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Ariane Web: Conseil d'État 458590, lecture du 22 juillet 2022

Analyse n° 458590
22 juillet 2022
Conseil d'État

N° 458590
Publié au recueil Lebon

Lecture du vendredi 22 juillet 2022



24-01-02-04 : Domaine- Domaine public- Régime- Contentieux de la responsabilité-

Détenteur de bonne foi d'un bien appartenant au domaine public dont la restitution est ordonnée - 1) Droit à réparation - a) Perte d'un intérêt patrimonial à jouir de ce bien (art. 1P1 à la convention EDH) (1) - Condition - Charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi (2) - b) Dépenses nécessaires à la conservation du bien (3) - c) Tout préjudice causé directement par une faute de l'administration (4) - 2) Espèce - Bien du domaine national détenu de bonne foi depuis 1901 et dont la restitution est ordonnée en 2018 - a) Perte d'un intérêt patrimonial à jouir de ce bien - Existence - b) Charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi - Existence - c) Indemnisation à la valeur vénale - Absence.




1) a) Il découle de l'article 1er du protocole additionnel (1P1) à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (convention EDH) que si, en vertu du principe désormais énoncé à l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), les biens qui relèvent du domaine public des personnes publiques sont inaliénables et imprescriptibles, le détenteur de bonne foi d'un bien appartenant au domaine public dont la restitution est ordonnée peut prétendre à la réparation du préjudice lié à la perte d'un intérêt patrimonial à jouir de ce bien, lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances dans lesquelles cette restitution a été ordonnée que cette personne supporterait, de ce fait, une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi. b) Alors même que le détenteur de bonne foi tenu à l'obligation de restitution ne justifierait pas d'une telle charge spéciale et exorbitante, il peut prétendre, le cas échéant, à l'indemnisation des dépenses nécessaires à la conservation du bien qu'il a pu être conduit à exposer ainsi que, c) en cas de faute de l'administration, à l'indemnisation de tout préjudice directement causé par cette faute. 2) Manuscrit de la fin du XVème siècle comportant le texte « Commentaria in Evangelium sancti Lucae » attribué à Saint-Thomas d'Aquin ayant été acquis par l'aïeul du requérant lors d'une vente aux enchères publiques en 1901. Conservé depuis lors dans sa famille, manuscrit ayant été mis en dépôt aux archives départementales de Maine-et-Loire en 1991 avant d'être restitué au requérant en 2016, à sa demande, ainsi que l'acte de mise en dépôt le permettait, en vue de sa vente. Sur le fondement de l'article L. 111-2 du code du patrimoine, maison de ventes ayant sollicité le 26 mars 2018, en qualité de mandataire du requérant, la délivrance du certificat requis pour l'exportation hors du territoire national des biens culturels, autres que les trésors nationaux, présentant un intérêt notamment historique ou artistique. Ministre de la culture ayant, le 18 mai 2018, refusé de délivrer ce certificat et demandé la restitution de cet ouvrage comme appartenant au domaine public de l'Etat, en se fondant sur la circonstance qu'il faisait partie de la bibliothèque de la chartreuse de Bourbon-lèz-Gaillon, devenue la chartreuse d'Aubevoye, lors de l'intervention du décret de l'Assemblée constituante du 2 novembre 1789 plaçant tous les biens ecclésiastiques à la disposition de la Nation. a) Sur le fondement de l'article 1P1 à la convention EDH, eu égard notamment à la durée de détention par la famille du requérant du manuscrit en cause, le requérant dispose d'un intérêt patrimonial à en jouir suffisamment reconnu et important pour constituer un bien au sens de ces stipulations et l'intérêt public majeur qui s'attache à la restitution à l'Etat de cette oeuvre d'art n'exclut pas, par principe, le versement à son détenteur d'une indemnité en réparation du préjudice résultant de cette perte de jouissance. b) Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment de la durée et des conditions de détention de bonne foi du manuscrit par la famille du requérant, ainsi que de l'attitude des pouvoirs publics qui n'en ont jamais revendiqué la propriété jusqu'à la vente aux enchères de 2018, alors qu'ils en ont eu la possibilité au moins depuis la signature de la convention de dépôt aux archives départementales de Maine-et-Loire en 1991, la privation de l'intérêt patrimonial à jouir de ce manuscrit constitue en l'espèce, pour le requérant, une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi. c) Dès lors que le préjudice financier allégué ne résulte pas d'une privation de propriété mais d'une privation de jouissance d'un bien n'ayant jamais cessé d'appartenir au domaine public de l'Etat, la réparation doit nécessairement être inférieure à la valeur vénale du manuscrit.





26-055-02-01 : Droits civils et individuels- Convention européenne des droits de l'homme- Droits garantis par les protocoles- Droit au respect de ses biens (art- er du premier protocole additionnel)-

Détenteur de bonne foi d'un bien appartenant au domaine public dont la restitution est ordonnée - Droit à réparation - Inclusion - Perte d'un intérêt patrimonial à jouir de ce bien (art. 1P1 à la convention EDH) (1) - Condition - Charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi (2).




Il découle de l'article 1er du protocole additionnel (1P1) à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (convention EDH) que si, en vertu du principe désormais énoncé à l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), les biens qui relèvent du domaine public des personnes publiques sont inaliénables et imprescriptibles, le détenteur de bonne foi d'un bien appartenant au domaine public dont la restitution est ordonnée peut prétendre à la réparation du préjudice lié à la perte d'un intérêt patrimonial à jouir de ce bien, lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances dans lesquelles cette restitution a été ordonnée que cette personne supporterait, de ce fait, une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi.





60-01-02-01-01-03 : Responsabilité de la puissance publique- Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité- Fondement de la responsabilité- Responsabilité sans faute- Responsabilité fondée sur l'égalité devant les charges publiques- Responsabilité du fait de l'intervention de décisions administratives légales-

Décision ordonnant la restitution d'un bien appartenant au domaine public détenu de bonne foi - 1) Droit à réparation du détenteur - a) Perte d'un intérêt patrimonial à jouir de ce bien (art. 1P1 à la convention EDH) (1) - Condition - Charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi (2) - b) Dépenses nécessaires à la conservation du bien (3) - c) Tout préjudice causé directement par une faute de l'administration (4) - 2) Espèce - Bien du domaine national détenu de bonne foi depuis 1901 et dont la restitution est ordonnée en 2018 - a) Perte d'un intérêt patrimonial à jouir de ce bien - Existence - b) Charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi - Existence - c) Indemnisation à la valeur vénale - Absence.




1) a) Il découle de l'article 1er du protocole additionnel (1P1) à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (convention EDH) que si, en vertu du principe désormais énoncé à l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CG3P), les biens qui relèvent du domaine public des personnes publiques sont inaliénables et imprescriptibles, le détenteur de bonne foi d'un bien appartenant au domaine public dont la restitution est ordonnée peut prétendre à la réparation du préjudice lié à la perte d'un intérêt patrimonial à jouir de ce bien, lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances dans lesquelles cette restitution a été ordonnée que cette personne supporterait, de ce fait, une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi. b) Alors même que le détenteur de bonne foi tenu à l'obligation de restitution ne justifierait pas d'une telle charge spéciale et exorbitante, il peut prétendre, le cas échéant, à l'indemnisation des dépenses nécessaires à la conservation du bien qu'il a pu être conduit à exposer ainsi que, c) en cas de faute de l'administration, à l'indemnisation de tout préjudice directement causé par cette faute. 2) Manuscrit de la fin du XVème siècle comportant le texte « Commentaria in Evangelium sancti Lucae » attribué à Saint-Thomas d'Aquin ayant été acquis par l'aïeul du requérant lors d'une vente aux enchères publiques en 1901. Conservé depuis lors dans sa famille, manuscrit ayant été mis en dépôt aux archives départementales de Maine-et-Loire en 1991 avant d'être restitué au requérant en 2016, à sa demande, ainsi que l'acte de mise en dépôt le permettait, en vue de sa vente. Sur le fondement de l'article L. 111-2 du code du patrimoine, maison de ventes ayant sollicité le 26 mars 2018, en qualité de mandataire du requérant, la délivrance du certificat requis pour l'exportation hors du territoire national des biens culturels, autres que les trésors nationaux, présentant un intérêt notamment historique ou artistique. Ministre de la culture ayant, le 18 mai 2018, refusé de délivrer ce certificat et demandé la restitution de cet ouvrage comme appartenant au domaine public de l'Etat, en se fondant sur la circonstance qu'il faisait partie de la bibliothèque de la chartreuse de Bourbon-lèz-Gaillon, devenue la chartreuse d'Aubevoye, lors de l'intervention du décret de l'Assemblée constituante du 2 novembre 1789 plaçant tous les biens ecclésiastiques à la disposition de la Nation. a) Sur le fondement de l'article 1P1 à la convention EDH, eu égard notamment à la durée de détention par la famille du requérant du manuscrit en cause, le requérant dispose d'un intérêt patrimonial à en jouir suffisamment reconnu et important pour constituer un bien au sens de ces stipulations et l'intérêt public majeur qui s'attache à la restitution à l'Etat de cette oeuvre d'art n'exclut pas, par principe, le versement à son détenteur d'une indemnité en réparation du préjudice résultant de cette perte de jouissance. b) Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment de la durée et des conditions de détention de bonne foi du manuscrit par la famille du requérant, ainsi que de l'attitude des pouvoirs publics qui n'en ont jamais revendiqué la propriété jusqu'à la vente aux enchères de 2018, alors qu'ils en ont eu la possibilité au moins depuis la signature de la convention de dépôt aux archives départementales de Maine-et-Loire en 1991, la privation de l'intérêt patrimonial à jouir de ce manuscrit constitue en l'espèce, pour le requérant, une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi. c) Dès lors que le préjudice financier allégué ne résulte pas d'une privation de propriété mais d'une privation de jouissance d'un bien n'ayant jamais cessé d'appartenir au domaine public de l'Etat, la réparation doit nécessairement être inférieure à la valeur vénale du manuscrit.


(1) Cf. CE, 21 juin 2018, Société Pierre Bergé et associés et autres, n° 408822, T. pp. 678-689. Rappr. Cour EDH, 29 mars 2010, n° 34044/02, Depalle c/ France et n° 34078/02, Brosset-Triboulet c/ France. (2) Cf. CE, 22 septembre 2017, SCI APS, n° 400825, T. pp. 597-599-611. Rappr. Cour EDH, 29 mars 2010, n° 34044/02, Depalle c/ France ; s'agissant des servitudes d'urbanisme, CE, Section, 3 juillet 1998, , n° 158592, p. 288. (3) Cf. CE, 7 juin 1985, Société nationale des chemins de fer français, n°s 47370 47594, T. pp. 529-624-774 ; CE, 15 mai 2013, Commune de Villeneuve-lès-Avignon, n° 354593, T. pp. 803-826-827-871. (4) Cf. CE, 24 novembre 2014, Société des remontées mécaniques Les Houches-Saint-Gervais, n° 352402, p. 350.

Voir aussi