant la juridiction pénale, ces dispositions portent une atteinte au droit à un procès équitable garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (convention EDH) que ne peut justifier le contexte de lutte contre l'épidémie de covid-19. 2) Si le paragraphe 3 de l'article 5 de la convention EDH ne fait pas obstacle, en particulier dans le contexte exceptionnel de lutte contre l'épidémie de covid-19, à ce que soient prévues des modalités de prolongation des délais de détention provisoire, il impose toutefois, même dans ce contexte exceptionnel, que la juridiction compétente se prononce systématiquement, après un débat contradictoire, dans un bref délai à compter de la date d'expiration du titre de détention, sur le bien-fondé du maintien de la détention provisoire. Dès lors, l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020, qui prévoit la prolongation de plein droit des délais maximums de détention provisoire pour une durée de deux, trois ou six mois, et l'article 17 de cette ordonnance, qui allonge les délais d'audiencement dans le cadre des procédures de comparution immédiate et de comparution à délai différé pour les personnes placées en détention provisoire dans l'attente de l'audience de jugement, méconnaissent le paragraphe 3 de l'article 5 de la convention EDH. Ils sont par suite entachés d'illégalité, comme l'est l'article 15 de l'ordonnance, qui prévoit leur application aux détentions provisoires en cours ou débutant de la date de publication de l'ordonnance à la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire. 3) Afin de déterminer si l'annulation rétroactive des articles 5, 15, 16 et 17 de l'ordonnance serait de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison des effets qu'ils ont produits et des situations qui ont pu se constituer quand ils étaient en vigueur, il y a lieu, avant de statuer sur les conclusions tendant à leur annulation, de recueillir sur ce point les observations des parties, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision. Sursis à statuer à cette fin.


(2) Rappr., s'agissant de la non-conformité de ces dispositions à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, Cons. const., 15 janvier 2021, n° 2020-872 QPC. Comp., s'agissant de leur conformité aux articles 5 et 6 de la convention EDH, Cass. crim., 22 juillet 2020, n° 20-82.213, publié au Bulletin ; s'agissant de la conformité aux droits de la défense d'adaptations similaires de la procédure civile, CE, juge des référés, 10 avril 2020, Conseil national des Barreaux et autres, n°s 439892 439883, à mentionner aux Tables ; s'agissant de la conformité à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen d'adaptations similaires de la procédure administrative, CE, 21 décembre 2020, Syndicat de la juridiction administrative, n° 441399, à mentionner aux Tables. (1) Rappr., s'agissant de la non-conformité de ces dispositions à l'article 66 de la Constitution, Cons. const., 29 janvier 2021, n° 2020-878/879 QPC. Comp., s'agissant de leur interprétation conforme à l'article 5 de la convention EDH, Cass. crim., 26 mai 2020, n° 20-81.910 et n° 20-81.971, publié au Bulletin. (5) Cf., sur le principe de la modulation et ses conditions, CE, Assemblée, 11 mai 2004, Association AC !, n°s 255886 à 255892, p. 197 ; CE, Assemblée, 23 décembre 2013, Société Métropole télévision (M6) et Société Télévision Française 1 (TF1), n°s 363702 363719, p. 322. Rappr., s'agissant de l'absence de remise en cause des effets passés des articles 5 et 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020 sur le fondement de leur inconstitutionnalité, Cons. const., 15 janvier 2021, n° 2020-872 QPC et Cons. const., 29 janvier 2021, n° 2020-878/879 QPC. (6) Cf., en précisant, s'agissant des conséquences à tirer de la déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions d'une ordonnance, CE, Assemblée, 16 décembre 2020, Fédération CFDT des finances et autres, n°s 440258 440289 440457, à publier au Recueil.