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Ariane Web: Conseil d'État 353952, lecture du 3 février 2012, ECLI:FR:CESSR:2012:353952.20120203

Décision n° 353952
3 février 2012
Conseil d'État

N° 353952
ECLI:FR:CESSR:2012:353952.20120203
Publié au recueil Lebon
7ème et 2ème sous-sections réunies
M. Philippe Martin, président
M. Nicolas Polge, rapporteur
M. Bertrand Dacosta, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du vendredi 3 février 2012
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu, 1°, sous le numéro 353952, le pourvoi, enregistré le 9 novembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION, qui demande au Conseil d'Etat d'annuler l'ordonnance n° 1109024 du 20 octobre 2011 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant en application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, sur la demande de M. André A, a suspendu l'exécution de la décision du 19 septembre 2011 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours de M. A contre la décision lui refusant la délivrance d'un visa de long séjour, a enjoint au MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION de réexaminer la demande de visa dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance et a mis à la charge de l'Etat le versement à M. A d'une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu, 2°, sous le numéro 353953, le recours, enregistré le 9 novembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION, qui demande au Conseil d'Etat d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de l'ordonnance dont il demande l'annulation par le pourvoi enregistré sous le numéro 353952 ;


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 2 février 2012, présentée pour M. A ;

Vu la Constitution, notamment son Préambule ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

Vu la convention relative aux droits de l'enfant ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Nicolas Polge, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. A,

- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. A ;


Considérant que le pourvoi, enregistré sous le numéro 353952, et le recours à fin de sursis à exécution, enregistré sous le numéro 353953, sont dirigés contre une même ordonnance ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur le pourvoi :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que par décision du 13 avril 2010, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a reconnu la qualité de réfugiée à Mme Léoncie C, épouse de M. André A, tous deux de nationalité rwandaise ; que M. A a sollicité la délivrance d'un visa de long séjour pour rejoindre son épouse en France ; que le refus de visa opposé par l'ambassade de France en Tanzanie a été confirmé par une décision du 19 septembre 2011 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ; que par une ordonnance du 20 octobre 2011, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a suspendu, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de cette décision ; que le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION se pourvoit en cassation contre cette ordonnance ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. " ;

Considérant qu'il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint et aux enfants mineurs d'un réfugié statutaire les visas qu'ils sollicitent afin de mener une vie familiale normale ; qu'elles ne peuvent opposer un refus à une telle demande que pour un motif d'ordre public ; qu'elles peuvent, sur un tel fondement, opposer un refus aux demandeurs ayant été impliqués dans des crimes graves contre les personnes et dont la venue en France, eu égard aux principes qu'elle mettrait en cause ou au retentissement de leur présence sur le territoire national, serait de nature à porter atteinte à l'ordre public ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION a notamment soutenu, en défense devant ce juge, que si M. A a été acquitté par le Tribunal pénal international pour le Rwanda des crimes de génocide et de complicité de génocide, il avait cependant participé aux gouvernements du Rwanda de mars 1981 à juillet 1994, y compris, en qualité de ministre des transports et des communications, au gouvernement intérimaire de M. Jean Kambanda, condamné quant à lui pour génocide par le Tribunal pénal international pour le Rwanda, pendant toute la durée des massacres, d'avril à juillet 1994 et que M. A avait ainsi continué à exercer d'importantes fonctions ministérielles, ce qu'il ne contestait pas, jusqu'à la chute du gouvernement responsable de ces massacres ; que le ministre se prévalant ainsi d'un motif d'ordre public et apportant des éléments précis et circonstanciés, d'ailleurs de notoriété publique, au soutien de ce motif, le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier en estimant qu'il faisait état d'allégations non étayées pour retenir comme sérieux les moyens tirés de ce que la décision de refus de visa serait entachée d'erreur manifeste et de ce qu'elle méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION est fondé à demander pour ce motif, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, l'annulation de l'ordonnance attaquée ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de statuer sur la demande présentée par M. A au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu'à l'appui de sa demande d'annulation de la décision attaquée, M. A soutient que l'appréciation portée, par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, sur le risque de trouble à l'ordre public que présenterait sa présence en France est entachée d'une erreur manifeste et que cette décision porte une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie familiale normale, garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'eu égard toutefois, notamment, à sa participation, pendant toute la durée des massacres perpétrés au Rwanda d'avril à juillet 1994, au gouvernement de ce pays en qualité de ministre des transports et des communications, et bien que d'une part, il ait été acquitté par le Tribunal pénal international pour le Rwanda des chefs d'accusation de génocide pour lesquels il était personnellement poursuivi, et que, d'autre part, le conseil de sécurité des Nations Unies ait demandé aux Etats membres de faciliter la réinstallation des personnes acquittées par ce tribunal, ces moyens ne sont pas, en l'état de l'instruction, propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée, non plus que les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée et de l'atteinte aux stipulations de la convention internationale des droits de l'enfant ;

Considérant que la demande de suspension présentée par M. A doit par suite être rejetée, de même que ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative devant le Conseil d'Etat, sous le numéro 353952, et devant le juge des référés du tribunal administratif de Nantes ;

Sur le recours à fin de sursis à exécution :

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article R. 821-5 du code de justice administrative : " La formation de jugement peut, à la demande de l'auteur du pourvoi, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution d'une décision juridictionnelle rendue en dernier ressort si cette décision risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens invoqués paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation de la décision juridictionnelle rendue en dernier ressort, l'infirmation de la solution retenue par les juges du fond. " ;

Considérant que, par la présente décision, le Conseil d'Etat se prononce sur le pourvoi formé par le MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION contre l'ordonnance du 20 octobre 2011 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes ; que, par suite, les conclusions à fin de sursis à l'exécution de cette ordonnance sont devenues sans objet ; que dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. A présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sous le numéro 353953 ;




D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nantes du 20 octobre 2011 est annulée.
Article 2 : La demande présentée au juge des référés du tribunal administratif de Nantes par M. A est rejetée.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le recours n° 353953 du MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION.
Article 4 : Les conclusions de M. A présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE L'INTERIEUR, DE
L'OUTRE-MER, DES COLLECTIVITES TERRITORIALES ET DE L'IMMIGRATION et à M. André A.


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