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Ariane Web: Conseil d'État 372622, lecture du 12 novembre 2013, ECLI:FR:CEORD:2013:372622.20131112

Décision n° 372622
12 novembre 2013
Conseil d'État

N° 372622
ECLI:FR:CEORD:2013:372622.20131112
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, avocats


Lecture du mardi 12 novembre 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 4 octobre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour l'Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE), dont le siège est Les bureaux du lac II - bâtiment S - 29, rue Robert Caumont à Bordeaux (33049) ; elle demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution des dispositions de l'article 8 du décret n°2013-559 du 26 juin 2013 relatif aux droits et obligations des redevables de la taxe sur les véhicules de transport de marchandises ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie, dès lors que l'entrée en vigueur de la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises, fixée au 1er janvier 2014 porte une atteinte grave et immédiate aux intérêts des transporteurs de marchandises ; que l'application des dispositions litigieuses entraîne en effet un grave préjudice économique ; qu'elle les oblige à prendre, dans un délai restreint, les mesures nécessaires pour doter les véhicules concernés d'un équipement électronique et pour les enregistrer auprès du prestataire commissionné ;
- il existe plusieurs doutes sérieux quant à la légalité du décret contesté ;
- il a été pris sur le fondement de l'article L. 276 du code des douanes dont la question de la conformité à la Constitution est posée dans le cadre de la présente affaire ;
- celui-ci méconnaît le principe de non-discrimination énoncé à l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le décret contesté méconnaît la directive 1999/62/CE du 17 juin 1999 modifiée par la directive 2006/38/CE du 17 mai 2006 ;


Vu le décret dont la suspension de l'exécution est demandée ;

Vu la copie de la requête à fin d'annulation du décret contesté ;

Vu le mémoire distinct, enregistré le 22 octobre 2013, présenté pour l'Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE), en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; l'OTRE demande au juge des référés du Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 276 du code des douanes ; elle soutient que l'article L. 276 du code des douanes est applicable au litige et n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ; qu'il porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution en ce qu'il est contraire au principe d'égalité tel que garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; que cette question présente un caractère sérieux justifiant le renvoi au Conseil constitutionnel ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 23 octobre 2013, présenté pour le ministre de l'économie et des finances, qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE) la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que :
- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que l'application des dispositions litigieuses ne porte pas d'atteinte grave et immédiate aux intérêts des transporteurs de marchandises concernés ;
- il n'existe pas de doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;
- le moyen tiré de l'inconventionalité de la loi sur le fondement de laquelle les dispositions litigieuses ont été prises n'est pas, en principe, de nature à être retenu à... ;
- les moyens tirés d'une méconnaissance du principe d'égalité et du principe de non-discrimination doivent en tout état de cause être écartés dès lors que l'inégalité de traitement est proportionnée à la finalité visée et poursuit un but légitime ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 24 octobre 2013, présenté pour l'Organisation des transporteurs routiers européens, qui tend aux mêmes fins que la requête ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'Organisation des transporteurs routiers européens et, d'autre part, le Premier ministre et le ministre de l'économie et des finances ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 25 octobre 2013 à 13 heures 45 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Piwnica, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Organisation des transporteurs routiers européens;

- les représentants de l'Organisation des transporteurs routiers européens ;
- Me Boré, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du ministre de l'économie et des finances ;

- le représentant du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ;

et à l'issue de laquelle l'instruction a été prolongée jusqu'au mercredi 6 novembre 2013 ;

Vu le mémoire de productions, enregistré le 4 novembre 2013, présenté pour l'Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE), qui tend aux mêmes conclusions ; elle soutient, en outre, que la situation d'urgence reste caractérisée dès lors que la suspension de l'écotaxe résulte d'une simple annonce du gouvernement ;

Vu les observations complémentaires, enregistrées le 6 novembre 2013, présentées pour le ministre de l'économie et des finances qui tend au rejet de la requête ; il soutient que l'urgence n'est pas caractérisée dès lors que le gouvernement a décidé la suspension de l'écotaxe, qui n'entrera pas en vigueur le 1er janvier 2014 ;

Vu la décision en date du 8 novembre 2013 par laquelle le juge des référés du Conseil d'Etat a décidé de rouvrir l'instruction jusqu'au mardi 12 novembre 2013 à 14 heures ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 12 novembre 2013, présenté pour l'Organisation des transporteurs routiers européens ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;

Vu le code des douanes ;

Vu le code de justice administrative ;


1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision " ;

Sur l'urgence :

2. Considérant que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;

3. Considérant que la requérante demande la suspension de l'exécution des dispositions de l'article 8 du décret n° 2013-559 du 26 juin 2013 relatif aux droits et obligations des redevables de la taxe sur les véhicules de transport de marchandises ; qu'elle conteste en particulier le régime d'enregistrement et d'équipement électronique des véhicules de transport de marchandises assujettis à la taxe prévue aux articles L. 269 et suivants du code des douanes ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'entrée en vigueur de la taxe nationale sur les véhicules de transport de marchandises, initialement prévue au 1er janvier 2014, a été suspendue ainsi que cela a été annoncé par le gouvernement et confirmé par les écritures en défense du ministre de l'économie et des finances en date du 6 novembre 2013 ; que, dans ces conditions, l'exécution des dispositions litigieuses, qui ont été prises pour assurer la mise en oeuvre des dispositions législatives instituant cette taxe, n'est pas susceptible de caractériser une situation d'urgence ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la condition d'urgence, requise par l'article L. 521-1 du code de justice administrative pour justifier la suspension immédiate du décret contesté, n'est pas caractérisée ; que, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté, la requête de l'Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE) doit donc être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'OTRE la somme que l'Etat demande au même titre ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité présentée pour l'Organisation des transporteur routiers européens (OTRE) :

6. Considérant que la présente ordonnance rejetant les conclusions à fin de suspension pour défaut d'urgence, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée ;



O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de l'Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE) est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de l'Etat tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE), au Premier ministre et au ministre de l'économie et des finances.
Copie en sera transmise pour information au Conseil constitutionnel.