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Ariane Web: Conseil d'État 369574, lecture du 30 décembre 2013, ECLI:FR:CESJS:2013:369574.20131230

Décision n° 369574
30 décembre 2013
Conseil d'État

N° 369574
ECLI:FR:CESJS:2013:369574.20131230
Inédit au recueil Lebon
9ème sous-section jugeant seule
M. Olivier Gariazzo, rapporteur
Mme Claire Legras, rapporteur public


Lecture du lundi 30 décembre 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



VU LA PROCEDURE SUIVANTE :

Par deux requêtes enregistrées le 21 juin 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les arrêtés du 15 avril 2013 du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, relatifs aux tarifs réglementés de vente du gaz naturel fourni à partir des réseaux publics de distribution de GDF Suez ;

2°) d'enjoindre aux ministres d'adopter de nouveaux arrêtés conformes aux règles applicables ;

3°) pour chacune des deux requêtes, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par deux mémoires en défense respectivement enregistrés les 13 et 16 décembre 2013, le ministre de l'économie et des finances conclut au rejet des requêtes.

Par des observations enregistrées le 16 décembre 2013, la société GDF Suez conclut au rejet des requêtes.

Les requêtes ont été communiquées au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, au Premier ministre, à la société GDF Suez et à la Commission de régulation de l'énergie, qui n'ont pas produit de mémoire.




Vu :
- les autres pièces des dossiers ;

- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Gariazzo, Maître des Requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Claire Legras, rapporteur public ;


CONSIDERANT CE QUI SUIT :

1. Les requêtes visées ci-dessus présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 445-3 du code de l'énergie : " Les tarifs réglementés de vente du gaz naturel sont définis en fonction des caractéristiques intrinsèques des fournitures et des coûts liés à ces fournitures. Ils couvrent l'ensemble de ces coûts à l'exclusion de toute subvention en faveur des clients qui ont exercé leur droit prévu à l'article L. 441-1. (...) ". Aux termes de l'article 3 du décret du 18 décembre 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel : " Les tarifs réglementés de vente du gaz naturel couvrent les coûts d'approvisionnement en gaz naturel et les coûts hors approvisionnement. / Ils comportent une part variable liée à la consommation effective et une part forfaitaire calculée à partir des coûts fixes de fourniture du gaz naturel pouvant également tenir compte de la quantité consommée, souscrite ou réservée par le client et des conditions d'utilisation, notamment de la répartition des quantités demandées au cours de l'année. " Enfin, aux termes de l'article 5 de ce décret : " Pour chaque fournisseur, un arrêté des ministres chargés de l'économie et de l'énergie pris après avis de la Commission de régulation de l'énergie fixe les barèmes des tarifs réglementés à partir, le cas échéant, des propositions du fournisseur. (...) ".

3. Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit, dans l'un comme l'autre cas, en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

4. Les tarifs réglementés de vente en distribution publique de gaz naturel dont les barèmes sont fixés, par les arrêtés du 15 avril 2013 en litige, pour les périodes du 20 juillet au 28 septembre 2012 et du 29 septembre au 31 juillet 2012, diffèrent, dans leur part variable et pour les plus gros consommateurs, selon que les locaux raccordés sont ou non à usage d'habitation. Or, si les dispositions de l'article L. 445-3 du code de l'énergie précité ne font pas, par elles-mêmes, obstacle à une différenciation tarifaire entre catégories d'utilisateurs dès lors qu'elles se bornent à imposer que les tarifs couvrent globalement les coûts moyens complets de chaque fournisseur, les auteurs des arrêtés attaqués ne pouvaient, en l'absence de motif d'intérêt général suffisant, établir des tarifs au volume de gaz consommé différents entre consommateurs résidentiels et non résidentiels, alors qu'au regard de l'objet de la mesure, ces différentes catégories d'utilisateurs ne sont pas placées dans des situations différentes.

5. Il résulte de ce qui précède que les arrêtés du 15 avril 2013 méconnaissent le principe d'égalité et qu'ils doivent, par suite, être annulés, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes, tirés de l'irrégularité de la procédure de consultation de la Commission de régulation de l'énergie, de la méconnaissance de l'article 3 du décret du 18 décembre 2009 et de l'exigence européenne de transparence dans la fixation des obligations de service public, ainsi que de la rupture d'égalité entre fournisseurs de gaz.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

6. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. "

7. La présente décision implique nécessairement que soit pris un nouvel arrêté relatif aux tarifs réglementés de vente du gaz naturel fourni à partir des réseaux publics de distribution de GDF Suez pour les périodes correspondant à la présente annulation. Il y a donc lieu de prescrire aux ministres chargés de l'économie et de l'énergie de prendre, dans le délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, un nouvel arrêté fixant des barèmes de tarifs conformes aux principes énoncés par la présente décision.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros à verser à l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie, au titre de cet article.


D E C I D E :
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Article 1er : Les arrêtés du 15 avril 2013 relatifs aux tarifs réglementés de vente du gaz naturel fourni à partir des réseaux publics de distribution de GDF Suez, applicables du 20 juillet au 28 septembre 2012 et du 29 septembre au 31 décembre 2012, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'économie et des finances et au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie de prendre, dans le délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, un nouvel arrêté fixant de nouveaux barèmes de tarifs conformes aux principes qu'elle énonce.
Article 3 : L'Etat versera à l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie, au ministre de l'économie et des finances et au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
Copie en sera adressée pour information à la Commission de régulation de l'énergie et à la société GDF Suez.