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Ariane Web: Conseil d'État 384405, lecture du 12 septembre 2014, ECLI:FR:CEORD:2014:384405.20140912

Décision n° 384405
12 septembre 2014
Conseil d'État

N° 384405
ECLI:FR:CEORD:2014:384405.20140912
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés


Lecture du vendredi 12 septembre 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 11 septembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'association "Tigers", représentée par son président, dont le siège social est situé 23, rue de Rouen, à Béthune (62400) ; l'association requérante demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 9 septembre 2014 modifié par arrêté rectificatif du 11 septembre 2014 par lequel le ministre de l'intérieur a interdit, du 12 septembre 2014 à 9 heures au 13 septembre 2014 à minuit, le déplacement individuel ou collectif, par tout moyen, de personnes se prévalant de la qualité de supporter du RC Lens ou se comportant comme tel, entre, d'une part, les communes du département du Pas-de-Calais, les ports de Nice, de Marseille et de Toulon, les aéroports de Lille-Lesquin, Roissy-Charles-de-Gaulle et Orly et, d'autre part, la Corse ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie, dès lors, d'une part, que la rencontre opposant le SC Bastia au RC Lens aura lieu le 13 septembre 2014 à 20 heures et, d'autre part, que plusieurs membres de l'association requérante ont organisé leur voyage en vue d'assister à cette rencontre ;
- l'arrêté litigieux porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller venir, à la liberté de réunion et à la liberté d'expression ;
- en effet, l'arrêté litigieux est insuffisamment motivé ;
- il n'existe aucun risque sérieux pour la sécurité des biens et des personnes ;
- il n'est pas établi que les risques de troubles à l'ordre public invoqués pour justifier l'interdiction contestée résulteraient du comportement de supporters du RC Lens ;
- l'interdiction litigieuse, qui présente un caractère général et absolu, n'est ni nécessaire au regard des impératifs d'ordre public, ni, en tout état de cause, proportionnée, dès lors que d'autres mesures appropriées auraient été de nature à atteindre le même but ;



Vu l'arrêté dont la suspension de l'exécution est demandée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le l1 septembre 2014, présenté par le ministre de l'intérieur, qui conclut au rejet de la requête ;
il soutient que :
- à titre principal, l'arrêté litigieux ne porte aucune atteinte à la liberté d'aller et de venir, à la liberté de réunion et à la liberté d'expression ;
- à titre subsidiaire, l'arrêté litigieux ne révèle aucune atteinte au atteinte grave et manifestement illégale aux libertés invoquées ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association "Tigers", d'autre part, le ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 12 septembre 2014 à 8 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Rocheteau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'association "Tigers", qui a soulevé le moyen tiré de ce que l'arrêté du 9 septembre 2014, en privant le RC Lens de ses supporters pour la rencontre du 13 septembre 2014, sans interdire l'accès au stade à ceux du SC Bastia, romprait l'égalité entre les deux clubs ;

- les représentantes du ministre de l'intérieur ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clôturé l'instruction ;
Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code du sport ;

Vu le code de justice administrative ;



1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 332-16-1 du code du sport : " Le ministre de l'intérieur peut, par arrêté, interdire le déplacement individuel ou collectif de personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public " ; que le ministre de l'intérieur a pris, sur le fondement de ces dispositions, le 9 septembre 2014, un arrêté, modifié par un arrêté rectificatif du 11 septembre 2014, qui interdit, du 12 septembre 2014 à 9 heures au 13 septembre 2014, jour de la rencontre de " Ligue 1 " entre le RC Lens et le SC Bastia, à minuit, le déplacement individuel ou collectif, par tout moyen, de personnes se prévalant de la qualité de supporter du RC Lens ou se comportant comme tel, entre, d'une part, les communes du département du Pas-de-Calais, les ports de Nice, de Marseille et de Toulon, les aéroports de Lille-Lesquin, Roissy-Charles-de-Gaulle et Orly et, d'autre part, la Corse ;

3. Considérant qu'il appartient aux autorités de l'Etat d'assurer la préservation de l'ordre public et sa conciliation avec les libertés fondamentales que sont notamment la liberté d'aller et venir, la liberté de réunion et la liberté d'expression ; qu'il incombe au juge des référés d'apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que des circonstances particulières de l'espèce ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte tant des termes de l'article L. 521-2 que du but dans lequel la procédure qu'il instaure a été créée que doit exister un rapport direct entre l'illégalité relevée à l'encontre de la décision de l'autorité administrative et la gravité de ses effets au regard de l'exercice de la liberté fondamentale en cause ; qu'en tout état de cause, il n'existe pas de lien entre l'atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales dont se prévaut l'association requérante et le moyen tiré de l'insuffisance de motivation qu'elle soulève à l'encontre de l'arrêté contesté ;

5. Considérant, en deuxième lieu, que les interdictions que le ministre de l'intérieur peut décider, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 332-16-1 du code du sport, présentent le caractère de mesure de police ; que l'existence d'une atteinte à l'ordre public de nature à justifier de telles interdictions doit être appréciée objectivement, indépendamment du comportement des personnes qu'elles visent dès lors que leur seule présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public ; qu'alors même qu'il n'est pas contesté que les menaces de trouble à l'ordre public invoquées par l'autorité administrative ne sont pas directement imputables aux supporters du RC Lens, il résulte de l'instruction que, lors de rencontres sportives impliquant le SC Bastia, des incidents sont survenus à plusieurs reprises ; qu'en particulier, le 9 août 2014, des incidents violents ont eu lieu en marge de la rencontre opposant le SC Bastia et l'Olympique de Marseille pour la première journée de championnat de " Ligue 1 ", au stade Armand Cesari de Furiani ; qu'à cette occasion, des échauffourées sont survenues entre des supporters du SC Bastia et des supporters de l'Olympique de Marseille au cours desquelles dix policiers et trente-quatre gendarmes ont été blessés ;

6. Considérant, en troisième lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction que, dans les circonstances de l'espèce, d'autres mesures seraient de nature à éviter la survenance de troubles graves à l'ordre public, à l'occasion de la rencontre du 13 septembre 2014 ;

7. Considérant qu'il suit de là que ni le moyen tiré de ce que l'interdiction litigieuse ne serait pas nécessaire à la préservation de l'ordre public ni celui tiré de la disproportion qui l'entacherait n'est de nature à caractériser l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir, à la liberté de réunion et à la liberté d'expression ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'association requérante n'est pas fondée à demander la suspension de l'exécution de l'arrêté du ministre de l'intérieur du 9 septembre 2014 modifié par arrêté rectificatif du 11 septembre 2014 ; que, par suite, sa requête, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doit être rejetée ;


O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de l'association "Tigers" est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association "Tigers" et au ministre de l'intérieur.